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L’écrit de feu Abderrahim Bouabid que nous publions a été rédigé d’un seul trait, à Missour, au cours de l’hiver 1981-82. Le texte de ce manuscrit évoque une période charnière dans le processus qui a conduit à la fin du protectorat. De l’épisode d’Aix-les-Bains aux
entretiens d’Antsirabé, en passant par l’évocation des mouvements insurrectionnels, l’auteur s’emploie à restituer le climat de
tensions, d’incertitudes et de tâtonnements qui préfigure le dénouement de la crise franco-marocaine dont l’été 1955 reste un moment fort. L’occasion lui est ainsi fournie de donner sa lecture des événements. Surtout et s’agissant de ce qui deviendra a posteriori la « controverse d’Aix-les-Bains », l’auteur développe ses arguments et revient sur le sens, les motivations et la portée de cette rencontre. L’histoire de l’indépendance du Maroc,
est, de ce point de vue, sans doute aussi l’histoire d’un système complexe d’équivoques et de tensions qui structurent dès son origine le mouvement national. Abderrahim Bouabid nous en fournit ici un aperçu saisissant.
Ainsi, à travers cette tragi-comédie, une question précise se posait : quel était le clan qui allait l’emporter ? Celui du général de Latour et de « Présencefrançaise » ou celui des collaborateurs mêmes du résident, MM. de Panafieu et de Lipkowski ?
La relation qu’a donnée, par la suite, M. de Lipkowski des événements de ces journées, montre par quels moyens parallèles put s’effectuer le départ de Ben Arafa31.
Ainsi, les deux collaborateurs du résident avaient eu recours à l’entremise du bâtonnier Mohammed Chérif, avocat algérien installé à Tanger. Ce dernier qui avait des relations amicales avec la soeur de Ben Arafa devait jouer un rôle déterminant dans cette affaire. Une autre personnalité prêtait son concours. Il s’agissait de l’adjoint de Hajoui, Benacer Ben Omar, un ancien interprète qui avait été grièvement blessé au cours du deuxième attentat contre Ben Arafa à Marrakech en 1953. Le capitaine Oufkir, interprète du résident général, semblait aussi faire partie de l’équipe.
Sur ordre de Paris, le directeur de la Sûreté essaya de persuader Hajoui de prendre l’avion, le 30 septembre, pour répondre à une convocation urgente du gouvernement français. Comme il refusait de s’en laisser persuader, il a été placé en garde à vue à son domicile. Mais ce n’était que pure comédie. Les membres de «Présence-française» qui étaient déjà au courant de la mesure, ne tardèrent pas à se rassembler devant la demeure de leur protégé. Celui-ci put s’enfuir avec la complicité des policiers français chargés de sa garde.
Le même jour, dans la matinée, M. de Panafieu put obtenir de Ben Arafa les deux déclarations signées, annonçant la délégation du sceau au dit Moulay Abdellah Ben Moulay Hafid. Le choix de ce dernier était approuvé par Paris, sur l’insistance d’Emile Roche.
Le 1er Octobre 1955, le résident général, devait se résigner à voir Ben Arafa quitter Rabat pour Tanger, bien qu’au dernier moment, il essaya d’obtenir que le délégataire du sceau, fut proclamé héritier du trône, toujours dans le but de faire échec à la constitution d’un conseil du trône. Mais, par la suite, le gouvernement français devait passer outre cette obstruction.
Les circonstances dans lesquelles l’éloignement de Ben Arafa put finalement s’effectuer firent que l’événement fut accueilli sans enthousiasme par le peuple marocain. La poursuite et le renforcement de l’action armée demeuraient, plus que jamais, une nécessité pour le triomphe de la cause nationale.
