Mourad El Khatibi: Une plus grande importance doit être accordée à la traduction au Maroc


Ecrivain

Libé
Mardi 9 Mars 2021

L’écrivain Mourad El Khatibi revient dans une interview à la MAP sur son dernier ouvrage “La traduction littéraire... le possible et le désiré” qui traite des différentes caractéristiques de cette traduction spécialisée, des défis auxquels font face les professionnels du secteur, de la contribution marocaine au mouvement de la traduction littéraire dans le monde arabe ainsi que des moyens de sa promotion.

Quelles sont les principales problématiques traitées dans votre dernier livre “La traduction littéraire...le possible et le désiré” ?
L’ouvrage aborde une série de problématiques et de difficultés rencontrées par les professionnels au moment de la traduction et propose cependant des solutions en vue de les surmonter. Il met en lumière l’importance de la traduction et sa capacité à dépoussiérer certaines créations oubliées, leur redonner une nouvelle vie pour rouvrir le débat sur leur aspect artistique, intellectuel et culturel. Le livre aborde également le côté créatif dans la traduction et pour reprendre les termes du philosophe français Maurice Blanchot, “la traduction est donc écriture, elle est création et littérature au même titre que le texte qu’elle traduit”. Il convient de rappeler que les théories de la traduction ont contribué à mettre en place un ensemble de mécanismes et de stratégies de traduction, dont l’utilité et l’efficacité ont été prouvées par les études scientifiques. Un grand nombre de traducteurs exploitent ces méthodes sans s’en apercevoir ou y être déjà sensibilisé, par manque de formation académique dans le domaine ou leur non familiarité avec les théories de la traduction en général. En outre, ce livre examine le processus de la traduction, en reprenant une série d’études sur la traduction poétique, la traduction du roman et la traduction du “haïku.” En raison du lien étroit existant entre la philosophie et la littérature, l’ouvrage propose dans son premier chapitre, une introduction théorique simpliste, relevée par des questions sur la traduction entre l’apport philosophique et l’interprétation théologique, grâce à une lecture dans les projets des deux philosophes marocains Abdesalam Benabdelali et Taha Abderrahman.

La traduction littéraire est un genre de traduction spécialisé. Quelles sont ses caractéristiques et ses difficultés ?
La traduction revêt une grande importance comme elle est parsemée de difficultés. Elle joue un rôle culturel, social, politique et civilisationnel et contribue au dialogue dans divers domaines notamment ceux liés à la connaissance, à la politique et à la diplomatie. Cependant, sa difficulté se reflète principalement au niveau linguistique, caractérisé par une complexité difficile à résoudre. Pour le professeur Abdeslam Benabdelali, en dépit de ces obstacles, la traduction est un exercice à la portée. “C’est un enrichissement du sens et du langage ouvrant de nouvelles possibilités.” Par ailleurs, la traduction littéraire est assez exigeante, puisque ses difficultés outrepassent la construction, pour toucher à la création. C’est ainsi que le pari du traducteur littéraire se résume dans sa capacité à préserver les éléments esthétiques du texte original, en tenant compte des spécificités culturelles des deux langues. Soulignons à cet effet que la traduction littéraire englobe la poésie, le récit, l’histoire et le théâtre, rédigés en langue étrangère. Sa difficulté réside dans sa créativité qui prend comme essence le symbolisme, la métaphore et, à d’autres moments, l’ambiguïté. Le philosophe allemand Nietzsche explique que chaque mot, chaque désignation, chaque concept a d’abord été une métaphore, une création en quelque sorte artistique. La traduction littéraire est déterminée à plusieurs niveaux et sous différentes formes, qui englobent des défis culturels, linguistiques et de construction du texte à traduire. Tous ces niveaux sont convergents, interreliés et inséparables. Cependant, le processus de traduction doit être accompagné d’une connaissance des importantes théories en la matière pour surmonter les difficultés rencontrées. Ceci est illustré, par exemple, par le philosophe allemand Walter Benjamin, qui affirme que le texte littéraire se trouverait «traduit» en deux formes nouvelles qui inventent deux langages, modifiant le rapport initial entre le langage et sa teneur. Ce faisant, le traducteur contribue à l’effort créatif de l’auteur, reproduisant toute la teneur du texte original, en préservant sa valeur littéraire et son acceptabilité par le lecteur de la langue cible, ce qui nécessite une connaissance approfondie de l’histoire littéraire et culturelle de la langue d’origine et de la langue cible.

D’aucuns éprouvent des difficultés à comprendre les oeuvres littéraires internationales traduites en arabe comme si elles sont traduites à la hâte sous forme de paragraphes dépourvus d’âme. Qu’en pensez-vous ?
Certains textes créatifs sont traduits au même degré que des textes généraux, à défaut des questions liées à leur contexte culturel, leur spécificité créative et la préservation des caractéristiques métaphoriques et esthétiques. En effet, un tel laxisme, basé sur une traduction littérale, donne pour résultat des textes non structurés, abîmés et démunis de leur esprit et esthétique, une des importantes caractéristiques du texte créatif.

Pour avoir des traducteurs compétents, la formation académique reste une étape essentielle. Selon vous, est-ce que les institutions universitaires marocaines proposent des formations qualifiantes dans le domaine de la traduction littéraire ?
Je ne crois pas. Il peut y avoir certaines initiatives individuelles, de traduction littéraire, lancées par des universitaires, qui invitent leurs étudiants à s’engager dans un projet de traduction d’un roman ou d’une collection poétique. Ces initiatives proviennent souvent d’universitaires littéraires ou généralement passionnés de traduction littéraire. Ainsi, une plus grande attention doit être portée à la traduction littéraire portant sur des ouvrages créatifs durant l’année académique, sans pour autant négliger l’enseignement des théories.

Comment évaluez-vous la contribution des Marocains au mouvement de traduction littéraire dans le monde arabe, d’autant plus que beaucoup croient qu’il s’agit essentiellement d’initiatives individuelles, basées en général sur la demande du marché? Que proposez-vous pour faire avancer cette contribution ?
La contribution des traducteurs marocains au mouvement de traduction littéraire dans le monde arabe doit être saluée. Il s’agit d’initiatives individuelles motivées par la passion du propre traducteur, par la demande de l’auteur original ou, dans certains cas, par la maison d’édition. Toutefois, afin de promouvoir cette contribution, il est nécessaire de regrouper ces travaux individuels qui sont dispersés, au niveau d’une institution publique spécialisée en traduction, tout en mettant à sa disposition les ressources matérielles et humaines nécessaires, en plus d’un programme annuel. Je crois également qu’il est important de travailler sur un projet de traduction pour promouvoir les travaux de chacun. Selon le professeur Benabdellah, la traduction vivifie le texte, par conséquent, une plus grande importance doit être accordée à la traduction au Maroc, y compris celle touchant à la littérature.


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