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Dans ce contexte institutionnel marqué par un déséquilibre flagrant à la faveur des composantes gouvernementales, une question brûle les lèvres de tous : l’institution législative dispose-t-elle des moyens d’exercer pleinement sa mission de contrôle et de vérité ?
Au cœur de cette tempête parlementaire, un sujet cristallise les débats : le soutien accordé par la loi de finances aux importateurs de bétail. Derrière la technicité des exonérations fiscales, des dérogations douanières et des chiffres égrenés comme des incantations, se dessine un véritable scandale. Une opération prétendument salvatrice, censée réguler les prix du marché national, s’est transformée en un théâtre de contradictions, d’improvisations et de mensonges officiels.
L’Union socialiste des forces populaires (USFP), fidèle à son héritage de rigueur et de probité, a été le premier à tirer la sonnette d’alarme. Dans «Rissalat Al Ittihad», un billet publié dans les colonnes de notre alter ego «Al Ittihad Al Ichtiraki», sous le titre «Dix vérités sur l’importation de bovins et d’ovins, et ses répercussions politiques, financières et sociales», le parti rappelle que par le biais de son groupe parlementaire, il a activé les dispositions du règlement intérieur du Parlement pour obtenir des données claires et précises : combien d’importateurs ont bénéficié de ces mesures ? Quel en a été le coût pour les finances publiques? Quels résultats ont été obtenus entre 2021 et 2024? Les réponses tardent, s’embrouillent ou se contredisent, preuve d’une gestion approximative et d’une communication gouvernementale aussi flottante que délibérément opaque.
Le gouvernement lui-même a fini par reconnaître l’échec. A deux reprises, le ministre délégué auprès du ministre de l’Économie et des Finances, chargé du budget, concède que le dispositif de soutien à l’importation de bovins et d’ovins n’a pas atteint ses objectifs. Pire encore : lors du vote du budget 2025, le même ministre déclare que ce soutien fut une erreur, avant d’ajouter que reconnaître ses erreurs est une vertu. Louable, certes, mais bien tardif, et surtout insuffisant face à l’ampleur du désastre.
Ce désastre, l’USFP en retrace méthodiquement les contours. Il y a d’abord l’évidence d’un ministère de l’Économie et des Finances contraint de répondre à l’insistance du Groupe socialiste-Opposition ittiahdie, démontrant par là même une gestion peu proactive et un manque de transparence. Puis il y a ces interventions médiatiques de membres du gouvernement eux-mêmes, qui dans des programmes audiovisuels ou des rencontres partisanes, ont publiquement exprimé leurs doutes quant à l’efficacité de l’opération. Certains sont même allés jusqu’à en évoquer les zones d’ombre : listes des bénéficiaires floues, impact quasi nul sur le consommateur, et surtout une détérioration de la confiance dans l'action publique.
La cacophonie atteint son paroxysme lorsque l’on s’intéresse aux chiffres. Entre les déclarations des composantes de la majorité et les données distillées par les ministères, le spectre des montants varie de 250 millions de dirhams à… 13 milliards. Une fourchette aussi large ne peut s’expliquer que par l’amateurisme ou la volonté délibérée d’embrouiller les pistes. Il ne s’agit plus là d’erreurs comptables mais bien d’une manipulation inquiétante du registre budgétaire. Même constat pour le nombre de bénéficiaires : il change au gré des ministères, des interventions parlementaires ou des prises de parole des partis de la majorité. De l’Habitat à l’Agriculture, en passant par l’Eau ou les Transports, chacun avance ses propres chiffres, témoignant d’un amateurisme flagrant, d’un dysfonctionnement institutionnel et d’un mépris scandaleux pour la vérité.
Or, ce chaos n’est pas anodin. Il porte en lui une charge symbolique et politique lourde. Il touche à la question cruciale de la souveraineté alimentaire, du lien sacré entre l’État et le citoyen à travers des rituels aussi fondateurs que la célébration de l’Aïd al-Adha. Il sape les fondations mêmes de la confiance dans les institutions. Car au-delà de l’opération en elle-même, c’est la méthode qui choque : improvisation, opacité, clientélisme, et une incapacité chronique à mettre en œuvre une gouvernance digne d’un pays aspirant à une démocratie moderne.
L’USFP, dans sa démarche rigoureuse, ne s’est pas limitée à la dénonciation. Il a pris les devants en posant des amendements concrets au projet de loi de finances pour supprimer ces exonérations injustifiées. La majorité, fidèle à sa logique d’autoprotection, a balayé ces propositions d’un revers de main, avant d’utiliser la même arithmétique parlementaire pour torpiller la demande d’une commission d’enquête. Une manœuvre qui, loin d’éteindre le feu, ne fait que l’attiser. Car ce que le gouvernement tente de fragmenter à coups de déclarations contradictoires et de déclarations creuses, l’USFP s’attache à le reconstituer patiemment, preuves à l’appui, dans sa quête de vérité.
Le paradoxe devient abyssal lorsque l’on voit les mêmes ministres qui dénoncent aujourd’hui le flou et le désordre, être ceux qui hier ont entériné, dans les conseils du gouvernement tous les décrets relatifs aux exonérations douanières et fiscales. Ils ont voté les textes, soutenu les mesures, et aujourd’hui feignent l’ignorance ou se drapent dans une indignation de façade. Ce double langage, cette incohérence politique, cette trahison de l’intelligence collective sapent les fondements mêmes de la responsabilité publique.
Il faut dire les choses comme elles sont : le gouvernement, à travers cette affaire, a offert le plus sombre des visages. Celui d’un exécutif hésitant, manipulant les chiffres, travestissant la réalité, et publiant des communiqués qui relèvent plus de la propagande que de l’information. Le ministère de l’Agriculture, par exemple, n’a pas hésité à affirmer que les exonérations avaient renforcé l’offre de moutons pour l’Aïd, alors même que les prix flambaient et que la colère montait. Pis encore, on a osé affirmer que les allègements fiscaux n’avaient eu aucun impact sur les finances publiques. Un déni absolu, insultant pour les contribuables et mettant en péril la crédibilité budgétaire de l’État.
Dans cette constellation de failles, une vérité demeure : l’alerte lancée par l’USFP et son groupe parlementaire n’a reçu ni l’écoute qu’elle méritait, ni la réponse que l’exigence démocratique aurait requise. Le gouvernement, englué dans ses contradictions, persiste à défendre une politique qui sent la connivence et le favoritisme, à mille lieues de l’intérêt national. Il refuse de voir la détresse des petits éleveurs, l’agonie des agriculteurs moyens, et surtout le mécontentement sourd mais profond d’un peuple qui voit l’État renoncer à son rôle protecteur.
Cette affaire dépasse le cadre d’un simple soutien à l’importation de bétail. Elle interroge la relation entre gouvernants et gouvernés, la valeur de la parole publique, l’éthique de l’action politique. Et dans ce moment de vérité, le pays a besoin d’un sursaut. D’un retour aux principes. D’un engagement renouvelé pour une démocratie crédible, fondée sur la vérité, la justice et le respect de la citoyenneté.
Il ne s’agit plus seulement de défendre la transparence dans un dossier budgétaire. Il s’agit de rappeler qu’en démocratie, la responsabilité appelle la reddition des comptes. Et que c’est à cette condition, et à cette condition seulement, que la confiance renaîtra. Car sans confiance, point de réforme. Sans vérité, point d’avenir.
Mehdi Ouassat