Dans la nuit du jour du départ de Ben Arafa, l’Armée Marocaine de Libération entra en action, à la frontière des deux zones d’occupation française et espagnole. Les postes de Tizi Ouzli, Aknoul et Boured furent les premiers attaqués. Puis l’assaut prit de l’ampleur prenant l’observatoire de Bou Zineb pour cible. Une troisième attaque fut entreprise en même temps par d’autres formations de l’armée de libération dans le sud de Taza, qui s’emparèrent du poste d’Immouzer des Mermoucha dans le Moyen Atlas : le magasin d’armes permit aux résistants de récupérer 300 fusils mortier 60, plusieurs fusils-mitrailleurs et plusieurs dizaines de pistolets mitrailleurs. Alors que d’autres commandos pénétraient dans l’oriental à proximité d’Oujda, la tribu des Gzenaïya se joignit à l’armée de libération et passa de l’autre côté de la frontière.
Ce fut le commencement d’une deuxième guerre du Rif après celle qui avait été déclenchée, et glorieusement menée, 35 ans auparavant, par Abdelkrim El Khattabi. Bien entendu les effectifs de l’armée de libération étaient nettement inférieurs à ceux de l’armée française d’occupation. Mais la nature du terrain, les méthodes de guérilla et la solidarité des populations donnaient l’avantage aux guerriers marocains. Aussi, l’entrée en action de l’aviation et des blindés ne put contenir la poussée des 2.000 maquisards marocains, scindés en plusieurs commandos et opérant dans différentes directions.
Les armes et munitions qui permirent les premières opérations, provenaient en partie des achats effectués en Suisse, en Belgique, en Allemagne ou en Espagne, par Abdelkébir El Fassi, Abderrahman Youssoufi, et d’autres militants. L’autre partie de l’armement, qui semblait être la plus importante, provenait des actions conjuguées des dirigeants algériens du F.L.N et des dirigeants marocains de l’A.L.N. C’était la première fois que la solidarité maghrébine cessait d’être un slogan pour se concrétiser dans le combat contre l’occupation coloniale. Le rôle du Docteur Hafid Ibrahim, installé à Madrid depuis la fin de la 2ème Guerre mondiale, avait été déterminant. Très souvent, et cela dès 1953, il avait contribué de ses propres deniers pour fournir aux résistants et maquisards les armes qui leur faisaient défaut.
La solidarité maghrébine
Il faut remonter à 1952 pour situer les premiers contacts entre Marocains, Algériens et Tunisiens, qui allaient rendre effective la solidarité des trois mouvements de libération. Un évadé de la prison de Blida, Ahmed Ben Bella, alors inconnu, quitte clandestinement l’Algérie, pour Marseille, puis le Caire. Il se joint aux membres du Bureau du Maghreb, comprenant Allal El Fassi pour le Maroc, Salah Ben Youssef pour la Tunisie, Mohammed Khider pour l’Algérie et Fathi Dib, proche collaborateur de Nasser, chargé d’assurer la liaison avec le bureau. A l’époque, toute l’attention des dirigeants égyptiens et de la Ligue Arabe était centrée sur la Tunisie, d’abord, puis sur le Maroc. Le coup de force perpétré par le général Guillaume en 1953, était le point de départ de l’embrasement des trois pays d’Afrique du Nord. La résistance populaire dans les villes marocaines, d’abord spontanée, puis de plus en plus organisée, prenait partout de l’ampleur. La colonie française, maîtresse du secteur moderne de l’économie vivait dans l’insécurité et l’angoisse. Elle n’avait pas « la paix pour 25 ans » promise par la Résidence, après l’éloignement de Mohammed V et les arrestations massives opérées dans les rangs du parti de l’Istiqlal. Mais, à côté de la résistance urbaine, apparurent en 1954 les premiers groupes de l’armée de libération, dans le sud du pays et le long des frontières algériennes.
En Libye, les révolutionnaires tunisiens, disposaient de deux camps d’entraînement, de dépôts d’armes, sous la direction d’Abdelaziz Chouchane. Les premiers groupes de résistants algériens qui avaient été admis dans ces camps, étaient présentés aux autorités libyennes comme ressortissants tunisiens.
