D’après une étude réalisée par l’Association démocratique des femmes du Maroc (ADFM), les femmes représentent 11,3% des Comités de direction et organes de décision des organisations professionnelles dans le milieu du cinéma contre 88,7% pour leurs homologues masculins. Seulement deux des 18 festivals de cinéma organisés dans le Royaume sont présidés par des femmes. Et enfin, en 2018, les réalisatrices auraient reçu 10 fois moins que les réalisateurs en termes d’avance sur recettes, même si cette dernière donnée est à relativiser à cause du faible nombre de femmes réalisatrices comparé à celui des hommes.
Interrogée sur le sujet dans le cadre d’un reportage qui sera publié dans notre prochaine édition, l'humoriste et actrice marocaine Hanane El Fadili résume assez bien la situation avec une pointe d’humour : “Comme j'interprète des personnages hommes et femmes, j’ai l’impression d'être égale à moimême. Mais il est vrai que tant que la femme a du mal à sortir seule, tant que la femme a du mal à s’imposer d’ellemême, sans que la société lui impose certains dogmes, les disparités seront toujours d’actualité.” En fin à une nuance près. Les tenants et les aboutissants du déséquilibre dans l’industrie du film diffèrent de ce que l’on pense. A travers divers témoignages, Libé a tenté de braquer les projecteurs sur un vieux serpent de mer. Une tendance qui n’est pas près de s’inverser, en l’absence d’une réelle prise de conscience collective et sociétale, et une volonté politique déterminée à renverser l’ordre préétabli.
Des fonctions genrées ou subordonnées
Cette domination masculine et, par ricochet, sous-représentation féminine dans l’industrie du film, est illustrée par des femmes souvent dévolues à des fonctions traditionnellement genrées ou subordonnées. “Les femmes sont en effet quasi absentes de certains départements comme la machinerie, l'électricité, le son ou le montage. Mais elles apparaissent progressivement dans les départements caméra et assistanat. A l'opposé, elles sont majoritaires dans certains départements tels que la production, le maquillage, la coiffure ou le script”, abonde Hajar Belkasmi, coordinatrice de production chez K-Film.
Lauréate en montage à l’Ecole supérieure des arts visuels de Marrakech il y a une dizaine d’années, Hajar Belkasmi explique cet amer constat par le fait que les femmes ont tendance à s’éloigner “des postes techniques ou des postes qui requièrent une force physique, pour opter plutôt pour des postes administratifs, organisationnels, artistiques, ou d’autres liés au sens de l'observation”. ”Pendant mes études, j’étais la seule femme dans ma spécialité”, embraye Sanaa Fadel, ingénieur du son et également lauréate de l’ESAV. Pour elle, les raisons de ce déséquilibre sont multiples dont la rareté des formations en audiovisuel “excepté un seul centre OFPPT à Casablanca, ultrasélectif, et qui n’acceptait que des candidats ayant plus de 14 de moyenne au baccalauréat”, s’insurge-t-elle avant d’ajouter : “Une femme ayant eu plus de 14 de moyenne s’orientera vers un secteur plus rémunérateur et conventionnel. D’autant qu’à mon époque, il n’y avait pas d'orientation ou de personnes qui pouvaient te donner envie d'intégrer l’industrie du film.” Si l’écueil des formations n’est plus d’actualité, tant les établissements supérieurs d’audiovisuel ont poussé ces dernières années comme les champignons en automne, les frais de scolarité et les à-côtés sont un plafond de verre auquel les étudiants sont souvent confrontés”. Il n’est pas évident de convaincre ses parents de non seulement payer des frais de scolarité conséquents, mais en plus, pour ne parler que de mon métier d’ingénieur du son, il a aussi fallu les persuader d’acheter du matériel, soit un second investissement. Et tout cela avant même de pouvoir commencer à travailler”, nous explique Sanaa Fadel, qui a eu toutes les peines du monde à se procurer du matériel de qualité. “Ce genre d’information circule facilement entre les hommes. Ils s’entraident et partagent entre eux les contacts des fournisseurs”, regrette-telle, sans pour autant s’appitoyer sur son sort.
Un sexisme latent
Sa force de caractère et sa détermination lui ont permis de se faire une place de choix dans un métier qui en laisse d’habitude que trop peu à la gente féminine. Et ce, en dépit des remarques sexistes du genre «une femme ingénieur du son ?». Remarques qui ont longtemps semblé anodines mais qui ne doivent plus l'être. Car ces comportements ont la dent dure, quand bien même certains partent d’un bon sentiment : “ Il y avait des attitudes qui me dérangeaient, comme quand tout le monde veut toujours m’aider, alors que j’ai l’habitude de travailler seule. Certes, c’est plus de la gentillesse, mais j’avais l’impression qu’ils me rabaissaient, qu’ils pensaient que j’en étais incapable”.
