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Par 4 261 mètres de fond, sous la calotte glaciaire, flotte le drapeau russe. En août 2007, Moscou a pris l’initiative de cette coûteuse opération afin de mieux affirmer ses prétentions sur l’océan Arctique. En septembre dernier, deux navires océanographiques, américain et canadien, ont mené une mission scientifique dans la mer de Beaufort, aux confins du Yukon canadien et de l’Alaska américain, afin d’analyser précisément les richesses de cet océan glacé. L’enjeu de ces manœuvres n’a rien d’une conquête pour la gloire du pôle Nord. Il s’agit du contrôle des hydrocarbures - que la région posséderait en abondance.
p Un nouvel eldorado
pétrolier ?
Selon les récentes études de géologues américains, l’équivalent de 90 milliards de barils de pétrole dormirait dans les grands fonds du cercle polaire – soit 22 % des réserves pétrolifères non-exploitées de la planète ; trois ans de l’actuelle consommation mondiale ; ou encore les réserves cumulées du Nigeria, du Kazakhstan et du Mexique. L’océan Arctique abriterait aussi 48 milliards de mètres cubes de gaz naturel, soit 30 % des réserves mondiales. De quoi aiguiser la convoitise des pays frontaliers du Grand Nord : les Etats-Unis, la Russie, le Canada, la Norvège et le Danemark (via le Groenland). Pourtant, aucun gisement n’a encore été trouvé. Travailler par des températures descendant jusqu’à – 40°, sous un vent d’une violence à rendre fou, dans la nuit six mois sur douze et alors que la calotte glaciaire dépasse souvent 3 000 mètres d’épaisseur, est extrêmement difficile. Entre le coût des forages et la chute du prix du pétrole, il n’est même pas certain que ces gisements soient rentables. Néanmoins, Exxonmobil, Husky, Cairn Energy, Chevron, le Groenlandais Nunaoil et le Danois Dong Energy sont sur place. Les perspectives sont trop alléchantes pour négliger cette opportunité, la consommation mondiale d’hydrocarbures étant toujours plus élevée et les réserves dans le reste du globe sur une pente déclinante. En outre, si aujourd’hui la banquise et le froid extrême rendent le prix d’un forage en Arctique cinq fois plus élevé qu’ailleurs, le réchauffement climatique va réduire ce coût et faciliter la découverte des gisements.
p Bataille pour la propriété des gisements
Planter un drapeau sous la calotte glaciaire ou mener une expédition scientifique ne suffit pas à revendiquer un droit de propriété sur un territoire. A qui appartiendront ces ressources ? Qui est maître de l’océan Arctique ? La convention des Nations unies sur le droit de la mer autorise un Etat côtier à étendre sa juridiction sur le plateau continental, c’est-à-dire le prolongement des terres sous la surface de la mer, jusqu’à 200 milles nautiques (370 km) au-delà de sa zone économique exclusive. Cela paraît simple, mais c’est très compliqué car le plateau continental évolue, à l’instar de la dorsale de Lomonossov. Cette chaîne de montagnes sous-marines, longue de 1 800 kilomètres, s’étend de la Sibérie au Groenland et à l’île canadienne d’Ellesmere. Sa position étaye les revendications de la Russie sur une vaste partie de l’Arctique. Mais le jeu de la tectonique des plaques fait que cette dorsale s’éloigne progressivement de la Sibérie. Ce qui renforce les prétentions du Canada et du Groenland. La commission de l’Onu pour la délimitation du plateau continental a du travail en perspective. Les cabinets d’avocats aussi.
Comme le soulignait récemment le Premier ministre canadien Stephen Harper : « Si on n’exerce pas sa souveraineté sur l’Arctique, on la perd. » Ottawa a donc renforcé ses patrouilles maritimes, annoncé la construction d’un port en eau profonde et dévoilé un vaste plan de recensement des ressources minérales et énergétiques du Grand Nord. Pour le Groenland, l’enjeu dépasse la seule hausse de ses revenus pétroliers ; il en va de sa possibilité d’accéder à l’indépendance (voir article précédent).
p La Guerre froide de retour ?
