Au rythme et dans les proportions des débats, organisés sur le projet de régionalisation, depuis l’installation par SM le Roi de la CCR (Commission consultative de la régionalisation) le 3 janvier 2010, on croirait que tout a été dit. Or, pas grand-chose. Les « débats” initiés jusqu’ici tiennent plus de l’effet d’annonce que de l’exigence de rigueur que suppose un chantier majeur comme celui de la régionalisation. L’idéalisme et l’angélisme ont fait le reste, et vas-y que je te tartine des kilomètres de discours sur l’effet messianique du “miracle” de la régionalisation. “Il y a une autoroute pour l’idéalisme”, avertit Ali Bouabid, en prélude à un intéressant débat mercredi à la Fondation Bouabid, à Salé. Comme son thème l’indique, “Projet de régionalisation : Ecueils et opportunités”, le débat s’est donné comme gageure de relever d’abord les écueils qui risquent de se dresser sur le chemin de la régionalisation. “Il faut écarter les écueils pour aller de l’avant”, pense le spécialiste Mohamed Naciri, invité ce soir à animer le débat avec l’aménageur français Felix Dannette. Deux regards se croisent ainsi dans cet échange informel que les organisateurs veulent un riche “exercice de fertilisation”, l’un tenant compte de la spécificité marocaine et l’autre prenant en considération l’exception française. Ouvrant le bal de la grand-messe, M. Naciri a pris ses distances vis-à-vis de l’optimisme ambiant préférant en bon radiologue passer au scanner les différentes “dérives” guettant le chantier naissant de la régionalisation. Il évoque, en premier lieu, “la dérive identitaire”. M. Nacir a attiré l’attention sur le fait que ce genre de dérives ait déjà commencé à pointer du nez, par médias interposés. “Certains spécialistes en mal de repères ont procédé à leur découpage territorial sur la seule et unique base ethno-linguistique”, alerte un observateur. Ici, l’on parle de la région du Grand Souss ; là, de la région du Grand Rif ; ailleurs, de la région du Grand Atlas. La régionalisation est dangereusement conçue selon la “dénomination” de blocs ethniques. Nous y voilà. La deuxième “dérive” est celle des “dénominations”, relève M. Naciri. Et ce n’est pas fini. L’intervenant pointe également “la dérive technico-économique” héritée de l’époque coloniale basée sur les critères des grandes villes et de l’accès à la mer. M. Naciri appelle à une rupture avec ce genre de découpages, du fait de la discrimination qu’il a installée entre un “Maroc utile” et un “Maroc inutile”. S’agissant de la quatrième dérive, elle est plutôt d’ordre partisan. “Il faut faire attention à ce que les partis politiques ne voient dans les régions qu’une occasion de pouvoir”, avertit M. Naciri, insistant sur la nécessité de revoir de fond en comble le mode électoral de manière à dégager des élites locales compétentes. La même tendance à la prudence a été relevée chez l’aménageur Felix Dannette, deuxième intervenant à cet exercice d’échange croisé.
“Il ne faut pas s’attendre à un miracle régional”, a-t-il dit d’entrée de jeu. Bien entendu, il y a un patient travail de maturation qu’il faut accomplir pour récolter les fruits de la régionalisation. La France, l’un des pays les plus avancés au monde en la matière, a pourtant devant elle de beaux défis encore à relever. Cela dit, les résultats obtenus sont déjà encourageants. Ali Bouabid en veut pour preuve un exemple édifiant. En France, il y a un baromètre sur les régions. A la question de savoir si les Français sont fiers de leurs régions, les Corses ont été affirmatifs en premier lieu. Viennent ensuite les Bretons. Sur le point de savoir “Etes-vous fiers d’être Français”, les Bretons suivis des Alsaciens ont figuré en tête des Français à répondre par l’affirmative. Et pour la petite histoire, toujours selon M. Bouabid, un derby passionnant devait opposer dernièrement les Bretons. Sur les gradins du stade, les supporters arboraient le drapeau breton mais n’oubliaient pas de chanter l’hymne national français “la Marseillaise”. Quel enseignement faut-il alors tirer de cet exemple ? La régionalisation ne devrait pas faire peur au pouvoir central. Au contraire, elle ne fait qu’affirmer le sentiment d’appartenance au pays. Le pouvoir central aura sans doute intérêt à déléguer ses attributions aux élites locales. Ali Bouabid a évoqué la nécessité de création de “blocs de compétences” pour affirmer “le fait régional”. C’est là une entrée incontournable pour la réforme de l’Etat.