Monde arabe : Les damnés se révoltent


Par Hassan FAOUZI *
Lundi 21 Février 2011

Monde arabe : Les damnés se révoltent
Les émeutes en Tunisie et en Egypte, étaient-elles prévisibles ? Comment les interpréter ? Quelle que soit les explications avancées, un consensus apparut pour voir dans ces émeutes le sentiment d'un malaise des citoyens envers la situation socio-économique et politique dans tout le monde arabe où la richesse sociale est l'apanage d'une minorité d'oisifs qui en use pour vivre aux dépens de la majorité.
Le monde arabe est une région riche de ressources naturelles et de ses ressources humaines, mais plongé dans la corruption, la pauvreté, la mauvaise gouvernance, le népotisme, l’inertie, des systèmes gérontocratiques, des régimes autocratiques, des chefs d'Etat qui cherchent à tout prix à se maintenir au pouvoir par des élections tronquées, la dilapidation des potentialités, l’absence de la participation effective des citoyens au processus de décision par des consultations électorales libres, transparentes et équitables.
Dans le monde arabe, les élections ont de prime abord des allures de pure formalité, tant les dés étaient ouvertement pipés, où les voix électorales s’achètent avec l'argent sale qui pourrit la politique, où des personnes parlent dans les institutions nationales, sans être réellement mandatées par les citoyens.
Un monde arabe de fraude électorale, de détournements permanents de deniers publics par de hauts commis de l’Etat, d’infantilisation permanente de la jeunesse et de son instrumentalisation politique, de népotisme comme mode de gestion du pouvoir, d’affairisme, de favoritisme, d’injustice sociale, de corruption dans tous les secteurs d’activités, de chômage, de délinquance, d’insécurité, etc., ce qui réduit cette région du monde à "un nid de pauvreté".
La révolte de la rue arabe est l'expression d’un très grave dysfonctionnement et la conséquence d’une très mauvaise politique menée depuis l'indépendance. Une frange majoritaire de la population arabe, exprime sa désapprobation avec véhémence.
La génération actuelle a rapidement pris conscience de son rôle historique et commence á manifester son ras-le-bol. Cette génération qui veut redonner du sens au fer de lance de la nation, qui ne veut plus être un mouton de campagne. Elle a pu tirer les leçons et veut vivre autrement.
Sans emploi, sans aucune perspective d’avenir sinon la farouche détermination de partir, de quitter leur pays pour l’étranger. Partir par tous les moyens, au péril de leur vie, les jeunes ont perdu l’espoir d’un avenir radieux sous le ciel arabe et l’informel ne suffit plus pour combler les lacunes des gouvernements dans leurs politiques d’insertion professionnelle des diplômés. Une jeunesse et des cadres contraints donc à l’exil. Cette nouvelle génération commence á concevoir des stratégies de résistance, quitte á s’allier avec le diable, qui s’avèreront redoutables le moment venu.
Depuis la fin de la guerre froide, les menaces les plus sérieuses dont le monde fait face en permanence, ne résultent pas des comportements belliqueux des Etats, mais plutôt des contestations élevées par les citoyens contre les régimes autocratiques. Les élections truquées, les atteintes à la liberté de la presse et la compromission des libertés individuelles et des droits humains, offrent globalement une photographie des principales raisons des crises et des risques de crise.
Le facteur sociétal est l’ingrédient fondamental, déclencheur des crises, confirmant ainsi les analyses de Bertrand Badie et M.-Cl. Smouts sur “l’irruption des sociétés” dans les relations internationales d’aujourd’hui.
Devant le monde arabe, se dresse ces nouveaux défis puisés dans les mamelles infâmes des systèmes de gouvernance sectaires et corrompus.
Pour qu'une amélioration profite à tous il faut détruire les privilèges. Il est temps de changer les règles du jeu ; il faut que les décisions et les initiatives restent à la libre disposition de ceux qui pourront les mettre en œuvre, ne puisse être accaparé au profit de qui que ce soit, individu ou groupe.
