Entretien réalisé avec Nouzha Skalli, députée PPS et ancienne ministre du Développement social, de la Famille et de la Solidarité


Le plan gouvernemental a négligé la question de l’égalité entre les hommes et les femmes

Nezha Mounir
Lundi 11 Mars 2013

Entretien réalisé avec Nouzha Skalli, députée PPS et ancienne ministre du Développement social, de la Famille et de la Solidarité
Libé : Votre parcours de grande militante, à saluer du reste, vous donne-t-il le sentiment du devoir accompli?

Nouzha Skalli : Aussi loin que je m’en souvienne, j’ai toujours été interpellée par les problèmes de discrimination à l’égard des femmes et je me suis fixé des objectifs en matière d’égalité. Chaque fois qu’ils   sont atteints, d’autres pointent à l’horizon. Quand je pense à toutes les années et à la traversée du désert pour la cause des femmes en rapport avec leurs revendications, que ce soit dans les partis ou les associations féminines, il y avait des choses qui nous semblaient relever de l’impossible à réaliser. A titre d’exemple, la réforme du  Code de la famille, l’accès des femmes au Parlement. Des années durant, je me suis dit que si la réforme du Code de la famille est réalisée et que les quotas concernant les femmes sont accordés, j’aurai alors atteint mes objectifs et je prendrais tranquillement ma retraite, mais il n’en est rien. Avec toutes les réformes réalisées, et elles sont nombreuses,  il fallait en fin de compte une Constitution qui préconise la parité et l’égalité. Là, on y est. Mais est-ce pour autant qu’on devrait dormir sur nos lauriers ? La réalité est tout autre et elle a la peau dure. Certes les lois, les mesures et les décisions politiques contribuent à ouvrir des perspectives, mais tant qu’on n’a pas considéré la question de l’égalité entre les genres à travers une approche globale, abordée par l’ensemble des politiques publiques, on ne peut confirmer que les objectifs sont atteints. C’était un peu l’esprit de l’agenda de l’égalité, le plan d’action gouvernemental 2011-2015. Aucune dimension n’a été ignorée et particulièrement le 9ème point prioritaire, à savoir la diffusion  de la culture  de l’égalité et la lutte contre les stéréotypes. Ces dimensions ont été négligées dans le nouveau plan gouvernemental. Comment voulez-vous qu’on réalise des réformes si la mentalité continue à considérer que la femme devrait se marier à 16 ans, se confiner dans son rôle traditionnel et se voiler pour  se protéger du harcèlement sexuel, comme si on considérait que les victimes du harcèlement sexuel sont en fait responsables de ce qu’elles subissent?

Pourquoi un nouveau plan gouvernemental pour l’égalité des genres alors que vous veniez d’en élaborer  un?

Malheureusement, le gouvernement actuel ne considère pas la question de la femme et de l’égalité comme  une question supra-partisane. Tout le monde devrait être dans la même dynamique et capitaliser sur les acquis. Moi, quand je suis arrivée au gouvernement, je n’ai pas trouvé un champ vide. Beaucoup de chantiers avaient été ouverts par les gouvernements précédents, entre autres, la stratégie et le plan d’action pour la lutte contre la violence faite aux femmes. Le ministère a  continué sur cette lancée en adoptant d’autres plans d’action comme le programme Tamkine.
On a  organisé ainsi, à titre d’exemple, la campagne nationale de sensibilisation contre la violence. La dernière a eu lieu entre le 25 novembre et le 10 décembre 2010. En 2011 la date de la campagne coïncidait avec la tenue des élections. En 2012, l’événement est passé plutôt sous silence. Juste une petite conférence a été organisée. Pas de spots publicitaires à la télévision et à la radio, encore moins de sensibilisation à travers les régions. Sur le dossier des droits des femmes, nous avons le sentiment que l’actuel gouvernement tend plus vers une rupture que d’assurer la continuité au niveau de l’action du gouvernement précédent. D’ailleurs, devant les parlementaires et lors de sa  première présentation, la ministre actuelle de la Solidarité, de la Femme, de la Famille et du Développement social, a nié l’existence d’un quelconque agenda gouvernemental de l’égalité. Elle n’en a pas trouvé sa trace au ministère, avait-elle déclaré. Par la suite, elle s’est rétractée pour dire que cet agenda a été présenté au gouvernement mais n’a pas été adopté. Sa présentation au Conseil de gouvernement n’est-elle pas une approbation?
Nous avons travaillé durant 2 ans sur ce plan avec les secteurs gouvernementaux, la société civile et les parlementaires. Nous nous étions assuré l’appui de l’Union européenne avec une enveloppe de 45 millions d’euros. La ministre a ensuite compris qu’il y avait eu un engagement. Elle a fini par signer avec l’Union européenne, tout en s’empressant d’apporter sa propre touche au niveau de l’appellation. Depuis lors, il s’agit d’Ikram. C’est une approche à caractère caritatif alors que c’est l’approche droits de l’Homme qui était de mise à la source. Il est vrai que l’agenda vise la lutte contre la vulnérabilité, la protection des femmes rurales, l’accès aux infrastructures de base, mais il n’y a pas que les femmes pauvres qui sont visées. L’agenda s’adresse également aux femmes entrepreneurs afin de les aider à occuper la place qui leur revient. L’autre touche apportée également à l’agenda concerne la date. Initialement, il s’étendait sur la période 2011-2015. Pourquoi 2015 parce que c’est la date fixée pour les Objectifs du Millénaire (OMD), et de ce fait, les engagements du Maroc devaient être respectés. Mais avec la nouvelle équipe ministérielle, Ikram est agencé de 2012 à 2016.

