Elisabeth Gomis, un "cuir solide" pour défendre les nouvelles cultures africaines


Libé
Jeudi 20 Mars 2025

Elisabeth Gomis, un "cuir solide" pour défendre les nouvelles cultures africaines
Elisabeth Gomis n'a pas les codes mais elle a forcé la porte. A la tête de la Maison des mondes africains, l'ancienne journaliste joue des coudes pour faire avancer ce lieu culturel voulu par le président français Emmanuel Macron, au coeur d'une bataille d'influence au gouvernement.
Je ne suis pas diplomate et c'est plus facile pour moi d'entrer en contact avec des gens que la parole officielle rebute mais qui sont des capteurs, des baromètres, de ce qui se fait
"Je sais les combats que j'ai menés à l'intérieur de cette matrice qu'est l'administration française", dit la directrice de 44 ans, qui vient de trouver un point d'ancrage à Paris pour son lieu après des mois d'incertitude.

Certains au gouvernement défendaient une implantation sur le site historique de la Monnaie de Paris au risque de dénaturer le projet, rebaptisé MansA et qui ambitionne d'être un "QG permanent" des cultures africaines.

Une autre bataille l'attend désormais pour en sécuriser les financements malgré l'austérité budgétaire. "C'est un décathlon, il ne faut pas perdre toute son énergie sur les premières épreuves", philosophe cette férue d'athlétisme au profil détonnant dans la haute administration.
Elisabeth Gomis veut désormais faire émerger "la face B de l'Histoire" sur la colonisation mais aussi dépasser ce passé miné pour "réenchanter le présent
Noire, afro-descendante, élevée en banlieue parisienne par une mère femme de ménage et un père ouvrier: Elisabeth Gomis refuse d'être réduite à ses origines sociales et bissau-guinéennes, craignant "qu'on ne regarde pas ce qu'elle est capable de faire". Mais l'ancienne productrice à la radio ne renie rien.
"C'est aussi ce qui fait que j'ai le cuir solide", dit celle qui a débarqué à l'Elysée après un coup de fil nocturne et impromptu à l'été 2017.
 
A sa grande surprise, on lui propose alors de rejoindre le Conseil présidentiel pour l'Afrique (CPA) que le chef de l'Etat va lancer deux jours plus tard pour tenter de repenser les relations abîmées entre la France et ce continent.

"On vous parle le samedi et, le lundi, vous serrez la main du président. Et, là, vous vous dites +j'ai pas tout compris+", résume-t-elle.
Personne ne lui fait grief de ne pas avoir voté Emmanuel Macron au premier tour de la présidentielle mais son arrivée à l'Elysée n'est pas bordée de roses.

"Au départ, il y avait un sentiment de rejet. Je ne viens pas de ce monde, je n'ai pas fait l'ENA ou Sciences Po (deux grandes écoles formant les élites françaises, ndlr) et les gens voyaient le CPA comme une diplomatie parallèle", raconte la dirigeante, qui assure avoir reçu des mails acrimonieux d'ambassadeurs. "Je ne comprenais pas comment je pouvais susciter autant de haine".

Passé ce premier round, Elisabeth Gomis fait son nid au CPA, rejoint ensuite le comité d'organisation d'Africa 2020, série de manifestations sous l'égide d'Emmanuel Macron, et tisse en Afrique des liens inaccessibles aux hauts fonctionnaires traditionnels.

"Je ne suis pas diplomate et c'est plus facile pour moi d'entrer en contact avec des gens que la parole officielle rebute mais qui sont des capteurs, des baromètres, de ce qui se fait", note-t-elle, défendant son rôle aux côtés d'Emmanuel Macron, même si elle ne partage pas l'ensemble de sa politique africaine.

"Je ne peux pas rester dans mon coin à dénoncer des choses et ne pas faire ma part, alors qu'on m'a ouvert la porte", explique-t-elle. "Peut-être qu'au début, j'ai eu peur d'être instrumentalisée, peut-être que je le suis encore, mais je vois ce que j'ai pu faire".

"+Liz+, c'est d'abord un très, très gros caractère", souligne auprès de l'AFP Elvis Adidiema, le directeur de Sony Music Afrique, qui l'a connue pendant un voyage présidentiel. "Elle a réussi à s'imposer tout en restant elle-même et c'est quelque chose de plus en plus rare dans notre milieu".

A la tête de MansA, qui espère accueillir ses premiers visiteurs en juin, Elisabeth Gomis veut désormais faire émerger "la face B de l'Histoire" sur la colonisation mais aussi dépasser ce passé miné pour "réenchanter le présent".
"On veut faire émerger cette pop culture qui explose en Afrique mais qu'on a toujours été chercher de l'autre côté de l'Atlantique", explique la dirigeante.

Son ambition de faire grandir son lieu pourrait susciter de nouvelles résistances dans l'administration mais elle est prête au combat. "Je suis à la place à laquelle j'ai rêvé d'être et il est hors de question qu'on me marche sur les pieds", dit-elle. Ses opposants sont prévenus.


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