La corruption, nuit à l’objectivité, à la justice et à l’égalité des chances, à l’équité. La mauvaise gouvernance est une entrave au développement. En réalité il faut entrevoir dans la mauvaise gouvernance dorénavant, la cause essentielle des souffrances actuelles des populations arabes. Il faut mener une guerre contre le népotisme et l'achat des voix qui bat son plein normalisant ainsi la corruption. Luttons ensemble, pour une nouvelle éthique politique, contre la légitimation d'un enrichissement illicite indécent, contre une impunité institutionnalisée et pour une vraie démocratie.
Avec leurs énormes potentialités, notamment en ressources naturelles et humaines, les pays arabes devraient compter parmi les plus développés du monde mais, hélas ! Hélas ! le constat est sévère :
Selon un rapport conjoint du Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD) et de la Ligue Arabe, les taux de pauvreté restent élevés, « atteignant jusqu’à 40 % de la population, ce qui signifie que presque 140 millions d’Arabes continuent à vivre sous le seuil de pauvreté ». Pire encore, le rapport a relevé que la région n’a vu aucune baisse de ces taux de pauvreté durant ces 20 dernières années.
Dans les pays arabes, la corruption endémique, le népotisme et l’incompétence ont encore aggravé l’impact des politiques (inspirées par le FMI) de privatisations, de mesures d’austérité et de réduction ou de suppression des subventions gouvernementales sur les carburants et les produits alimentaires de base.
Toujours selon le même rapport, sur les 300 millions d’habitants que compte le monde arabe, plus de 50 millions sont confrontés au chômage et nombre d’entre eux, aux difficultés de logement.
D'après le même rapport, la valeur de l'indice de développement humain dans les États arabes est moyen, il est de 0,588, alors qu'il est de 0,643 en Asie de l’Est et Pacifique, 0,702 en Europe et Asie centrale, 0,704 Amérique latine et Caraïbes, et de 0,389 en Afrique subsaharienne.
Le même rapport qui accable le monde arabe révèle dans son chapitre sur les victimes de la corruption (% des personnes á qui ont été offerts des pots-de-vin au cours de l'année 2008) que les pourcentages de corruption dans le monde arabe sont très élevés et proches de ceux des pays africains en guerre et loin derrière ceux de l'Amérique Latine (Afrique ; Sierra Leone 15 %, Libéria 29 %, Zimbabwe 33 %, Bénin 20 %, Angola 33 %, Côte d'Ivoire 22 %, Congo 43 %. Amérique Latine ; Chili 8 %, Argentine 8 %, Uruguay 5 %, Brésil 5, Venezuela 7 %. Monde arabe ; Yémen 41 %, Mauritanie 18 %, Syrie 24 %, Koweït 19 %, Arabie saoudite  29 %). Hélas ces chiffres donnent froid dans le dos.
Les arrivistes, les opportunistes et les corrompus ont conduit le monde arabe tout droit au mur. Le reste des pays du Grand Maghreb ne déroge pas à la règle et n'est pas à l’abri de mouvements sociaux et d’éventuelles violences.
Au Maroc, il y a eu des efforts réalisés dans le domaine de l’éducation, mais le gouvernement devrait penser davantage aux mécanismes d’intégration des jeunes diplômés dans l’économie, intégration qui passe évidemment par l’emploi. Et la crise économique est venue bloquer l’émigration, qui était une soupape pour l’économie, en offrant des débouchés à certains diplômés.
Le monde arabe doit rompre avec les magouilles de la vieille garde et marquer une véritable rupture avec l'ancienne génération de privilégiées. Il faut que les régimes arabes sachent que le monde est en perpétuel mouvement et doivent adapter leur politique avant qu’il ne soit trop tard.
Le développement humain ne peut pas se fonder sur l’exploitation de quelques groupes par d’autres ou sur le plus grand accès de certains groupes aux ressources et au pouvoir. Un développement inéquitable n’est pas un développement humain.
Il faut que le progrès soit équitable et bénéficie à tous, en transformant les    individus en acteurs actifs du changement et en s'assurant que les succès du présent ne sont pas acquis au détriment des générations futures. Longtemps éclipsés par une tolérance voire une entente implicite entre les systèmes idéologiques différents et rivaux, les régimes dictatoriaux ne sont plus tolérés.  
Le monde arabe est assis sur une montagne de richesse. Mais sur le plan social, c’est un volcan qui peut entrer en éruption à tout instant. Deux régimes dictatoriaux se sont effondrés rapidement. « Jamais deux sans trois», est un principe d'évolution de l'univers.

* Docteur en Géographie, Environnement, Aménagement de l'espace et Paysages
CERPA, université Nancy 2, France.


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