En cette ville qui génère le plus fort pourcentage de création de richesses à l’échelle nationale, près de 3.000 rues n’ont jamais été baptisées alors que des milliers d’autres l’ont été à répétition.
A titre d’exemple, le Maârif a dû troquer les noms joliment ciselés de ses montagnes pour celui d’érudits et hommes d’Etat du Moyen-Age qui ont l’heur ou plutôt le mauvais goût d’être difficiles à retenir puisque commençant tous ou presque par Bnou-quelque-chose. Idem pour l’Oasis ou Franceville dont les noms de fleurs se sont vite fanés à la vue de la ribambelle de ceux qui les ont remplacés. Même les rues des quartiers populaires n’ont pas échappé aux foudres vengeresses de nos édiles locaux que tout le monde sait amnésiques et fort peu au fait de l’importance des odonymes dans l’organisation urbaine et sociale.
Une rue est, en effet, un espace de sociabilité, de rencontres, d’échange et de contestation. C’est donc potentiellement un espace politique autant qu’un adjuvant qui permet de cimenter la mémoire commune de milliers d’hommes et de femmes qui ont choisi la ville comme lieu de vie, de labeur et d’épanouissement personnel.
Au même titre qu’un pays, une ville se veut le porte drapeau de certaines valeurs et ce sentiment se traduit dans le nom de ses rues et places. Toutes les villes du monde défendent donc, par leurs plaques, l’image qu’elles donnent d’elles-mêmes.
Aussi les noms de leurs vieilles rues conservent-ils le souvenir de ceux qui les ont choisis et que les noms des rues nouvelles contribuent à perpétuer la mémoire des grands hommes et des grandes actions dont la nation s’enorgueillit.
En outre, pour qu’un nom soit choisi, il ne suffit pas qu’il soit digne de l’être mais il doit aussi être d’orthographe et de prononciation faciles, tout en étant facile à retenir.
Le malheur des Casablancais, c’est qu’on leur a fait accroire que leur ville devrait faire peu de cas de la mémoire commune de ses habitants pour mieux répondre aux nécessités d’une incontournable modernité qui a pris, chemin faisant, les allures d’un ineffable laisser-aller et d’une spéculation forcenée. De fait, il ne s’agit ni plus ni moins que d’une fausse modernité qui alimente la violence urbaine et les comportements irrespectueux des lois et normes en vigueur.
Si l’on n’y prend pas garde, l’absence de ces repères urbains que sont les noms de rues ou leurs changements répétitifs ne feront qu’alimenter davantage ce fléau.