Ainsi, sur le plan de la lutte armée, la coordination et l’entraide entre les trois mouvements insurrectionnels s’organisaient. Quelque temps avant novembre 1954, les combattants algériens demandaient aux dirigeants marocains de la zone nord de déclencher une action contre les troupes françaises au Maroc oriental, dans le but de soutenir le soulèvement du 1er novembre en Algérie. Berkane et Mermoucha devaient être les premiers objectifs des opérations projetées. Mais celles-ci ont été décommandées, au dernier moment, faute de moyens suffisants, semble-t-il.
C’est à cette époque, que Ben Bella fit la connaissance à Berne, d’Abdelkébir El Fassi, et l’informa du prochain déclenchement de l’insurrection en Algérie. Quelque temps après, en compagnie de Boudiaf, ils rencontrèrent à Madrid le Docteur Hafid Ibrahim. Boudiaf était chargé de la direction des opérations à l’ouest du Maghreb, c’est-à-dire en zone Nord du Maroc. Il mit en place, le premier P.C du F.L.N. à Nador, et s’installa à Tétouan où il fit la connaissance des dirigeants marocains sur place.
En Egypte, le gouvernement décida de fournir une aide substantielle, par l’intermédiaire de la Ligue Arabe, aux mouvements insurrectionnels marocain et algérien. Une certaine quantité d’armes a pu être achetée à Tripoli. Il fallait trouver les moyens de les acheminer au Maroc. D’après les témoignages de nombreux résistants, Ben Bella fit preuve d’une rare audace. Il s’empara d’un bateau de plaisance, appartenant à la reine Diana de Jordanie ancré à Alexandrie. Le stock d’armes fut embarqué et le bateau prit la direction des côtes marocaines. A bord, Brahim Niyal, un militant soudanais et un certain Mohammed Boukherouba, qui n’était autre que Houari Boumediene, dirigeaient l’équipage recruté sur place.
Mais les Marocains ne purent obtenir l’autorisation de décharger la cargaison au port de Nador. Comme le bateau était déjà en pleine mer, il fallait tenter le tout pour le tout. Il longea les côtes marocaines et finit par s’échouer près de Nador. Boudiaf, Mohammed Ajjar (dit Saïd Bounaïlat), et Abbès étaient sur place. Et c’est à dos d’hommes que caisses d’armes et munitions furent débarquées les unes après les autres dans la nuit. Une partie de la cargaison fut livrée à l’Armée Marocaine de Libération, l’autre partie, la plus importante, prit la direction de la Wilaya 5, en Algérie.
C’est probablement grâce à cet exploit, que les commandos marocains, avaient pu déclencher simultanément, l’attaque de plusieurs postes français, au début d’octobre 195532 . De toutes les manières, la situation militaire se présentait sous un jour nouveau.
Le gros des troupes françaises d’occupation était obligé de se fixer dans le Rif. Aussi, le gouvernement français décida-t-il de rappeler sous les drapeaux, les classes 1951 et 1952, et les expédia, de toute urgence au Maroc. Au Caire, comme à Tétouan, la presse annonça en gros titres l’événement. C’était l’insurrection nationale au Maroc et en Algérie. La poursuite de la lutte armée des deux peuples ne prendrait fin qu’après l’indépendance totale des deux pays. Le communiqué n°1, du 4 octobre, mentionnait l’existence d’un commandement commun, à la tête de l’armée de libération du Maghreb. En fait, il n’y a jamais eu de commandement commun aux deux armées. Le bureau du Maghreb était plutôt une institution politique, un organe de propagande et de liaison entre les leaders des trois pays. Cependant l’idée de poursuivre la lutte armée, jusqu’à la libération effective du Maghreb, c’est-à-dire du Maroc et de l’Algérie avait déjà ses partisans, aussi bien au Caire qu’à Tétouan.
