Taha Adnan: Je crains que mon pays reproduise des Samera Amadou et Hamidou Dialou


Propos recueillis par M. E
Samedi 13 Avril 2013

Taha Adnan: Je crains que mon pays reproduise des Samera Amadou et Hamidou Dialou
Taha Adnan est un écrivain qui défend  les grandes causes. D’où sa position et son statut d’ambassadeur interculturel, ici et là. Très fin dans ses œuvres
littéraires, honnête et
intransigeant dansses
positions, il ne lésine pas sur les mots ni sur
l’analyse, lorsque les choses
touchent à la dignité
humaine. Dans cet entretien, celui qui réside à Bruxelles depuis plus de 17 ans, donne l’exemple d’un artiste
toujours à l’écoute de son entourage. Entretien


Libé : Quand Taha Adnan a-t-il eu ce sursaut identitaire, l’envahissement de cette part d’africanité ?

Taha Adnan : Mon premier lien d’attachement africain remonte à ma période de lycéen, où j’accueillais chez moi souvent un jeune Subsaharien. Mais là, ce n’était qu’un signe d’hospitalité, pas plus. Mais, j’allais découvrir, une fois en Belgique, un sentiment d’appartenance réfléchi. Il pense au cas de Samera Adamou, l’immigrée clandestine qui a été  étouffée par la technique de l’«oreiller », lors de l’expédition. A cette époque, fin des années 90, je me suis identifié à elle, d’autant plus que notre combat au sein de l’UNEM à Bruxelles, se focalisait aussi sur les questions d’immigration. N’étions-nous pas tous les deux issus du même continent? Je ferai un clin d’œil à ces circonstances dramatiques dans mon texte «Bye bye Gillo». Mon personnage principal dans mon roman en cours se sentait plus proche d’Osman le Congolais plutôt que de Nayla la Libanaise.

Nous avons remarqué que cette prise de conscience a été manifeste dans votre recueil « Je hais l’amour » …

Effectivement, dans ce recueil, j’avais consacré une ode à Amadou Dialou, un Africain assassiné sauvagement, à New York, pour délit de faciès. J’étais là dans cette ville, cristallisant pourtant ce melting-pot  et ce brassage nécessaire entre les peuples. Un corps africain criblé de balle et déjà meurtri de souffrances psychologiques. Je ne sais pas si la police new-yorkaise pouvait tirer sur un homme blanc dans de telles circonstances.

Ceci dit, et même si nous prônons notre africanité, nous ne sommes pas sûrs d’être acceptés comme tels. Qu’en pensez-vous?

Effectivement, il ne suffit pas d’annoncer, d’afficher ou de prôner cette africanité. Elle fut longtemps enfouie, dans notre subconscient. Le retour n’est donc pas toujours  évident. Par ailleurs, il y a lieu de souligner notre situation géographique, entre deux mondes : l’Afrique subsaharienne et l’Europe. Et nous savons que le désert sépare, alors que la mer généralement rapproche. Mais la persistance des clichés est le pire des facteurs défavorables. Je vais vous raconter une anecdote pour étayer mes propos. L’été dernier, j’étais en voyage en Zambie, pour les vacances. Seul Africain parmi  un groupe d’Européens, je voulais afficher mon africanité et mon  appartenance à ce continent. Mais le guide, au cours d’une conversation, a nié le fait, m’excluant sans ménagement.  Voilà le stéréotype qui perpétue la fracture entre le Nord et le Sud du continent. Sans le savoir, mon guide était en train de ressasser les mêmes clichés, développés par un esprit raciste.  

Ne craignez-vous pas, en tant que résident en Europe, de reproduire les mêmes matrices et les mêmes schémas avec les immigrés subsahariens, ici au Maroc ?

Mon pays court aussi ce risque. Personnellement, je tire la sonnette d’alarme, car il ne faut surtout pas qu’on se retrouve au Maroc avec d’autres Samera Amadou et Hamidou Dialou. Le rôle des acteurs associatifs, civils, politiques et syndicaux est crucial. Celui des intellectuels, à travers les modes d’expression : conte, roman, poésie, arts plastiques, théâtre, cinéma… L’on doit accompagner ce vivre ensemble sur notre pays, devenu une terre d’accueil.   


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