Au demeurant, les ambitions des grandes puissances autour du cercle polaire ne sont pas qu’économiques ; elles sont aussi stratégiques. Le réchauffement climatique entraîne une fonte des glaces sans précédent. Les scientifiques l’estiment à 20 % depuis 1979, soit 1,3 million de km_ en moins. Le Groenland perdrait 100 milliards de tonnes de glace par an depuis 2002. Longtemps, la banquise et le froid ont été les meilleurs garants de la sécurité de la région. Aujourd’hui, le réchauffement relance l’intérêt stratégique du continent blanc.
Washington entend mener toujours plus au nord sa surveillance maritime. Immense espace, peu peuplé, difficile d’accès, ce désert de glace est un site privilégié pour déployer des radars d’observation et les missiles du fameux « bouclier anti-missiles » américain. Les Etats-Unis disposent déjà d’une base militaire dans le nord-ouest du Groenland, à Thulé.
L’Otan pourrait aussi y installer un site. De quoi provoquer la colère de Moscou qui multiplie les missions sous-marines autour du cercle polaire. La Russie et les Etats-Unis sont les seuls pays à posséder des submersibles capables d’opérer sous la banquise. Pour la Russie, de la glace en moins, ce sont des accès vers la mer en plus. D’autant que la chute de l’URSS a entraîné un accès plus difficile aux ports de la Baltique et de la mer Noire.
Moins de banquise, c’est aussi plus de place pour construire des parcs de sous-marins nucléaires ouverts sur l’océan Pacifique, autour du détroit de Béring, des îles Kouriles et de la rade de Petropavlosk-Kamtchatski. « Ces ambitions autour de l’Arctique, c’est vraiment le réveil de la Guerre froide », ironise un diplomate en poste à l’Onu.
p Les Inuits veulent
être consultés
La fonte des glaces devrait également permettre l’ouverture de nouvelles routes maritimes au nord du globe, qui raccourciront de 7 000 km la distance de navigation entre l’Europe et l’Asie par rapport au canal de Suez, mais qui rapprocheront aussi les côtes est et ouest du continent nord-américain. Déjà, on estime que le trafic devrait passer de 3 millions de tonnes de fret en 2005 à 14 millions en 2015. C’est dire l’enjeu commercial. Ces nouvelles voies navigables devront être sécurisées, tant pour contrôler les marchandises qui y transitent et d’éventuelles menaces terroristes que pour prévenir de possibles collisions entre les navires, aux conséquences écologiques dramatiques.
Dans ce domaine, le Canada est – géographiquement – en première ligne. La devise du pays, D’un océan à l’autre, sera de plus en plus juste au fur et à mesure que la banquise cède la place à des voies navigables entre l’Atlantique et le Pacifique. Ottawa espère toucher les dividendes de ce trafic maritime, mais aussi prévenir les risques associés à une navigation plus dense : marée noire, naufrage, trafic de drogue, immigration clandestine… Une revendication qui se heurte au veto des Etats-Unis et de l’Union européenne qui refusent que les futures voies navigables soient placées sous une quelconque souveraineté nationale, arguant du fait qu’elles rejoindront deux océans, donc deux espaces sans propriétaire.
Cette convoitise autour de l’Arctique suscite bien des inquiétudes. Le Groenlandais Aggaluk Lynge préside l’ICC, la Conférence inuit circumpolaire, un mouvement qui entend réunir les 150 000 Inuits du Grand Nord, quel que soit le pays où ils vivent. Comme il le disait dans Le Monde : « Le réchauffement climatique n’est pas une bonne nouvelle pour la région, même s’il facilitera l’exploitation pétrolière dont le Groenland a besoin.
Les risques écologiques sont énormes. Des multinationales vont arriver sur place sans respecter les modes de vie des Inuits, sans respecter les règles sociales, risquant même de les corrompre et de les diviser par l’argent. Nous sommes les premiers habitants de cette région, mais nous ne sommes jamais consultés et serons les derniers à bénéficier de ses richesses. » Les craintes d’Aggaluk Lynge sont d’autant plus justifiées qu’à la différence de l’Antarctique, l’Arctique n’est protégé par aucun traité international. Certes, en mai dernier, les cinq pays frontaliers (Etats-Unis, Russie, Canada, Norvège, Danemark) se sont engagés à « prendre des mesures pour assurer la protection et la préservation du fragile environnement marin de l’océan Arctique ». Mais il s’agit d’une simple déclaration de bonnes intentions, sans valeur contraignante.