Est-ce à dire que l’agenda  initial a été gardé ? Qu’en est-il de son application ?

Un grand  manque de visibilité est à déplorer à ce stade. Jusqu’ici et au niveau du Parlement, nous n’avons toujours pas reçu un document représentant ce plan d’action du gouvernement pour l’égalité. On n’a pas eu droit à l’information. Apparemment, c’est en cours de discussion au niveau des départements gouvernementaux. Quant à son application,  des  départements étatiques  se sont déjà engagés avant le gouvernement. L’agenda pour l’égalité n’a pas été conçu pour être mis en application par le ministère de tutelle mais plutôt par l’ensemble des secteurs. Le rôle du ministère étant celui de coordinateur, en plus des domaines d’action spécifiques du ministère.

Pour revenir à l’égalité et à la parité, normalement tous les ingrédients sont réunis pour leur promotion notamment de par la nouvelle Constitution.

Mais est-ce que la volonté politique est présente ? Déjà la couleur a été annoncée par la nomination d’une seule femme au gouvernement juste après l’adoption d’une nouvelle Constitution qui exhorte l’Etat à l’effort vers  la parité. Certes d’aucuns ont pointé également du doigt les partis qui n’ont pas présenté de candidates, mais en fait la Constitution oblige principalement l’Etat.  Et puis par la suite, le gouvernement a promis de se rattraper en nommant plus de femmes aux hautes fonctions de l’Etat.  A ce niveau, plusieurs points sont à soulever. Il s’avère que les femmes ne briguent pas souvent les postes de responsabilité. En effet, quand il y a un appel à candidature, le nombre de candidates est très faible parce qu’elles sont tenues par des responsabilités familiales. Il faut préciser également que les équipements socioculturels  ne sont pas à même de leur faciliter la tâche, sans omettre les mentalités et le manque de partage des responsabilités au sein des foyers.  Une multitude de causes qui montrent encore une fois que la question de la femme doit être perçue dans une vision globale et à tous les niveaux sans oublier le volet socio-éducatif (crèches, cantines scolaires). A ce propos, les médias publics audiovisuels ont un rôle important à jouer. Dans la plupart des émissions politiques, l’absence des femmes est flagrante. Pour une raison ou une autre, seuls les hommes y participent. Du coup, les femmes ne se sentent pas concernées. Il faut les sensibiliser à mieux s’impliquer dans la gestion publique d’autant plus qu’elles représentent la moitié de la population. Quand elles défendent leurs intérêts, elles défendent en même temps ceux  des enfants, des personnes âgées et des handicapés. C’est une réalité avérée. J’en ai fait l’expérience dans des quartiers très défavorisés où les besoins sont multiples et énormes. Quand on a demandé aux hommes quelles étaient  leurs priorités, ils ont répondu sans hésiter : un terrain de foot, une maison de jeunes et une infrastructure routière. Quant aux femmes, elles souhaitaient tout particulièrement un hammam, un dispensaire et une école. Ces choix en disent long sur les préoccupations des uns et des autres de par l’éducation qu’ils ont reçue. Personne ne peut nier, et ce même au niveau des organismes internationaux, que le sort de l’enfant est intiment lié à celui de sa mère. Par ailleurs, concernant les personnes âgées, les femmes sont généralement très sensibles à leur situation.  En somme, elles ont tendance à se dévouer aux autres.  Alors pour aller de l’avant, il faut indéniablement veiller à les impliquer davantage afin de  les sortir de la misère  et les protéger de la violence.

