Une femme pure


Libé
Mercredi 18 Mars 2026

L’esprit humain est ingrat envers ce corps de chair et  d’os qui l’héberge, le porte et  le supporte. La religion renie tout ce qui magnifie le corps et les plaisirs du corps, même celui de la gourmandise. Ce corps qui fait l’être humain, ce corps qui, sans lui, rien ne reste sauf un tas d’os muets et quelques souvenirs tronqués. La religion est à la recherche d’une pureté conforme à la volonté divine inscrite dans les livres sacrés de Dieu mais rejette ce que Dieu a créé à son image.
Construire un monde moral, c’est atteindre la perfection dans la religion. Aucune erreur, aucune faute, aucun rêve, aucun désir. Tous les hommes et toutes les femmes seraient identiques à des anges. Plus de voleur, de tricheur ou de menteur.
Or cette pureté qui ne boit, ni mange, qui ne copule ni se reproduit n’est qu’une vue de l’esprit. Ce corps sans tâche n’existe pas et ne peut exister dans une terre où Dieu a jeté Adam et Eve en leur disant de vivre à la sueur de leur front et de se reproduire dans la douleur. Or l’être humain vient de ces parties intimes que l’on doit cacher et de cet acte qui est considéré impur par la religion et dont on doit se purifier par les petites et les grandes ablutions.

Construire un monde moral, c’est atteindre la perfection dans la religion. Aucune erreur, aucune faute, aucun rêve, aucun désir. Tous les hommes et toutes les femmes seraient identiques à des anges. Plus de voleur, de tricheur ou de menteur.

Seul l’art magnifie le corps. La publicité, la photographie et le cinéma sont l’art du corps; tout corps, même le plus laid, doit être esthétique, laidement beau. Aucun défaut ne doit paraître sur un corps qui apparaît sur l’écran si ce défaut ne remplit pas une fonction esthétique. Le mannequin en est le parangon.

La médecine y trouve son dévolu. Médecine générale, chirurgie et chirurgie esthétique modèlent ce corps qui échappe aux normes du moment dictées par la mode, ou des critères traditionnels qui cernent l’image que l’individu doit avoir de lui-même.
Seul l’art magnifie le corps. La publicité, la photographie et le cinéma sont l’art du corps; tout corps, même le plus laid, doit être esthétique, laidement beau
Le corps est devenu le champ de bataille des modes, des idéologies et des religions. L’apparaître est devenu un enjeu des politiques des pays et des peuples. Que faut-il montrer ou ne pas montrer? Jusqu’où va l’interdit et l’atteinte à la pudeur ? Le corps de l’autre est soumis à la loi, à la religion et à la société et ses traditions.

Ces lois ou ces croyances provoquent parfois des drames.
L’un des corps les plus controversés est celui de la femme. Il passe de la pureté immaculée à une impureté corruptrice.
Est pure toute femme n’ayant jamais connu d’homme. L’impureté de la femme vient-elle donc de l’homme? Croyance, semble-t-il, partagée à travers les âges et indifférente aux religions. Le coït, cet acte reproducteur, acte naturel à tous les mammifères, aliène la femme à sa progéniture et au géniteur. Le corps de la femme, ce monde mystérieux, qui donne la vie est altéré par l’homme.

C’est ce qui rend la femme aussi précieuse que l’or pur tant qu’un élément étrange ne l’a pas encore souillée; d’où la proscription de l’impureté. C’est ce qui donne à la femme sa sacralité et sa vulnérabilité.