Hajar Belkasmi nous assure, quant à elle, “nullement ressentir l'inégalité des genres”. Pourtant, avant de se tourner vers le métier de coordinatrice de production, “j'ai fait un court passage par une boîte de production de publicité marocaine où j'étais la seule monteuse femme dans une société majoritairement masculine”, se souvient-elle. En revanche, elle concède volontiers que “la société dans laquelle je travaille actuellement est parfaitement égalitaire, probablement car elle est dirigée par une femme, qui, par contre, est minoritaire à son poste puisqu’il y a moins de productrices que de producteurs”. Autrement dit, quand les femmes sont au pouvoir, les inégalités de genre ont plus de mal à s’enraciner. “A mon avis, être dirigée par une femme, en l’occurrence Mme Khadija Alami, montre aussi que parfois la meilleure force de la femme est la femme”, poursuit Hajar Belkasmi. “Des fois, je faisais exprès d’engager une femme comme assistante ou comme Perchewomen”, nous indique Sanaa Fadel “parce que je sais que je m’entend mieux avec elle. Et si on doit louer une chambre ou un appartement, on sera plus à l’aise entre femmes”.
A l’évidence, l'entre-soi féminin fait petit à petit son chemin, mais représente-t-il pour autant une solution durable ? Sur le terrain, il se pourrait que cette hypothèse ait fait un bout de chemin. Mais principalement en raison de considérations pratiques“. J’ai reçu pas mal d’opportunités pour des documentaires avec des réalisatrices qui travaillent exclusivement avec des femmes”, se souvient Sanaa Fadel. Puis d’expliquer : “Les femmes qui participent à un documentaire ne sont pas forcément des comédiennes. Par conséquent, elles se sentent plus à l’aise avec une femme ingénieur du son, surtout lorsqu’il faut installer son micro par exemple. Voilà pourquoi je pense que dans le métier d’ingénieur du son, tout particulièrement, les femmes ont un avantage.”
Cela dit, l’entre-soi féminin n’est pas pour autant gage de blanc-seing. “Il faut aussi souligner que, parfois, la femme peut être le pire ennemi de la femme”, prévient Hajar Belkasmi. ‘’Une femme recrutée par un homme, consciente de la chance qu’elle a, tend à moins laisser évoluer ses subordonnées femmes par peur qu'elles lui piquent sa place. Donc parfois lorsqu'il y a une inégalité, elle n'est pas toujours causée par la majorité, l'inégalité peut aussi provenir de la minorité qui, consciente de la fragilité de sa position, défend ses acquis en écartant les autres femmes”, conclut amèrement Hajar Belkasmi. En somme, pour peu que les femmes croient en leurs chances et leurs capacités, il y a fort à parier que les inégalités se réduisent comme peau de chagrin. Des inégalités auxquelles il faut soustraire les salaires. “Je ne pense pas que je sois moins payée que les hommes car je suis une femme. Dans mon métier, il n’y a pas de barème fixe. On négocie nos salaires à la semaine ou à la journée. Donc ce qui pourrait influencer le salaire, ce serait l’expérience et la compétence”, argue Sanaa Fadel, pour qui la véritable plaie de l’industrie du film est à chercher du côté des conditions de tournage.
“Déjà une femme en tournage est obligée de laisser un peu de côté sa féminité, en s’habillant de manière à être à l’aise pour pouvoir être libre de ses mouvements. Mais pire encore, les femmes fuient ce domaine à cause des conditions dantesques". Des journées de travail qui commencent parfois à 7h du matin pour se terminer à minuit. Soit des heures supplémentaires non rémunérées. Des conditions météorologiques parfois dantesques. Des repas qui souvent laissent à désirer. Ce sont là autant de désidératas auxquels sont confrontés aussi bien les femmes que les hommes, “mais qui sont plus difficiles à supporter pour les femmes”, convient Sanaa Fadel, pour qui des mesures comme accorder des subventions aux producteurs afin de les inciter à engager plus de femmes “se révéleront inefficaces en l’absence d’une amélioration des conditions de tournage”. Conditions qui l’ont d’ailleurs poussée à délaisser les plateaux de cinéma pour la postproduction et notamment le mixage. “Justement afin de pouvoir créer mes propres conditions de travail en ouvrant mon propre studio”, se réjouit-elle. A l’évidence, l’inégalité du genre dans l’industrie du film est une réalité aux multiples ramifications. Des projets ambitieux comme celui porté par l’UNESCO sont un bon début mais pas une finalité en soi (voir encadré). Au vrai, l’industrie du cinéma étant à l’image de la société, l’implication de tous est non négociable, femmes comprises, aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur des plateaux de tournage.
Chady Chaabi
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Après trois ans de mise en œuvre, ce projet a œuvré à la réalisation de la première étude dans la région présentant le résultat d’un Monitoring de l'égalité des genres dans les films et l'industrie du film d’expression arabe. Mais aussi à la création d’un annuaire en ligne des femmes professionnelles du film et une campagne de plaidoyer pour la promotion de l'égalité des genres. Sans oublier le lancement d’un processus de sensibilisation des entités publiques nationales, soutenant le développement du film et les industries créatives sensibles au genre dans la région Maghreb-Machrek. On peut également noter la mise en place de «SISTERS IN FILMS» un réseau d'échange d’expertises, de développement personnel, et de solidarité entre professionnelles.
Le projet a consacré une enveloppe budgétaire à hauteur de 760.000.00 euros à des organisations de la société civile basées dans la région, qui ont permis de renforcer les capacités de plus de 200 acteurs associatifs en matière de monitoring et de plaidoyer pour l’égalité des genres, et de répertorier plus de 190 femmes professionnelles du cinéma originaires d’Algérie, d’Egypte, de Jordanie, du Liban, de Libye, du Maroc et de Tunisie, dans l’annuaire en ligne Arab Women In Films.