Moussaoui Ajlaoui : Le comble de l’absurdité, c’est que l’Algérie a deux voix au sein de l’UA, la sienne et celle du polisario qui ne prend jamais le contrepied de son mentor algérien


Mourad Tabet
Mercredi 27 Novembre 2024

Moussaoui Ajlaoui : Le comble de l’absurdité, c’est que l’Algérie a deux voix au sein de l’UA, la sienne et celle du polisario qui ne prend jamais le contrepied de son mentor algérien
Dans cet entretien, Moussaoui Ajlaoui, expert associé à Ames-Center, nous livre sa lecture de la teneur du dernier discours de S.M le Roi Mohammed VI, à l’occasion du 49ème anniversaire de la Marche Verte, et des derniers développements concernant la question du Sahara marocain tels que la reconnaissance de la marocanité du Sahara par la France, le retour de Trump à la Maison-Blanche et la dernière résolution du Conseil de sécurité.
La reconnaissance française de la marocanité
du Sahara enterre définitivement
les références onusiennes de 1991.
Libé : Dans son discours à l’occasion du 49ème anniversaire de la Marche Verte, le Souverain a adressé de forts messages à des parties sans les nommer. Quelle lecture faites-vous de la teneur de ce discours ?

Moussaoui Ajlaoui : Les discours commémorant l’anniversaire de la Marche Verte constituent toujours une occasion pour le Souverain de s’adresser directement au peuple marocain pour étayer des développements de la question du Sahara. C’est une tradition à laquelle tient la monarchie depuis 1975, date de la récupération du Sahara. La question qui se pose maintenant est : quelle est la spécificité du discours prononcé cette année ? Il ne faut pas, comme l’a mentionné S.M le Roi dans son discours, dissocier sa teneur du contexte géopolitique ayant trait à la question du Sahara marocain.
On espère que les relations avec les Etats-Unis en ce qui concerne la Cause
nationale, durant le mandat de Trump,
progresseront à un niveau tel que la solution politique sera devenir une réalité tangible.
Le discours intervient dans un contexte marqué par l’élan donné à la souveraineté du Royaume sur ses provinces du Sud par le nombre croissant des soutiens au plan d’autonomie proposé par le Maroc depuis 2007, l’ouverture de consulats à Laâyoune et Dakhla, et l’extension de la juridiction consulaire aux provinces sahariennes par plusieurs pays.

Il y a, en revanche, des parties, certes minoritaires, qui manœuvrent pour retourner en arrière, et plus précisément aux décisions onusiennes de 1991. Cependant, la réponse du Conseil de sécurité (CS), ainsi que le dernier rapport du Secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, (adressé au CS au début d’octobre 2024) étaient fort clairs, car ils font référence aux résolutions de 2018, à l’action des deux anciens envoyés personnels, notamment Horst Kohler, et aux tables rondes organisées sous les auspices de l’ONU avec la participation de toutes les parties (Maroc, Algérie, Mauritanie et polisario).
Il va sans dire qu’il y a un changement fondamental au niveau international à propos du Sahara marocain.

Deux membres permanents du CS reconnaissent la souveraineté du Royaume sur son Sahara, à savoir les Etats-Unis et la France, ainsi que trois pays du Groupe des amis du Sahara (Etats-Unis, France, Espagne). La Grande-Bretagne pourrait prochainement leur emboîter le pas. Il y a un changement international en faveur du Maroc et la teneur du dernier discours Royal l’a très bien reflété.

Qu’en est-il des messages envoyés par le Souverain dans ce discours ?

Ce discours regorge de plusieurs messages forts adressés non seulement à l’Algérie, mais également à d’autres parties.
Le premier message est adressé à l’ONU, et tout particulièrement à Staffan de Mistura. S.M le Roi a mis l’accent sur la réalité tangible qui est aux antipodes de la vision sclérosée de certaines parties, vision coupée du monde réel et de ses évolutions. Le Souverain faisait vraisemblablement allusion à la proposition de partition du Sahara de de Mistura, qui est en fait une proposition algérienne, ainsi qu’à l’idée soufflée par l’Envoyé personnel selon laquelle le Royaume devrait détailler sa proposition d'autonomie, alors que le Maroc exige que ladite proposition soit acceptée avant d’entrer dans les détails. Pis encore, il y a certaines parties qui voudraient changer les paramètres du conflit sur le plan juridique à l’ONU qui détient l’exclusivité de traiter cette affaire. Sur ce point-là, le discours du Souverain était clair. S.M le Roi a textuellement fait savoir que les engagements juridiques du Maroc ne se feront jamais au détriment de son unité nationale et de son intégrité territoriale.

Le deuxième message est adressé à l’UE. Celle-ci est tenue d’assumer pleinement sa responsabilité pour préserver et protéger le partenariat stratégique avec le Maroc face à ceux qui détournent les aspects juridiques de la question du Sahara marocain à des fins politiques étriquées.

