Il suffit de commencer…


Par Nejm-Eddine Mahla
Lundi 14 Décembre 2015

On dit souvent que les fanatismes religieux - Salafia, Al Qaïda, Daech et autres- donnent naissance à des ersatz et/ou des antithétiques qui finissent par en venir à bout, et dans la plupart des cas, dans un bain de sang qui aurait marqué à jamais le pays ou la région où ce remugle de religiosité et d’athéisme combinés font la part des choses, de manière à créer un climat de tension et d’agitation qui fait que le pays en question devient une poudrière qui pourrait exploser à tout moment. L’Europe du Moyen Age et des Lumières en est l’exemple vivant. Avec la Révolution française, le fanatisme religieux a vécu et ce à cause ou plutôt grâce - si on se réfère à ce qu’est devenue l’Europe de nos jours- aux philosophes des Lumières qui ont par leurs idées sonné le glas de l’Eglise et de son hégémonie sur les consciences et les volontés humaines, jusqu’à n’en faire que de simples exécutants et rien d’autres. Grâce donc à ces penseurs des Lumières comme Voltaire, Rousseau et autres, l’Europe est sortie des ténèbres et est parvenue à ce qu’elle est aujourd’hui. Grâce à ces penseurs des Lumières, l’Eglise catholique s’est retrouvée dans l’obligation de revoir ses dogmes, d’entamer une série de réformes de manière à suivre l’évolution  des mentalités et non le contraire, ce qui se faisait dans les siècles passés,  de manière à sauvegarder sa place au sein de la société européenne, un rôle caduc certes mais qui lui permet de ne pas disparaître des mémoires et de récupérer le peu d’ouailles qui lui restent, la plupart ayant auparavant déserté les bancs de ses lieux de culte.
 Qu’en est-il du monde arabo-musulman, puisque c’est de lui qu’il est question ? Si on surfe sur le Web, on trouvera une panoplie de sites, particuliers parfois - j’entends par là appartenant à une seule personne - qui prônent un discours et des idées que la plupart qualifierait d’inviolables et de tabous. Un discours touchant à tout, allant de la vie privée du Prophète et finissant avec les livres des exégètes dont les travaux constituent avec le Saint Coran les fondamentaux de la Sunna et de la Charia, donc de l’islam. Cette déferlante a commencé en Egypte et touche peu à peu la Tunisie et même l’Arabie Wahhabite ; certains expliquent ce phénomène par le vent de liberté qui a accompagné le Printemps arabe. Certes il y a débat mais un débat houleux qui taxe cette nouvelle vague de tous les noms, appelant parfois les fidèles à les occire au nom d’Allah et de son Prophète Mohammed. Si on considère de plus près le profil de ces intervenants, on constate qu’ils se subdivisent en deux parties distinctes, néanmoins émanant d’une même culture arabo-musulmane, avec pour point commun une connaissance parfaite du Coran et de la tradition, donc au fait de leur sujet, et qui finissent par se rencontrer quand il est question de mettre le doigt sur le mal qui ronge la Oumma. La première est  constituée de laïcs et d’athées, et ce sont les plus négationnistes, à comprendre dans le sens du refus de croire à la chose religieuse qu’ils considèrent comme purs mythes, on cite à titre d’exemple le Tunisien Mohamed Karim Labidi et l’Egyptien Hamed Abdessamad fils d’Imam et ex-Frère musulman. Quant à la deuxième catégorie, elle est constituée d’oulémas, donc de personnes doctes, leurs seuls accrocs c’est qu’ils appellent à revoir les livres de la tradition qui, au fil du temps, sont devenus aussi importants que le Coran même, ce qu’ils considèrent comme une hérésie en elle-même surtout que ces livres, selon ces mêmes chercheurs, contiennent des inepties qui n’ont rien à voir avec l’esprit du Prophète ni avec la raison. Parmi ces érudits, on compte un groupe qui se donne pour nom : les  coranistes, dont le chef de fil n’est autre que le chercheur tunisien Mohammed Talbi. Comme leur nom l’indique, ils refusent tout ce qui est Sunna et Charia et s’appuient sur le Saint Coran.  Leur argument : les musulmans avaient vécu plus d’un siècle sans la Sunna ni la Charia, pourquoi ne pas continuer ainsi. Cette vague qui prône le renouveau ne cesse de faire des émules même parmi les oulémas d’Al Azhar. On citera comme exemple le cheikh Mohammed Abdellah Nasr, plus connu sous le sobriquet de Mizou qui lui a été donné par ses condisciples d’Al Azhar qui, à propos, n’avaient pu venir à bout de ses idées. D’autres ont fait de ce sujet le clou de leurs émissions télévisées, le plus connu est le journaliste Islam Béhiri. Pour l’information, un des cheikhs d’Al Azhar a appelé clairement à le tuer pour apostasie. La liste est longue et ne cessera de s’allonger. L’opinion publique arabo-musulmane est partagée. Certains y voient un complot qui se trame contre la Oumma, complot dans lequel on entasse pêle-mêle tous « les ennemis éventuels » des musulmans, selon ces détracteurs : les sionistes, les communistes, les francs-maçons, les Américains et … les chiites. D’autres y voient une évolution dans les mentalités des musulmans qui ont ras-le- bol de vivre le 21ème siècle avec une mentalité du Moyen Age, un pas en avant pour un islam éclairé du moment que s’est installé un débat certes houleux mais qui finira par apporter ses fruits. 
Il est clair que le débat s’est imposé, en Egypte comme en Tunisie, mais c’est un débat en sourdine. On y participe non pour trouver des solutions mais pour en découdre avec la partie adverse que l’on considère être dans le tort. 
Des free-lances se mettent de la partie des deux côtés pour jeter de l’huile dans le feu. Donc le débat est faussé dès le départ du moment qu’il n’est pas parrainé par de grandes institutions, religieuses mais aussi laïques qui auraient pour cheval de bataille de trouver un terrain d’entente qui jugulerait les extrémismes religieux, en instaurant les nouvelles bases d’un débat imprégné de liberté d’expression, de respect total des idées, jetant aux calendes grecques les anathèmes et les accusations d’apostasie. Il suffit de commencer.



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