Parole aux artistes : Johana Rousselet et Lahcen Mahmoudi, artistes peintres

L’art et la culture en général demeurent le parent pauvre des politiques publiques !


Propos recueillis par Mustapha Elouizi
Vendredi 18 Mai 2018

Il est très important d’ouvrir grandes les portes de la contribution aux artistes, en leur permettant de s’exprimer sur des questions d’ordre public ! Leur regard est certes singulier et leur manière d’évaluer est libérée des a priori, en général, ce qui donne à leurs propos une valeur essentielle à la critique publique. Ici, le duo, dans la vie comme dans l’art, Johana et Mahmoudi, artistes peintres vivant à Merzouga, s’adonne à cet exercice avec grande aisance et fluidité.


Libé : Quel rôle devrait jouer aujourd’hui l’artiste dans la vie publique ?
Johana&Mahmoudi : Le rôle de l’artiste a beaucoup changé au fil du temps. Autrefois, l’artiste était quelqu’un qui reflétait la vie des gens,  évoquait les grands moments de l’histoire. Il était à la fois le reflet et le témoin d’une société, la sienne en général ! Aujourd’hui, avec les nombreux médias et technologies, il joue le rôle inverse. Il offre une parenthèse dans la vie quotidienne ; l’art devient évasion et spiritualité, sujet de rêveries ou de messages de l’histoire. Il doit être avant tout un ambassadeur de sa région, son pays ou sa culture à travers son art.

Les politiques publiques aident-elles les artistes à saisir des opportunités en matière de création?
La culture au Maroc se développe de manière significative, grâce notamment aux médias et aux réseaux sociaux qui mettent en avant la production artistique, mais aussi grâce à l’ouverture des musées et expositions permettant de sensibiliser et d’initier davantage le public et les férus des arts. Néanmoins, les efforts restent encore à faire dans certaines régions comme la nôtre à Draâ-Tafilalet, où l’art reste le parent pauvre de toutes les politiques publiques, voire inexistant dans les préoccupations des décideurs. Notre région reste très en retard et n’offre aucune opportunité à l’artiste qui doit se débrouiller seul pour défendre son art et en vivre.

Quels sont les moyens à même de transformer les espaces publics en  endroits artistiques ?
Nous pensons particulièrement à une politique publique volontariste qui met en avant le rôle de l’art dans le développement du goût public. Nos espaces publics sont actuellement d’une laideur inqualifiable ; il est nécessaire de penser meubler ces espaces par des productions à même d’offrir une identité visuelle au public, à travers des statues et des fresques enjolivant ces espaces ! L’on pourrait  commencer par le centre-ville, les écoles, les établissements publics, les hôpitaux … le reste viendra. Les cursus scolaires devraient également comprendre désormais des séances de travail artistique, à même d’inculquer aux jeunes comment l’art pourrait améliorer le goût général de toute la société.

L’art au service de la société, mais aussi au service de la région. Que faites-vous pour faire connaître vos régions respectives ?
Pour faire connaître notre région, nous avons tout simplement décidé de nous y installer et de nous y investir. En effet, si une galerie d’art aux murs immaculés s’imagine plutôt aisément dans une grande ville, la chose est totalement différente chez nous,  qui avons privilégié le côté insolite et artistique en ouvrant une galerie d’art dans un petit village de 250 personnes au pied des dunes de Merzouga. Accrocher nos toiles sur les murs de pisé est notre façon à nous de promouvoir notre région et son art de vivre, à travers le Maroc mais aussi à l’étranger.

L’industrialisation de la culture sert-elle vraiment l’action artistique, ou au contraire, la  réduit-elle à une marchandise consommable et éphémère ?
Nous pensons que la question d’industrialisation du produit culturel est une arme à double tranchant. A quelque chose malheur est bon, dit l’adage ! Effectivement, c’est une chose qui est à la fois bonne et mauvaise.
D’un côté on met l’art à la portée de tous, afin que la culture ne soit pas l’apanage d’une certaine élite, mais d’un côté, trop d’industrialisation tue le penchant artistique et fait parfois même oublier les artistes et leur inspiration, ainsi que leur goût, messages et valeurs véhiculés à travers leurs productions ! Le public non initié finit par ne pas faire de différence entre un produit industriel (marchandise) largement diffusé et une œuvre d’art unique d’un artiste, dépréciant ainsi non seulement sa valeur matérielle, mais aussi et surtout sa valeur symbolique et émotionnelle !

De quelle nature est votre présence sur les réseaux sociaux  (personnelle, professionnelle, les deux …) ?
Nous sommes présents sur les réseaux sociaux, que ce soit sur les pages professionnelles, les groupes d’artistes de différentes nationalités ou encore sur nos pages personnelles. Notre activité est   cependant essentiellement professionnelle. Notre utilisation des réseaux sociaux ne dépasse pas outre mesure les indications indispensables du métier et de la profession, car nous restons en deçà des attentes. Ceci dit, nous sommes conscients que les réseaux sociaux sont aujourd’hui quasi-indispensables  et permettent de créer un lien plus étroit entre les artistes et le public.

Quel est votre dernier travail artistique ?
Nous travaillons, Mahmoudi et moi, sur un projet d’une exposition qui aura lieu en France en décembre prochain. Mais, à titre individuel, Mahmoudi a réalisé une belle performance scénique lors de la dernière édition du Festival international des musiques du monde à Merzouga, en réalisant deux toiles, en direct et aux rythmes d’une ambiance musicale, la première avec le groupe Inouraz et la seconde avec Simo Lgnaoui.

Comment réagissez-vous aux questions d’opinion publique ?
Il est certes difficile pour nous de réagir aux questions d’opinion publique. De manière générale, nous n’accordons pas beaucoup d’importance aux sondages d’opinion et aux autres questions, considérant que tous les citoyens ont des opinions qui diffèrent les uns des autres, ce qui est normal !
Les artistes ont aussi leurs propres opinions, en fonction de leurs expériences personnelles, leurs métiers, et leur environnement social et culturel.


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