Depuis toujours, et bien avant le déclenchement des luttes armées des années 1954-1955, les dirigeants algériens étaient partisans d’une stratégie commune des mouvements nationaux des trois pays. A leurs yeux, seule la solidarité totale maghrébine était à même de mettre un terme à la présence coloniale. Toute idée de négociations séparées entre les gouvernements français et l’un des trois pays était à rejeter. Tous les particularismes nationaux, toutes les considérations afférentes aux différences des situations historiques, juridiques ou autres devaient être dépassées.
entretiens d’Antsirabé, en passant par l’évocation des mouvements insurrectionnels, l’auteur s’emploie à restituer le climat de
tensions, d’incertitudes et de tâtonnements qui préfigure le dénouement de la crise franco-marocaine dont l’été 1955 reste un moment fort. L’occasion lui est ainsi fournie de donner sa lecture des événements. Surtout et s’agissant de ce qui deviendra a posteriori la « controverse d’Aix-les-Bains », l’auteur développe ses arguments et revient sur le sens, les motivations et la portée de cette rencontre. L’histoire de l’indépendance du Maroc,
est, de ce point de vue, sans doute aussi l’histoire d’un système complexe d’équivoques et de tensions qui structurent dès son origine le mouvement national. Abderrahim Bouabid nous en fournit ici un aperçu saisissant.
Ainsi, à travers cette tragi-comédie, une question précise se posait : quel était le clan qui allait l’emporter ? Celui du général de Latour et de « Présencefrançaise » ou celui des collaborateurs mêmes du résident, MM. de Panafieu et de Lipkowski ?
La relation qu’a donnée, par la suite, M. de Lipkowski des événements de ces journées, montre par quels moyens parallèles put s’effectuer le départ de Ben Arafa31.
Ainsi, les deux collaborateurs du résident avaient eu recours à l’entremise du bâtonnier Mohammed Chérif, avocat algérien installé à Tanger. Ce dernier qui avait des relations amicales avec la soeur de Ben Arafa devait jouer un rôle déterminant dans cette affaire. Une autre personnalité prêtait son concours. Il s’agissait de l’adjoint de Hajoui, Benacer Ben Omar, un ancien interprète qui avait été grièvement blessé au cours du deuxième attentat contre Ben Arafa à Marrakech en 1953. Le capitaine Oufkir, interprète du résident général, semblait aussi faire partie de l’équipe.
Sur ordre de Paris, le directeur de la Sûreté essaya de persuader Hajoui de prendre l’avion, le 30 septembre, pour répondre à une convocation urgente du gouvernement français. Comme il refusait de s’en laisser persuader, il a été placé en garde à vue à son domicile. Mais ce n’était que pure comédie. Les membres de «Présence-française» qui étaient déjà au courant de la mesure, ne tardèrent pas à se rassembler devant la demeure de leur protégé. Celui-ci put s’enfuir avec la complicité des policiers français chargés de sa garde.
Le même jour, dans la matinée, M. de Panafieu put obtenir de Ben Arafa les deux déclarations signées, annonçant la délégation du sceau au dit Moulay Abdellah Ben Moulay Hafid. Le choix de ce dernier était approuvé par Paris, sur l’insistance d’Emile Roche.
Le 1er Octobre 1955, le résident général, devait se résigner à voir Ben Arafa quitter Rabat pour Tanger, bien qu’au dernier moment, il essaya d’obtenir que le délégataire du sceau, fut proclamé héritier du trône, toujours dans le but de faire échec à la constitution d’un conseil du trône. Mais, par la suite, le gouvernement français devait passer outre cette obstruction.
Les circonstances dans lesquelles l’éloignement de Ben Arafa put finalement s’effectuer firent que l’événement fut accueilli sans enthousiasme par le peuple marocain. La poursuite et le renforcement de l’action armée demeuraient, plus que jamais, une nécessité pour le triomphe de la cause nationale.
Dans la nuit du jour du départ de Ben Arafa, l’Armée Marocaine de Libération entra en action, à la frontière des deux zones d’occupation française et espagnole. Les postes de Tizi Ouzli, Aknoul et Boured furent les premiers attaqués. Puis l’assaut prit de l’ampleur prenant l’observatoire de Bou Zineb pour cible. Une troisième attaque fut entreprise en même temps par d’autres formations de l’armée de libération dans le sud de Taza, qui s’emparèrent du poste d’Immouzer des Mermoucha dans le Moyen Atlas : le magasin d’armes permit aux résistants de récupérer 300 fusils mortier 60, plusieurs fusils-mitrailleurs et plusieurs dizaines de pistolets mitrailleurs. Alors que d’autres commandos pénétraient dans l’oriental à proximité d’Oujda, la tribu des Gzenaïya se joignit à l’armée de libération et passa de l’autre côté de la frontière.
