Le rapport du Parquet général qui en dit long sur la migration irrégulière : Entre contrôle des départs, évolution des poursuites et gestion des séjours


Hassan Bentaleb
Mardi 11 Mars 2025

Le rapport du Parquet général qui en dit long sur la migration irrégulière : Entre contrôle des départs, évolution des poursuites et gestion des séjours
Qu’en est-il de la lutte du Maroc contre les crimes liés à la migration irrégulière ? Le dernier rapport du Parquet général dresse un état des lieux détaillé des poursuites engagées en 2023 contre les migrants en situation irrégulière et les réseaux organisant leur passage.

Trois tendances majeures se dégagent : une légère hausse des poursuites pour organisation de la migration illégale, une baisse des affaires liées à l’entrée et au séjour irrégulier, et une nette surreprésentation des Marocains parmi les personnes poursuivies pour tentative de départ irrégulier.

Le rapport met également en évidence des écarts importants entre le nombre de dossiers ouverts et les décisions judiciaires rendues, ce qui traduit une surcharge des tribunaux face à l’ampleur du phénomène. Analyse.
 
Migration irrégulière

Le rapport du Parquet général sur les poursuites judiciaires liées à l’organisation de la migration irrégulière met en évidence une augmentation modérée des arrestations, une surreprésentation masculine, une prédominance des Marocains parmi les inculpés, ainsi qu’un écart significatif entre les dossiers traités et les décisions judiciaires rendues.
En 2023, 2.552 personnes ont été poursuivies pour organisation du départ irrégulier de migrants depuis le Maroc, soit une légère augmentation par rapport à 2022 (2.447 personnes arrêtées, soit +4,3%).

Le rapport met en évidence les caractéristiques des personnes impliquées dans l’organisation de la migration irrégulière, confirmant une dominance masculine, une prédominance marocaine, et une faible implication des mineurs.

En effet, les hommes représentent la quasi-totalité des inculpés (1.094 contre 47 femmes), ce qui est cohérent avec la structure des réseaux de passeurs, majoritairement masculins. Les Marocains constituent l’écrasante majorité des poursuivis (1.066 contre 75 étrangers), suggérant que les réseaux de passeurs opérant depuis le Maroc sont principalement locaux, bien que des connexions internationales puissent exister.

Les adultes dominent largement (1 114 contre 27 mineurs), confirmant que l’organisation des départs illégaux repose essentiellement sur des individus majeurs.

Ledit rapport indique que sur 1 141 personnes poursuivies, 410 sont en détention (35,9%) et 731 en liberté (64,1%). On note ainsi un taux de détention préventive (35,9%) relativement élevé, ce qui traduit une approche plus stricte à l’égard des réseaux de passeurs, considérés comme des acteurs clés de l’immigration irrégulière. Toutefois, la majorité des inculpés sont en liberté provisoire, ce qui peut refléter une distinction entre les figures centrales des réseaux criminels et les complices de moindre importance.
Le Parquet révèle qu’en 2023, 774 dossiers ont été présentés devant les tribunaux, mais seulement 598 décisions judiciaires ont été rendues, laissant 176 affaires en attente.

Entrée et séjour irrégulier au Maroc

Les données sur les poursuites liées à l'entrée et au séjour irrégulier sur le territoire national révèlent une large surreprésentation des étrangers, des hommes et des majeurs dans ces affaires, ainsi qu'un écart entre le nombre de dossiers présentés et les décisions rendues.  En première instance, 7.618 des 9.061 personnes poursuivies (84,1%) sont des étrangers, contre 1.443 Marocains seulement (15,9%). En appel, 39 des 41 personnes poursuivies (95,1%) sont étrangères, sans qu’aucun Marocain ne soit concerné.

Les hommes représentent 84,9% des personnes poursuivies en première instance (7.695 contre 1.366 femmes) et 94,8% des inculpés en appel (37 contre 2 femmes).Les majeurs sont ultra-dominants dans ces affaires, avec 8.911 adultes contre seulement 150 mineurs en première instance et 37 adultes contre 7 mineurs en appel.