A propos de la violence, d’après une enquête rendue publique par le Haut commissariat au plan (HCP), plus de 60% de femmes ont été victimes de violence. Un chiffre effarant.

Mais la réaction du chef du gouvernement face à cette réalité l’est encore plus. Lors de la séance mensuelle des questions sur les politiques publiques,  il a mis en doute ces statistiques. Il s’est même permis de dire, pour mieux marquer son scepticisme, qu’à ce rythme  il y aurait bon nombre de victimes de violence à enregistrer parmi l’assistance. Mais qu’est-ce qu’il en sait, en fait? Et puis la violence revêt des formes diverses. Elle est aussi verbale quand un haut responsable de l’Etat s’interroge publiquement s’il doit tirer les femmes par les cheveux pour les faire entrer au gouvernement. La polygamie en est également une. Aujourd’hui, nous avons un ministre de la Justice et des Libertés qui se vante en pleine réunion de la commission parlementaire d’être bigame.

Il y a un autre problème qui se pose, c’est la mise en œuvre de la Constitution. Plusieurs instances peinent à voir le jour.

Une commission scientifique a été mise en place pour la préparation de la loi relative à l’Autorité pour  la parité et la lutte contre toutes les formes de discrimination (l’APALD). Cette commission est amenée à recevoir les mémorandums des associations et des partis politiques. A noter que cette Autorité a été placée par la Constitution au même niveau que le Conseil national des droits de l’Homme (CNDH), le Conseil de la communauté marocaine à l’étranger (CCME)  et le Médiateur. Des instances qui, d’après la Constitution, devraient être  indépendantes et liées à un niveau supra-gouvernemental.
Or, dans l’agenda législatif du gouvernement, les 3 autres instances relèvent d’une commission spéciale qui prépare leurs projets de loi alors que l’APALD a été placée sous la tutelle du gouvernement. C’est déjà paradoxal: voici une discrimination à l’égard d’une commission prévue pour la lutte contre la discrimination. Pour ce qui est de sa composition, on compte parmi ses membres 7 femmes et 7 hommes. La plupart de ces derniers ne sont pas parmi les militants les plus fervents de la cause féminine. Loin de là. On y retrouve même un spécialiste du fiqh en Arabie Saoudite. Mais a-t-on vraiment besoin d’un tel expert alors qu’on  prépare une loi pour la promotion de la parité et la lutte contre la discrimination? Il faut plutôt des personnes ouvertes sur le droit international et la culture des droits de l’Homme, convaincues de l’esprit de l’APALD. Ce qui me pousse à me poser des questions sur les critères qui ont présidé au choix des membres de cette commission et également sur le caractère «scientifique» qu’on lui a attribué. A mon sens, elle a  plutôt un caractère politique.

Il y a neuf ans, l’adoption du Code de la famille a été considérée comme une véritable révolution. Qu’en est-il réellement? Les attentes sont-elles au rendez-vous?

Il faut noter que des mesures ont été prises afin d’accompagner la mise en œuvre du  Code de la famille, déjà du temps de feu Bouzoubââ, vu la forte volonté politique qui a accompagné la conduite de ce chantier, sous l’égide de SM le Roi Mohammed VI. A titre d’exemple, le ministère de la Justice est tenu de publier annuellement les chiffres afférents à l’application de la Moudawana. Une sorte de monitoring : quels sont les impacts sur les mariages, les divorces, la polygamie, le mariage des mineures… ? L’ensemble de ces évaluations devrait servir de base pour élaborer d’autres textes législatifs. C’est dans ce cadre que nous avons élaboré en 2010 un projet de loi  sur la violence à l’égard des femmes mais qui n’a toujours pas été présenté devant le Parlement. Ce volet pénal vient compléter l’aspect civil contenu dans le Code de la famille. Malheureusement, il y  un blocage à ce niveau,  fort déplorable du reste. En effet, la plupart du temps, la violence faite aux femmes se produit dans un cadre matrimonial (mariage, fiançailles, divorce…). La preuve d’un tel acte est souvent difficile à apporter. Par ailleurs, parmi les acquis, il faut souligner la mise en œuvre du Fonds d’entraide familiale. En outre, les interférences des idéologies et de la culture négative à l’égard des femmes sont perceptibles à travers les effets du Code de la famille.
On constate qu’au début de sa mise en application, bon nombre de femmes ont profité des nouvelles mesures pour divorcer.  Par contre, on relève, hélas, la progression des mariages des mineures.

Entretien réalisé avec Nouzha Skalli, députée PPS et ancienne ministre du Développement social, de la Famille et de la Solidarité


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1.Posté par abdelkrim le 11/03/2013 13:33
chapeau, Medames !

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