Ce fut le commencement d’une deuxième guerre du Rif après celle qui avait été déclenchée, et glorieusement menée, 35 ans auparavant, par Abdelkrim El Khattabi. Bien entendu les effectifs de l’armée de libération étaient nettement inférieurs à ceux de l’armée française d’occupation. Mais la nature du terrain, les méthodes de guérilla et la solidarité des populations donnaient l’avantage aux guerriers marocains. Aussi, l’entrée en action de l’aviation et des blindés ne put contenir la poussée des 2.000 maquisards marocains, scindés en plusieurs commandos et opérant dans différentes directions.
Les armes et munitions qui permirent les premières opérations, provenaient en partie des achats effectués en Suisse, en Belgique, en Allemagne ou en Espagne, par Abdelkébir El Fassi, Abderrahman Youssoufi, et d’autres militants. L’autre partie de l’armement, qui semblait être la plus importante, provenait des actions conjuguées des dirigeants algériens du F.L.N et des dirigeants marocains de l’A.L.N. C’était la première fois que la solidarité maghrébine cessait d’être un slogan pour se concrétiser dans le combat contre l’occupation coloniale. Le rôle du Docteur Hafid Ibrahim, installé à Madrid depuis la fin de la 2ème Guerre mondiale, avait été déterminant. Très souvent, et cela dès 1953, il avait contribué de ses propres deniers pour fournir aux résistants et maquisards les armes qui leur faisaient défaut.
La solidarité maghrébine
Il faut remonter à 1952 pour situer les premiers contacts entre Marocains, Algériens et Tunisiens, qui allaient rendre effective la solidarité des trois mouvements de libération. Un évadé de la prison de Blida, Ahmed Ben Bella, alors inconnu, quitte clandestinement l’Algérie, pour Marseille, puis le Caire. Il se joint aux membres du Bureau du Maghreb, comprenant Allal El Fassi pour le Maroc, Salah Ben Youssef pour la Tunisie, Mohammed Khider pour l’Algérie et Fathi Dib, proche collaborateur de Nasser, chargé d’assurer la liaison avec le bureau. A l’époque, toute l’attention des dirigeants égyptiens et de la Ligue Arabe était centrée sur la Tunisie, d’abord, puis sur le Maroc. Le coup de force perpétré par le général Guillaume en 1953, était le point de départ de l’embrasement des trois pays d’Afrique du Nord. La résistance populaire dans les villes marocaines, d’abord spontanée, puis de plus en plus organisée, prenait partout de l’ampleur. La colonie française, maîtresse du secteur moderne de l’économie vivait dans l’insécurité et l’angoisse. Elle n’avait pas « la paix pour 25 ans » promise par la Résidence, après l’éloignement de Mohammed V et les arrestations massives opérées dans les rangs du parti de l’Istiqlal. Mais, à côté de la résistance urbaine, apparurent en 1954 les premiers groupes de l’armée de libération, dans le sud du pays et le long des frontières algériennes.
En Libye, les révolutionnaires tunisiens, disposaient de deux camps d’entraînement, de dépôts d’armes, sous la direction d’Abdelaziz Chouchane. Les premiers groupes de résistants algériens qui avaient été admis dans ces camps, étaient présentés aux autorités libyennes comme ressortissants tunisiens.
Ainsi, sur le plan de la lutte armée, la coordination et l’entraide entre les trois mouvements insurrectionnels s’organisaient. Quelque temps avant novembre 1954, les combattants algériens demandaient aux dirigeants marocains de la zone nord de déclencher une action contre les troupes françaises au Maroc oriental, dans le but de soutenir le soulèvement du 1er novembre en Algérie. Berkane et Mermoucha devaient être les premiers objectifs des opérations projetées. Mais celles-ci ont été décommandées, au dernier moment, faute de moyens suffisants, semble-t-il.
