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Libé : Etes-vous d’accord avec le constat selon lequel il n’y a pas de parité hommes/femmes dans l’industrie du film au Maroc ?
Lamia Chraibi : Rares sont les pays où il existe une parité… et encore ils y travaillent toujours. Ce n’est pas un cas spécifique au Maroc, ni à une industrie en particulier. Les chiffres sont là pour en attester. D’ailleurs, la plupart des sondages qui viennent corroborer cette disparité sont faits dans des pays plus développés où le financement de ce type de recherches est possible. Nous pouvons trouver, en quelques clics, les études faites pour le CNC autour de cette problématique pour citer l’exemple de la France... Comme partout dans le monde et dans cette industrie, on remarque que le nombre de femmes techniciennes/créatives est minoritaire, que l’accès à l’éducation est amoindri pour les femmes, que le harcèlement sexuel et la domination masculine dissuadent bon nombre de femmes à accéder à l’industrie audiovisuelle, que le labeur des femmes est souvent sous-évalué ce qui résulte en salaires moindres… mais pas que ! C’est d’un système qu’on parle et non d’un phénomène.
C’est surtout une question d’éducation et de mentalité qui fait que les femmes aussi ne se voient pas en mesure d’évoluer dans un environnement patriarcal et que le statu quo ne leur facilite pas la tâche; les études ont démontré que les femmes ont plus de mal à demander des augmentations de salaire, à s’imposer, à faire écouter leurs voix de façon créative et entrepreneuriale… Plusieurs femmes intègrent des écoles de cinéma et de production pour ensuite se retrouver confrontées à la dure réalité du marché qui est souvent du côté des hommes bien plus implémentés dans le domaine. C’est un vrai combat pour les femmes marocaines d’être indépendantes dans des familles souvent à faible revenu…
On constate aussi une sous-représentation des femmes dans les métiers dits plus «techniques» du cinéma, comment expliquer cela ?
Heureusement que nous avons pu constater ces dernières décennies un intérêt grandissant pour cette question dans les milieux socioéconomiques. Nous avons plus de ressources et d’accès à l’information quant à ce sujet. Les métiers dits techniques (et même créatifs) sont à dominance masculine depuis que cette industrie a vu le jour. C’était la norme et ça l’est resté. Ce sont des métiers prenants, physiquement et émotionnellement, et on juge bien trop souvent que le rôle des femmes est de se cantonner dans des rôles de maquilleuse, coiffeuse, script, monteuse, actrice... Nous verrons moins de techniciennes cheffes machino, cheffes électriciennes … il est rare, si ce n’est impossible, de trouver ses postes occupés par des femmes. Etant aussi sous un régime patriarcal, il y a beaucoup d’autres facteurs qui peuvent expliquer cela. Les discussions sur l’égalité des sexes dans l’industrie cinématographique ont pris de l’ampleur dans le contexte de la réflexion suscitée par le mouvement mondial #metoo contre le harcèlement sexuel. Bien qu’elles soient minoritaires en nombre, elles se battent deux fois plus pour faire valoir leurs compétences et leur savoir-faire. Si la sous-représentation significative et les disparités persistantes émanent d’un système, le fait qu’elles y soient quand même émane, quant à lui, d’un long combat, d’une force et d’une volonté que je tiens à encourager.
Il y a une impartialité également en termes de salaires ?
Dans le milieu de l’audiovisuel, les rares femmes qui arrivent à percer dans le cinéma sont celles qui ont dû traverser de nombreuses épreuves et ont acquis la force d’exiger une rémunération égale à celle des hommes pour la plupart. Sur le papier, les tarifs syndicaux sont unisexes et c’est à la personne de défendre sa rémunération… il est néanmoins utile de toujours rappeler que nous sommes dans un système qui n’encourage pas les femmes à demander plus (les études démontrent que les femmes ont beaucoup plus de mal à se sentir habilitées à demander plus) et que la plupart des employeurs – presque inconsciemment- ne voient pas les femmes en droit d’avoir plus. Nous sommes toujours dans cette idée qu’un homme est supposé être un « chef de famille » donc plus en mesure d’avoir plus et de produire plus. Mais pour ma part, je vois beaucoup de femmes dans le domaine refuser de se faire exploiter.
Avez-vous été confrontée à une forme d’impartialité en tant que femme ?