Le troisième message est envoyé au régime algérien dont le rêve est d’accéder à l’océan Atlantique. Le Souverain a affirmé que le Royaume n’y est nullement opposé, en rappelant que le Maroc a déjà proposé l'Initiative Atlantique en faveur des pays enclavés du Sahel, une initiative internationale ambitieuse tendant à faciliter l’accès de ces Etats à l’océan Atlantique. Le Souverain a assuré que l’Algérie pourrait y adhérer.

La résolution 2756 du Conseil de sécurité de l'ONU a consacré encore une fois la prééminence de l’initiative marocaine d’autonomie comme solution pour le conflit artificiel  autour du Sahara marocain et a, par ricochet, asséné un camouflet à la junte militaire dont l’intervention pathétique de son représentant à l’ONU  a dévoilé ses déboires. Quelle lecture faites-vous de cette nouvelle résolution ?

Le Maroc se félicite toujours des résolutions du CS, surtout depuis 2007, alors que les autres parties, notamment l’Algérie, s’y opposent systématiquement. L'Envoyé personnel du S.G de l'ONU pour le Sahara, Staffan de Mistura, aurait dû mettre l’accent sur ce constat lors de son briefing devant les membres du CS.

De toute façon, le Royaume a salué cette résolution, car elle fait référence à celles du CS depuis 2007, qui consacrent la prééminence du plan d’autonomie comme solution politique à la question du Sahara et enterrent définitivement l’option référendaire caduque et inapplicable. En d’autres termes, le CS considère que le plan d’autonomie s’inscrit dans le droit-fil de la légalité internationale et appelle les autres parties à respecter cette orientation.

En outre, la résolution insiste sur la poursuite du processus des tables rondes et le recensement de la population séquestrée dans les camps de Tindouf. Pour toutes ces raisons, le Maroc ne peut que se féliciter d’une résolution qui conforte sa position et consolide ses acquis.

Moussaoui Ajlaoui : Le comble de l’absurdité, c’est que l’Algérie a deux voix au sein de l’UA, la sienne et celle du polisario qui ne prend jamais le contrepied de son mentor algérien
Ce qui est étonnant lors du vote de la nouvelle résolution est l’attitude du régime algérien. Comment l’expliquez-vous ?

L’intervention du représentant du régime algérien – je fais une nette distinction entre le peuple et le régime algérien qui cherche coûte que coûte à envenimer les relations fraternelles entre les deux peuples - a fait tomber les masques de ce régime qui ne cesse de claironner sur tous les toits qu’il n’est qu’un simple pays observateur.  
De Mistura a proposé une solution qui est aux antipodes de la réalité internationale et nationale concernant la question du Sahara.
De mon point de vue, la dernière résolution du CS sonne comme un rappel à l’ordre pour de Mistura.
Tout le monde sait maintenant que l’Algérie est la principale partie dans l’affaire du Sahara, sinon comment expliquer le fait qu’elle ait rappelé son ambassadeur à Paris et à Madrid en guise de protestation contre la décision de la France et de l’Espagne de reconnaître la souveraineté du Royaume sur son Sahara, et comment expliquer la convocation des ambassadeurs de l'UE à Alger pour leur demander des explications sur les déclarations de leurs pays suite à l'arrêt de la CJUE relatif aux accords Maroc-UE sur la pêche et l’agriculture, une première dans les annales des relations internationales.

Une chose est sûre : c’est l’Algérie qui parle de la question du Sahara et manœuvre contre l’intégrité territoriale du Royaume au sein de l’UA. Le comble de l’absurdité, c’est que l’Algérie a deux voix dans cette institution panafricaine, la sienne et celle du polisario qui ne prend jamais le contrepied de son mentor algérien. Les Africains sont conscients maintenant de cet état de fait.

Par ailleurs, on a tous vu que l’Algérie était dans une situation pathétique lors de la réunion du CS du 31 octobre dernier. Mis au pied du mur, le régime algérien avait l’embarras du choix : soit voter en faveur du projet de résolution, ce qui était impossible; soit s’abstenir, ce qui était également exclu, car l’abstention signifie que l’on est d’accord sur la teneur de la résolution 2756, mais qu’on en conteste la forme; soit refuser le projet de résolution, et auquel cas, l’Algérie aurait été le seul pays au sein du CS à s’y opposer, ce qui prouverait son isolement sur la scène internationale. C’est pourquoi l’Algérie a choisi la solution la moins pire, à savoir ne pas participer carrément au vote.   

Mais, à mon avis, le comble de l’idiotie du régime algérien, c’est que son représentant à l’ONU a voulu reformuler le projet de résolution préparé par le penholder américain via la présentation de 23 amendements. C’est, à vrai dire, inédit dans l’histoire de l’ONU.