C’est à cette époque, que Ben Bella fit la connaissance à Berne, d’Abdelkébir El Fassi, et l’informa du prochain déclenchement de l’insurrection en Algérie. Quelque temps après, en compagnie de Boudiaf, ils rencontrèrent à Madrid le Docteur Hafid Ibrahim. Boudiaf était chargé de la direction des opérations à l’ouest du Maghreb, c’est-à-dire en zone Nord du Maroc. Il mit en place, le premier P.C du F.L.N. à Nador, et s’installa à Tétouan où il fit la connaissance des dirigeants marocains sur place.
En Egypte, le gouvernement décida de fournir une aide substantielle, par l’intermédiaire de la Ligue Arabe, aux mouvements insurrectionnels marocain et algérien. Une certaine quantité d’armes a pu être achetée à Tripoli. Il fallait trouver les moyens de les acheminer au Maroc. D’après les témoignages de nombreux résistants, Ben Bella fit preuve d’une rare audace. Il s’empara d’un bateau de plaisance, appartenant à la reine Diana de Jordanie ancré à Alexandrie. Le stock d’armes fut embarqué et le bateau prit la direction des côtes marocaines. A bord, Brahim Niyal, un militant soudanais et un certain Mohammed Boukherouba, qui n’était autre que Houari Boumediene, dirigeaient l’équipage recruté sur place.
Mais les Marocains ne purent obtenir l’autorisation de décharger la cargaison au port de Nador. Comme le bateau était déjà en pleine mer, il fallait tenter le tout pour le tout. Il longea les côtes marocaines et finit par s’échouer près de Nador. Boudiaf, Mohammed Ajjar (dit Saïd Bounaïlat), et Abbès étaient sur place. Et c’est à dos d’hommes que caisses d’armes et munitions furent débarquées les unes après les autres dans la nuit. Une partie de la cargaison fut livrée à l’Armée Marocaine de Libération, l’autre partie, la plus importante, prit la direction de la Wilaya 5, en Algérie.
C’est probablement grâce à cet exploit, que les commandos marocains, avaient pu déclencher simultanément, l’attaque de plusieurs postes français, au début d’octobre 195532 . De toutes les manières, la situation militaire se présentait sous un jour nouveau.
Le gros des troupes françaises d’occupation était obligé de se fixer dans le Rif. Aussi, le gouvernement français décida-t-il de rappeler sous les drapeaux, les classes 1951 et 1952, et les expédia, de toute urgence au Maroc. Au Caire, comme à Tétouan, la presse annonça en gros titres l’événement. C’était l’insurrection nationale au Maroc et en Algérie. La poursuite de la lutte armée des deux peuples ne prendrait fin qu’après l’indépendance totale des deux pays. Le communiqué n°1, du 4 octobre, mentionnait l’existence d’un commandement commun, à la tête de l’armée de libération du Maghreb. En fait, il n’y a jamais eu de commandement commun aux deux armées. Le bureau du Maghreb était plutôt une institution politique, un organe de propagande et de liaison entre les leaders des trois pays. Cependant l’idée de poursuivre la lutte armée, jusqu’à la libération effective du Maghreb, c’est-à-dire du Maroc et de l’Algérie avait déjà ses partisans, aussi bien au Caire qu’à Tétouan.
Depuis toujours, et bien avant le déclenchement des luttes armées des années 1954-1955, les dirigeants algériens étaient partisans d’une stratégie commune des mouvements nationaux des trois pays. A leurs yeux, seule la solidarité totale maghrébine était à même de mettre un terme à la présence coloniale. Toute idée de négociations séparées entre les gouvernements français et l’un des trois pays était à rejeter. Tous les particularismes nationaux, toutes les considérations afférentes aux différences des situations historiques, juridiques ou autres devaient être dépassées.