Le temps des généraux


Par Nejm-Eddine Mahla
Lundi 25 Janvier 2016

Le passé semble rattraper les putschistes du 11 janvier 1992 en Algérie, ceux parmi les généraux qui ont mis fin au processus démocratique qui avait, entre-temps, porté aux nues les islamistes du FIS. Un débat s’installe lentement mais sûrement chez nos voisins de l’Est. Et rien ne semble arrêter les gens d’en parler sans ambages et sans appréhensions.
Les langues commencent à se délier et à avouer l’inimaginable. Le limogeage de Mohamed Médiène, patron du DRS, est peut-être pour beaucoup dans l’afflux de déclarations-scoops. Premier coup théâtre : selon des témoins clés, le fameux coup d’Etat militaire aurait était en préparation avant même les échéances électorales.
Les raisons ?
Le président de l’époque avait, dans une interview, clairement certifié qu’il était prêt à cohabiter avec les islamistes s’ils venaient à avoir la majorité au Parlement. Déclaration de principe certes mais qui n’était pas pour plaire aux militaires, en particulier aux généraux Khaled Nezzar, Ismaël El Ammari, EL Arbi Belkhir et Mohamed Médiène.  
Les jours de Chadli Ben Jdid étaient alors comptés. Au lendemain des élections et à la suite du raz-de-marée islamiste, le successeur de Boumediene fut démissionné  dans le calme dans une mascarade qui n’avait rien à voir avec une démission normale. La suite on la connaît. Une décennie de feu et de sang qui a mis sur le tapis plus de 250.000 Algériens et mis à plat l’économie du pays. Pour donner un semblant de légalité, le quatuor de généraux fit appel à une autre figure historique de la Révolution Mohamed Boudiaf alias Si Tayyeb El Watani.
Pour le convaincre et balayer toutes ses réserves, on lui peignit une image catastrophique de l’Algérie. Les généraux Nezzar et Belkhir, qui avaient fait le déplacement jusqu’à Kénitra, lui avaient fait comprendre que le pays était en pleine déconfiture. M. Boudiaf ne s’était rendu compte de la fourberie et de la méprise des militaires qu’une fois sur place. Malheureusement pour ces généraux, feu Si Tayyeb n’était pas fait de la matière dont on fait les marionnettes. Il s’insurgea ; on voulut le gérer, le manipuler et le brider mais ils échouèrent. On le cerna de près, on lui interdit même d’aller au Maroc pour assister au mariage de son fils, et à la fin, on l’exécuta dans un attentat filmé en direct.
De son côté, l’universitaire et journaliste Saâd Bouakba dans un scoop à une chaîne de télévision, révèle que Ali Kafi autre figure historique de la Révolution algérienne lui avait avoué avant son décès qu’il avait regretté amèrement de s’être embarqué dans la galère des généraux putschistes. De leur côté, plusieurs voix parmi les dirigeants du FIS encore de ce monde, en particulier leur leader Abbassi Madani ont clairement certifié que le général Liamine Zéroual, pour faire cesser les tueries, avait entamé avec eux des pourparlers secrets, le FIS y était représenté par Abassi Madani mais aussi par Hachani, figure connue comme étant un modéré au sein de la mouvance islamiste. La tentative fut avortée dans l’œuf par l’assassinat de ce dernier. Le message était on ne peut plus clair.
Presque un quart de siècle plus tard, tous les protagonistes qui sont encore en vie, sont rattrapés par leur passé, en particulier le général à la retraite Khaled Nezzar et le juriste Ali Haroun. Excepté El Arbi Belkhir  décédé depuis, tout ce beau monde est sûr la sellette, vu le rôle important qu’ils avaient joué dans cette  hécatombe. Ces derniers temps, sentant peut-être que l’heure de rendre des comptes est arrivée, le putschiste Nezzar  est aux abois, il fait déclaration sur déclaration ; pire encore, il est entré dans une guerre de communiqués et de contre-communiqués avec d’autres généraux à la retraite, en particulier le général Ahmed Bétchine, homme de confiance de feu Chadli  Ben Jdid.  Controverse qui a poussé le chef d’éat-major Gaïd Salah d’entrer en jeu par un autre… communiqué pour calmer les esprits. Son intervention survient après que les deux hommes susnommés ont menacé chacun de son côté de tout dévoiler. De tout balancer aux médias. Ce serait la fin des haricots pour le régime car il y a beaucoup de dossiers en suspens, celui de l’exécution télévisée de Mohamed Boudiaf, de l’assassinat des moines de Tébéhirine et de l’attaque du centre pétrolier de Téguengourine et …peut-être aussi de toutes les magouilles qu’ils n’ont cessé de concocter contre le Royaume.  
L’opposition jubile surtout l’islamiste d’entre elle. Coup d’Etat signifie tout simplement qu’elle était dans le vrai. Une manière de faire croire qu’elle avait le beau rôle. Celui de l’agneau qui a été malgré la justesse de son combat, happé par le grand méchant loup : l’armée. Le sang versé alors ? Il l’était, mais par les sicaires du GIA, créé de toutes pièces par le DRS, ne cessent de clamer les islamistes du FIS.
Qui des deux parties est dans le vrai ? Nul ne peut trancher car chacune d’entre elles avait tout fait pour éliminer l’autre. D’un côté, les militaires qui ne voulaient pas regagner leurs casernes vu les intérêts qui étaient en jeu, de l’autre, les islamistes qui, impatients d’en découdre avec  les «mécréants» et les «impies» pour instaurer leur utopie, avaient montré après les élections municipales où ils avaient presque tout raflé qu’ils ne voulaient rien partager ; au contraire ils avaient commencé par imposer leur idéologie aux autres, le hijab, les bus et les plages séparés. Quelques «mesurettes» certes  mais qui en disent long sur leurs intentions.  Les intellectuels, quant à eux, bousculèrent pour la plupart dans le giron des putschistes après les premiers attentats les concernant, avant de se rendre compte par la suite de la supercherie dont ils furent les victimes.
Ce qui est sûr et certain est que l’Algérie est à un tournant décisif de son histoire. Quitte ou double ! Ou bien le régime en place remet le pouvoir à une assemblée constituante qui aura pour tâche de préparer un projet de Constitution qui sera soumis à un référendum populaire à la suite de quoi seront organisées des élections parlementaires puis présidentielles, suivra alors une commission rogatoire parlementaire qui aura pour tâche de réécrire l’histoire en situant les responsabilités de part et d’autre. Suivra une amnistie générale qui apaiserait tout le monde avec bien sûr une compensation pour les victimes de tout bord. Ou bien, le cas contraire, ce serait une fuite en avant de ce même régime ; ce qui signifierait l’entrée du pays dans une période de troubles aux conséquences inimaginables parce que cette fois-ci ce ne sera pas un parti contre l’Etat mais tout le peuple algérien contre une direction honnie qui avait récolté pour ne pas dire usurpé les fruits de la Révolution après les accords d’Evian et qui ne cesse encore de dilapider les richesses de l’Algérie pour son propre compte.      




 

 


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