Tout corps de femme vicié par l’homme nécessite purification par l’eau, le feu ou la mort. Le produit de cette corruption, l’enfant légitimé par le mariage, le bâtard illégitime, survivent à l’acte d’origine. Cette pureté sauvegardée par les interdictions et les privations a une valeur thérapeutique. Elle peut guérir aussi bien les hommes que les animaux. Cette pureté perdue a coûté la vie à d’innombrables femmes qui, malheureusement, n’eurent pas une conteuse aussi prolifique et géniale que Schéhérazade pour les sauver.
On retrouve cette croyance aussi bien dans l’ancienne Egypte que dans la civilisation malinké de Guinée ou au Maroc.
Est pure toute femme n’ayant jamais connu d’homme. L’impureté de la femme vient-elle donc de l’homme? Croyance, semble-t-il, partagée à travers les âges et indifférente aux religions.
Hérodote rapporte qu’à « la mort de Sésostris, lui a-t-on dit, le trône revint à son fils Phéros. Ce roi, qui ne fit aucune expédition militaire, fut atteint de cécité pour s’être ainsi conduit : la crue du Nil, particulièrement forte cette année-là, atteignit dix-huit coudées et l’eau recouvrait toutes les cultures lorsqu’un vent violent s’éleva, qui rendit le fleuve houleux ; le roi, dit-on, dans un excès de fol orgueil, prit un javelot qu’il lança dans les tourbillons du fleuve : ses yeux furent aussitôt frappés et il perdit la vue.

Il fut aveugle dix ans ; la onzième année un oracle lui vint de Bouto : le terme de son châtiment approchait ; il retrouverait la vue en se lavant les yeux avec l’urine d’une femme qui n’aurait jamais connu un autre homme que son mari. Le roi, dit-on, mit d’abord à l’épreuve sa propre femme ; puis comme il ne voyait pas d’avantage, bien d’autres femmes tour à tour. Guéri enfin, il réunit toutes les femmes qu’il avait mises à l’épreuve, sauf celle qui lui avait rendu la vue, dans la ville qu’on appelle aujourd’hui la Butte rouge, après quoi, il les fit toutes brûler avec la ville. Quant à celle dont l’urine l’avait guéri, il la prit pour épouse».

Ce don existe aussi dans la tradition malinké de Guinée. Il ne s’agit plus de l’urine de la femme mais de sa parole. Camara Laye dans son roman « l’Enfant noir » décrit une scène dont sa mère fut l’héroïne. « Un jour-c’était à la fin du jour- j’ai vu des gens requérir l’autorité de ma mère pour faire se lever un cheval qui demeurait insensible à toutes les injonctions.

Le cheval était en pâture, couché, et son maître voulait le ramener dans l’enclos avant la nuit ; mais le cheval refusait obstinément de se lever (….) J’entendis les gens s’en plaindre à ma mère et lui demander aide.
-Eh bien ! allons voir ce cheval, dit ma mère.
(…) Elle s’avança et, levant la main, dit solennellement :
-S’il est vrai que, depuis que je suis née, jamais je n’ai connu d’homme avant mon mariage ; s’il est vrai encore que, depuis mon mariage, jamais je n’ai connu d’autre homme que mon mari, cheval, lève-toi !
Et tous nous vîmes le cheval se dresser aussitôt et suivre docilement son maître».

       Ma tante m’a raconté la même scène qui s’était déroulée devant le grand portail de ksar Taos de Boudnib. Une jument était constipée et n’arrivait pas à se soulager. Son ventre était gonflé et allait éclater. L’un des notables du ksar appela une jeune fille connue pour sa droiture et il lui demanda de passer au-dessus de la jument. Effectivement, la jeune fille fit ce qu’on lui avait demandé de faire et la jument se leva et se soulagea. Et ma tante d’ajouter : « Je me demande ce qui serait advenu de la jeune fille si la jument était restée malade». La réputation d’une fille et d’une famille s’était jouée sur un coup de dés.

Dans tous les rites des religions, qu’elles soient monothéistes ou animistes, plusieurs éléments sont considérés comme souillant et nécessitent, avant que le croyant ne pratique un de ces rites, de se purifier. Ces éléments sont presque toutes les matières naturelles qui sortent de l’être humain. Si la chasteté donnait autant de pouvoir à la femme qu’avait-elle donc à s’encombrer d’un homme qui fait partie des éléments qui la souillent et la dépouillent de ses pouvoirs ?

Moha Souag


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