Il est très difficile pour moi de répondre à cette question car jusqu’à présent, je pensais avoir été épargnée donc n’avoir à répondre que par la négative à ce genre de questions. Mais il y a peu de temps, je me suis retrouvée victime d’un abus de pouvoir flagrant. Ma défense, légitime, était de crier à l’injustice. Je me suis confrontée à une compréhension biaisée de la situation du fait que je sois une femme. La réaction masculine globale était de chercher ce que j’ai pu provoquer pour en arriver là. C’est à ce moment que j’ai compris la vulnérabilité dans laquelle les femmes peuvent se retrouver coincées et doivent souvent justifier qu’elles n’en sont pas responsables. Par ailleurs, quand une femme est sujette à du harcèlement, on lui demande de le prouver, mais au Maroc, on lui demande ce qu’elle a fait pour le provoquer.
L’une des solutions envisagées en France par exemple est d’accorder des subventions en plus pour inciter les producteurs de films français à engager plus de femmes dans leurs équipes. Qu’en pensez-vous ?
C’est un pas concret en avant. Ce type de démarche, bien que controversé, est essentiel à mon sens. C’est par définition une mesure temporaire, visant à éradiquer une inégalité qui s’est construite au fil du temps. Une fois implémentées, ces mesures seront levés d’elles-mêmes car elles n’auront plus aucune utilité dans un monde égalitaire. Les mentalités auront évolué et les disparités se seront amoindries. Dans ce sens, il est essentiel de noter que toutes les femmes ne sont pas logées à la même enseigne et que certaines ont eu beaucoup plus de privilèges que d’autres. On gagnerait à rétablir par la même occasion la balance au niveau des classes les plus défavorisées qui en plus de leur genre, rencontrent d’autres difficultés.
Pour sortir de l’exemple de la France, j’aimerais aussi citer l’Institut suédois du cinéma (SFI) qui a conclu un accord exigeant que le financement de la production des réalisateurs, des scénaristes et des producteurs soit réparti de manière égale - dans une proportion de 50/50 - entre les hommes et les femmes. L’objectif a été atteint avec succès, faisant de la Suède le premier pays au monde à atteindre la parité hommes-femmes dans le financement public des films. Il y a aussi des initiatives telles que le “ Carmen Santos Award – Cinema by Women” au Brésil qui vise à donner une visibilité accrue au travail des réalisatrices et des techniciennes, afin de promouvoir l’égalité des chances dans le secteur audiovisuel brésilien avec une attention particulière aux femmes indigènes, aux femmes afro-brésiliennes et aux femmes issues de groupes vulnérables. Il y a les bourses dédiées aux femmes et à l’éducation, je pense notamment à Tribeca et son programme « Through her Lens » qui promeut les voix féminines émergentes dans le cinéma indépendant, il y a aussi « Women in Film » qui offre des bourses aux femmes en plus de sessions de mentorship et de mise en relation...
Une telle mesure est-elle viable au Maroc ?
Je ne vois aucune raison qui pourrait rendre cette décision non viable au Maroc. Nous avons les ressources et les compétences nécessaires. Au contraire, cela encouragerait les femmes à postuler et à se sentir valorisées dans les équipes de tournage et par leur gouvernement. Cela encouragerait aussi les femmes à envisager ce type de métier dès leurs études. Un petit tour sur un plateau de tournage et on se rend compte que « This is a Man’s World… » (C’est un monde d’hommes). Ce n’est pas très encourageant car quand on ne se voit pas représenté, on a du mal à se projeter. Et comme le dit la suite de la chanson « But it would be nothing without a woman or a girl ».
Je travaille aussi personnellement à ajouter ma pierre à l’édifice à travers la Fondation Tamayouz que j’ai créée en compagnie de 5 cinéastes marocaines talentueuses et déterminées à faire bouger les mentalités. La Fondation a pour but d’offrir des bourses aux jeunes filles désirant étudier dans le cinéma et plus tard une formation sur le terrain en vue d’avoir les meilleurs outils pour travailler dans le domaine de la production et de la réalisation. La pandémie n’a pas facilité les choses mais nous pensons pouvoir aller au bout de nos espérances ! Je serai plus que ravie de voir des initiatives telles que celles-ci fleurir au Maroc que ce soit une décision de l’Etat ou de guerrières indépendantes.