Est-ce que la résolution 2756 ne constitue pas un désaveu pour de Mistura qui a soufflé dans son briefing la proposition de partition?

De Mistura a proposé des solutions qui sont aux antipodes de la réalité internationale et nationale concernant cette question. De mon point de vue, la résolution du CS sonne comme un rappel à l’ordre pour de Mistura.

Donald Trump a été réélu à la tête des Etats-Unis, est-ce qu’il va y avoir des évolutions substantielles dans le dossier du Sahara durant le nouveau mandat présidentiel de Trump, sachant que durant le règne de Biden, qui a certes maintenu la décision de Trump de 2020, on a ressenti quelque flottement de la part des démocrates et on n’a pas vu une traduction de la décision de Trump en actes tangibles sur le terrain ?

Tout le monde se rappelle qu’au début du mandat de Biden, le régime algérien misait sur l’annulation de la décision de Trump de reconnaître la souveraineté du Royaume sur son Sahara. L’administration Biden a annulé plusieurs décisions prises par Trump, mais elle a, par contre, entériné celle concernant le Sahara marocain. Il faut également reconnaître que, sur le plan des investissements, plusieurs délégations d’hommes d’affaires américains et du Congrès ont visité Laâyoune et Dakhla durant le mandat de Biden.

Entre-temps, la diplomatie marocaine a fait preuve de patience et de sagacité en respectant les termes de l'accord tripartite et en exhortant les autres parties à faire de même.
Dans son message de félicitations adressé à Donald Trump, le Souverain aspire à raffermir les relations entre le Maroc et les Etats-Unis et à ce que la nouvelle administration de Trump poursuive le processus engagé à la fin de son premier mandat.

On espère que les relations avec les Etats-Unis en ce qui concerne la Cause nationale progresseront jusqu'à un niveau où la solution politique pourra devenir une réalité tangible. Cette tendance pourrait pousser une autre grande puissance, à savoir la Grande-Bretagne, à emboîter le pas aux Etats-Unis, et le Conseil de sécurité à adopter pleinement la proposition d’autonomie proposée par le Maroc en 2007 comme unique solution politique. Ce serait alors une victoire majeure pour la Cause nationale.

Est-ce que la reconnaissance de la marocanité du Sahara par un autre membre permanent du CS, en l’occurrence la France, pourrait accélérer le processus menant à un règlement définitif de ce dossier ?

La France a soutenu la proposition marocaine depuis 2007, mais sa reconnaissance de la marocanité du Sahara consolide la tendance internationale actuelle vers une solution définitive de ce différend régional via le plan d’autonomie. En effet, la nouvelle position de la France renforce au niveau international la logique de la solution politique réaliste. Ce mécanisme de reconnaissance de la souveraineté du Maroc sur son Sahara ferme définitivement la porte aux manœuvres des parties hostiles qui rêvent d’un changement de référence onusienne concernant l’approche des Nations unies dans l’affaire du Sahara. Par conséquent, la nouvelle position française a enterré définitivement les références onusiennes de 1991.

Le groupe séparatiste à la solde de la junte militaire algérienne a commis un nouveau forfait en menant une attaque terroriste contre les civils à Mahbès. Est-ce que cet acte terroriste pourrait être interprété comme un signe de désespoir ou plutôt comme un prélude à un éventuel conflit armé entre le Maroc et l’Algérie ?

Le polisario ne peut attaquer militairement le Maroc sans le feu vert des autorités militaires algériennes.
Les tentatives militaires du polisario s’inscrivent toujours dans un contexte politique international comme les réunions du Conseil de sécurité sur le Sahara. Le but est de faire pression sur les décisions onusiennes.
L’ONU s’inquiète d’une éventuelle évolution provoquée par Alger vers une
confrontation militaire directe entre l’Algérie et le Maroc. C’est pour
cette raison que le S.G de l’ONU confie allusivement une nouvelle mission à la MINURSO, celle de contrôler les frontières entre l’Algérie et le Maroc.
Le rapport annuel du S.G de l’ONU sur le Sahara limite, et ce depuis 2020, l’impact de ces attaques. Au paragraphe 12, le S.G confirme que « la plupart des tirs signalés à la MINURSO par les parties sont restés concentrés dans la région nord près de Mahbès… ». Le paragraphe 2 a souligné que la situation dans la région «a continué à se caractériser par des tensions et des hostilités de faible intensité … ». Cela confirme que les tirs sporadiques du polisario à ce stade n’impactent pas la situation militaire. Mais l’ONU est inquiète d’une éventuelle évolution de ce feu vert algérien vers une confrontation militaire directe entre l’Algérie et le Maroc, d’où l’insistance du S.G sur l’importance du maintien de la MINURSO dans la région. Autrement dit, le S.G de l’ONU confie allusivement une nouvelle mission à la MINURSO, celle de contrôler les frontières entre l’Algérie et le Maroc.

Propos receuillis par Mourad Tabet


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