La surreprésentation masculine dans ces affaires est cohérente avec les tendances migratoires globales, où les hommes sont plus nombreux à entreprendre des migrations irrégulières, souvent pour des raisons économiques. Les poursuites contre des femmes restent marginales, ce qui peut s’expliquer par des parcours migratoires différents et un traitement judiciaire potentiellement moins répressif à leur égard. Le faible nombre de mineurs poursuivis (1,6% en première instance, 17% en appel) est notable, mais il ne signifie pas que les mineurs migrants soient absents du territoire. Il est possible que les autorités adoptent une approche plus protectrice pour ces derniers, notamment via des placements en structures adaptées ou des expulsions sans poursuites judiciaires.

A souligner qu’en première instance, seulement 259 personnes sont en détention (2,9%) contre 8.802 laissées en liberté (97,1%). En appel, 32 personnes sont en détention (78%) contre 7 laissées en liberté (22%).

La grande majorité des inculpés en première instance restent en liberté, ce qui indique que la détention n’est pas systématiquement utilisée pour les infractions liées au séjour irrégulier.

A souligner également qu’en première instance, 7.770 dossiers ont été présentés, mais seulement 6.400 décisions ont été rendues, laissant 1.370 affaires en attente.
 En appel, 33 dossiers ont été présentés pour seulement 25 décisions rendues, laissant 8 affaires non résolues. L’écart entre les affaires ouvertes et les décisions rendues suggère une accumulation des dossiers, pouvant être causée par, entre autres, un manque de moyens ou d’effectifs dans les tribunaux, des procédures longues et complexes, notamment pour les recours en appel.

Contrairement à la hausse marquant les dossiers relatifs à la migration irrégulière, l’année 2023 a connu une baisse concernant les poursuites en relation avec l’entrée et séjour irrégulier sur le territoire national par rapport à l’année 2022. Le nombre des personnes poursuivies a atteint 9.100 en 2023 réparti entre 9061 au niveau des tribunaux de 1ère instance et 39 au niveau des Cours d’appel, contre 11.465 poursuivies en 2022.

Sortie irrégulière du territoire national

S’agissant de la  sortie irrégulière du territoire national, le rapport du Parquet général sur les poursuites liées à la sortie irrégulière du territoire national en 2023 met en avant la surreprésentation des Marocains parmi les inculpés, une nette prédominance masculine et une majorité d’individus majeurs. Il révèle également un traitement judiciaire relativement souple, où la grande majorité des inculpés restent en liberté.

 Les hommes représentent 92,6% des personnes poursuivies (1.513 contre 120 femmes), ce qui montre que la migration irrégulière via des départs irréguliers est un phénomène largement masculin. Les majeurs sont ultra-dominants (1.599 contre seulement 34 mineurs).

Les Marocains représentent 66,0% des inculpés (1.076 sur 1.633), contre 34,0% d’étrangers (557 personnes), ce qui reflète la réalité d’une émigration irrégulière marocaine vers l’Europe, particulièrement via les côtes méditerranéennes et atlantiques. La présence de plus de 500 étrangers poursuivis indique que le Maroc reste aussi un point de transit pour des migrants d’autres nationalités, notamment d’Afrique subsaharienne, qui tentent de rejoindre l’Europe via des routes irrégulières.

Ledit document indique que 156 personnes sont en détention, contre 1.477 laissées en liberté, soit un taux de détention de seulement 9,5%. Le nombre de dossiers présentés (584) est inférieur au nombre de décisions judiciaires prises (597), indiquant que certains dossiers sont traités plus rapidement que d’autres.

Le faible taux de détention (9,5%) suggère que les poursuites pour sortie irrégulière ne sont pas systématiquement sanctionnées par l’incarcération, contrairement à d’autres délits liés à l’immigration, comme l’organisation de réseaux de passeurs. Les autorités semblent privilégier des solutions administratives et des sanctions alternatives, comme des amendes ou des mesures d’expulsion, plutôt que des peines d’emprisonnement. L’écart entre le nombre de dossiers présentés et les décisions rendues montre une fluidité du traitement judiciaire, indiquant une capacité des tribunaux à gérer efficacement ce type d’affaires.

Le taux de traitement des dossiers en appel est bien plus inférieur que celui en première instance, ce qui peut être dû à une surcharge des tribunaux, qui ralentit le traitement des affaires ; des recours plus complexes, nécessitant des investigations plus approfondies.

Autre fait marquant, les villes de Guelmim, Oujda, Nador et Tétouan enregistrent les taux les plus élevés de poursuites pour sortie irrégulière en première instance. Nador est la ville où le plus grand nombre de personnes ont été poursuivies en appel.

Hassan Bentaleb
 


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