Propos recueillis par Chady Chaabi
Lire également Parité du genre dans l’industrie du film au Maroc. Fiction ou réalité ?
Lamia Chraibi : Rares sont les pays où il existe une parité… et encore ils y travaillent toujours. Ce n’est pas un cas spécifique au Maroc, ni à une industrie en particulier. Les chiffres sont là pour en attester. D’ailleurs, la plupart des sondages qui viennent corroborer cette disparité sont faits dans des pays plus développés où le financement de ce type de recherches est possible. Nous pouvons trouver, en quelques clics, les études faites pour le CNC autour de cette problématique pour citer l’exemple de la France... Comme partout dans le monde et dans cette industrie, on remarque que le nombre de femmes techniciennes/créatives est minoritaire, que l’accès à l’éducation est amoindri pour les femmes, que le harcèlement sexuel et la domination masculine dissuadent bon nombre de femmes à accéder à l’industrie audiovisuelle, que le labeur des femmes est souvent sous-évalué ce qui résulte en salaires moindres… mais pas que ! C’est d’un système qu’on parle et non d’un phénomène.
C’est surtout une question d’éducation et de mentalité qui fait que les femmes aussi ne se voient pas en mesure d’évoluer dans un environnement patriarcal et que le statu quo ne leur facilite pas la tâche; les études ont démontré que les femmes ont plus de mal à demander des augmentations de salaire, à s’imposer, à faire écouter leurs voix de façon créative et entrepreneuriale… Plusieurs femmes intègrent des écoles de cinéma et de production pour ensuite se retrouver confrontées à la dure réalité du marché qui est souvent du côté des hommes bien plus implémentés dans le domaine. C’est un vrai combat pour les femmes marocaines d’être indépendantes dans des familles souvent à faible revenu…
On constate aussi une sous-représentation des femmes dans les métiers dits plus «techniques» du cinéma, comment expliquer cela ?
Heureusement que nous avons pu constater ces dernières décennies un intérêt grandissant pour cette question dans les milieux socioéconomiques. Nous avons plus de ressources et d’accès à l’information quant à ce sujet. Les métiers dits techniques (et même créatifs) sont à dominance masculine depuis que cette industrie a vu le jour. C’était la norme et ça l’est resté. Ce sont des métiers prenants, physiquement et émotionnellement, et on juge bien trop souvent que le rôle des femmes est de se cantonner dans des rôles de maquilleuse, coiffeuse, script, monteuse, actrice... Nous verrons moins de techniciennes cheffes machino, cheffes électriciennes … il est rare, si ce n’est impossible, de trouver ses postes occupés par des femmes. Etant aussi sous un régime patriarcal, il y a beaucoup d’autres facteurs qui peuvent expliquer cela. Les discussions sur l’égalité des sexes dans l’industrie cinématographique ont pris de l’ampleur dans le contexte de la réflexion suscitée par le mouvement mondial #metoo contre le harcèlement sexuel. Bien qu’elles soient minoritaires en nombre, elles se battent deux fois plus pour faire valoir leurs compétences et leur savoir-faire. Si la sous-représentation significative et les disparités persistantes émanent d’un système, le fait qu’elles y soient quand même émane, quant à lui, d’un long combat, d’une force et d’une volonté que je tiens à encourager.
Il y a une impartialité également en termes de salaires ?
Dans le milieu de l’audiovisuel, les rares femmes qui arrivent à percer dans le cinéma sont celles qui ont dû traverser de nombreuses épreuves et ont acquis la force d’exiger une rémunération égale à celle des hommes pour la plupart. Sur le papier, les tarifs syndicaux sont unisexes et c’est à la personne de défendre sa rémunération… il est néanmoins utile de toujours rappeler que nous sommes dans un système qui n’encourage pas les femmes à demander plus (les études démontrent que les femmes ont beaucoup plus de mal à se sentir habilitées à demander plus) et que la plupart des employeurs – presque inconsciemment- ne voient pas les femmes en droit d’avoir plus. Nous sommes toujours dans cette idée qu’un homme est supposé être un « chef de famille » donc plus en mesure d’avoir plus et de produire plus. Mais pour ma part, je vois beaucoup de femmes dans le domaine refuser de se faire exploiter.
Avez-vous été confrontée à une forme d’impartialité en tant que femme ?
Il est très difficile pour moi de répondre à cette question car jusqu’à présent, je pensais avoir été épargnée donc n’avoir à répondre que par la négative à ce genre de questions. Mais il y a peu de temps, je me suis retrouvée victime d’un abus de pouvoir flagrant. Ma défense, légitime, était de crier à l’injustice. Je me suis confrontée à une compréhension biaisée de la situation du fait que je sois une femme. La réaction masculine globale était de chercher ce que j’ai pu provoquer pour en arriver là. C’est à ce moment que j’ai compris la vulnérabilité dans laquelle les femmes peuvent se retrouver coincées et doivent souvent justifier qu’elles n’en sont pas responsables. Par ailleurs, quand une femme est sujette à du harcèlement, on lui demande de le prouver, mais au Maroc, on lui demande ce qu’elle a fait pour le provoquer.
L’une des solutions envisagées en France par exemple est d’accorder des subventions en plus pour inciter les producteurs de films français à engager plus de femmes dans leurs équipes. Qu’en pensez-vous ?
C’est un pas concret en avant. Ce type de démarche, bien que controversé, est essentiel à mon sens. C’est par définition une mesure temporaire, visant à éradiquer une inégalité qui s’est construite au fil du temps. Une fois implémentées, ces mesures seront levés d’elles-mêmes car elles n’auront plus aucune utilité dans un monde égalitaire. Les mentalités auront évolué et les disparités se seront amoindries. Dans ce sens, il est essentiel de noter que toutes les femmes ne sont pas logées à la même enseigne et que certaines ont eu beaucoup plus de privilèges que d’autres. On gagnerait à rétablir par la même occasion la balance au niveau des classes les plus défavorisées qui en plus de leur genre, rencontrent d’autres difficultés.
Pour sortir de l’exemple de la France, j’aimerais aussi citer l’Institut suédois du cinéma (SFI) qui a conclu un accord exigeant que le financement de la production des réalisateurs, des scénaristes et des producteurs soit réparti de manière égale - dans une proportion de 50/50 - entre les hommes et les femmes. L’objectif a été atteint avec succès, faisant de la Suède le premier pays au monde à atteindre la parité hommes-femmes dans le financement public des films. Il y a aussi des initiatives telles que le “ Carmen Santos Award – Cinema by Women” au Brésil qui vise à donner une visibilité accrue au travail des réalisatrices et des techniciennes, afin de promouvoir l’égalité des chances dans le secteur audiovisuel brésilien avec une attention particulière aux femmes indigènes, aux femmes afro-brésiliennes et aux femmes issues de groupes vulnérables. Il y a les bourses dédiées aux femmes et à l’éducation, je pense notamment à Tribeca et son programme « Through her Lens » qui promeut les voix féminines émergentes dans le cinéma indépendant, il y a aussi « Women in Film » qui offre des bourses aux femmes en plus de sessions de mentorship et de mise en relation...
Une telle mesure est-elle viable au Maroc ?
Je ne vois aucune raison qui pourrait rendre cette décision non viable au Maroc. Nous avons les ressources et les compétences nécessaires. Au contraire, cela encouragerait les femmes à postuler et à se sentir valorisées dans les équipes de tournage et par leur gouvernement. Cela encouragerait aussi les femmes à envisager ce type de métier dès leurs études. Un petit tour sur un plateau de tournage et on se rend compte que « This is a Man’s World… » (C’est un monde d’hommes). Ce n’est pas très encourageant car quand on ne se voit pas représenté, on a du mal à se projeter. Et comme le dit la suite de la chanson « But it would be nothing without a woman or a girl ».
Je travaille aussi personnellement à ajouter ma pierre à l’édifice à travers la Fondation Tamayouz que j’ai créée en compagnie de 5 cinéastes marocaines talentueuses et déterminées à faire bouger les mentalités. La Fondation a pour but d’offrir des bourses aux jeunes filles désirant étudier dans le cinéma et plus tard une formation sur le terrain en vue d’avoir les meilleurs outils pour travailler dans le domaine de la production et de la réalisation. La pandémie n’a pas facilité les choses mais nous pensons pouvoir aller au bout de nos espérances ! Je serai plus que ravie de voir des initiatives telles que celles-ci fleurir au Maroc que ce soit une décision de l’Etat ou de guerrières indépendantes.
Propos recueillis par Chady Chaabi
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