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Né le 20 janvier 1947 à Bouguenais en Loire Atlantique, Cyrille entame sa carrière cycliste à l'âge de 17 ans. Durant sa carrière de coureur professionnel, il a totalisé 94 victoires. Il a également remporté deux fois la médaille de bronze aux Championnats du monde sur route(Mendrisio -Suisse en 1971 et à Gap-France en 1972). Il a aussi remporté le championnat de France de vitesse en 1969 et de
cyclo-cross en 1976. Il débute sa carrière de directeur sportif en 1976. De 1978 à 1985, l'équipe Renault qu'il dirige remporte 6 Tours de France (Bernard Hinault, 1978, 1979, 1981 et 1982 et Laurent Fignon, 1983 et 1984). Hinault gagne aussi deux fois la Vuelta d'Espagne et deux fois le Giro d'Italie et le championnat du monde sur route en 1980. Et depuis 2007, il est directeur sportif du Vélo club de Roubaix-Lille Métropole. Cyrille Guimard est également consultant sur la chaîne Sport + et sur Radio RMC.
Libé : Alors ce voyage, il a lieu dans quel cadre?
Cyrille Guimard : C'est tout simplement des vacances. On a eu un début de saison très chargé avec mon équipe. Et puis là, on avait un petit créneau. C'est la seule période où on pouvait prendre des vacances aussi. Finalement, je vais repartir gonflé à bloc parce qu'on en a profité au maximum en faisant de longues sorties en VTT avec tous les vététistes d'ici. Et c’était aussi un très bon moyen pour visiter la région. Et puis, beaucoup de chaleur, beaucoup de convivialité pendant toute cette semaine. Je pense que je reviendrai dans peu de temps.
Comment avez-vous trouvé nos vététistes?
Très sympas. Bon, on aime bien faire des petites accélérations, de temps en temps, mais ça se passe dans un cadre très fun. On est là pour se promener et se faire plaisir. Il y a vraiment une ambiance très chaleureuse. Je dirai même très fraternelle, et ça, c'est quelque chose de très important pour moi.
C'est votre premier voyage au Maroc ?
Non. J'étais venu il y a un peu plus de trente ans et à Agadir d'ailleurs. C'était aux environs des années 1978/80. Je venais juste d'arrêter. J'étais un jeune directeur sportif. J'étais venu pour une semaine au Club Med. j'ai pas fait du vélo du tennis à l'époque. En fait, . j'étais venu au Club pour décompresser. C'était l'époque où je commençais à faire beaucoup de tennis en tant qu'activité sportive parce que j'avais besoin de me décrocher du vélo. Quand on arrête sa carrière, on a souvent besoin de faire d'autres activités et le tennis me plaisait. Je jouais au tennis et je bouquinais. Je n'avais pas cherché à découvrir, à voir car j'étais pas dans la même configuration. Aujourd'hui, j'ai beaucoup plus envie de découvrir, de connaître. Et puis, , j'ai un beau frère marocain, car ma sœur est mariée avec un marocain. C'est aussi pour moi l'occasion de découvrir son pays.
Parlons cyclisme maintenant, si vous le voulez bien. Connaissez-vous le cyclisme marocain?
Personnellement, je n'étais pas venu. Mais j'avais des équipiers ou des copains qui étaient venus au Tour du Maroc, Il y avait entre autres, Francis Ducreux. Et puis, , je me souviens aussi d'El Gourche qui était à l'époque l'un des coureurs les plus représentatifs sur le plan européen, puisqu'il faisait la Course de la Paix. Et je me souviens des coureurs algériens qui étaient venus à Nantes. Il y avait Djelil, Hamza, et le fils de Zâaf qui étaient venus à mon club, l'ASPTT de Nantes. C'était donc la grande période d'El Gourche. On était un petit peu sensibilisé. Mais à l'époque, j'avais 17 ou 18 ans et j'étais encore jeune amateur.
Et actuellement, qu'est-ce que vous faites?
-Depuis quatre ou cinq ans, je suis au Vélo Club de Roubaix. Le président, Jean Charles Canonne, m'avait demandé de venir donner un coup de main au club parce qu'il avait plusieurs projets; il avait aussi une pratiquante, Van Den Kerkov, qui marchait très bien puisqu'elle était championne du monde et voulait un vélodrome couvert. Le Vélo club de Roubaix était l'un des meilleurs clubs amateurs, mais il voulait passer à l'échelon professionnel. Par amitié pour le président, j'ai donc accepté. Le vélodrome va être prêt pour 2012, principalement, pour les équipes françaises, peut-être d'autres équipes qui viendront s'entraîner pour les Jeux de Londres. Et en deux ans, on a réussi à monter une équipe professionnelle qui court avec les pros team. Et pour l'instant, on marche même très bien puisqu'on a gagné plus de trois courses avec les pros team. Donc , ça va très bien.
Quelle analyse faites-vous du cyclisme mondial ?
-A l'échelle mondiale, le cyclisme est vraiment en pleine mutation. C'est un sport qui était d'origine latine donc francophone avec la France, l'Italie, l'Espagne, le Bénélux et la Suisse. Je pense que l'ancienne Europe a perdu le leadership et qu'on va passer de la francophonie à l'anglophonie. Aujourd'hui, ce sont les anglophones qui sont, à mon avis, en train de prendre le pouvoir au plus haut niveau. Sur la piste, avec les Anglais mais aussi les Australiens, et sur la route également avec une forte poussée des Néo-Zélandais qui arrivent et qui viennent aussi de la piste. Mais on a aussi beaucoup de coureurs des pays anglophones qui viennent du VTT ou du BMX ou qui passent par la piste et qui arrivent sur la route avec beaucoup de talent. Ce sont des coureurs comme Mac Ewen ou Mark Cavendish, entre autres, ou encore Cadel Evans qui viennent de ces disciplines de base. Depuis la chute du mur de Berlin ? les pays de l'Est ont beaucoup plus de mal parce que financièrement, les structures sont difficiles à mettre en place dans l'ex-Union Soviétique, mais il y a là-bas un potentiel coureurs vraiment très, très fort. Et je crois que cette mutation dont je parlais tout à l'heure est en train de se faire avec des coureurs qui arrivent et qui ont faim comme on dit dans notre jargon, qui ont besoin du sport pour gravir les échelons de la vie sociale. Mais les anglophones y viennent avec une véritable mentalité de gagneur alors que nous, dans notre ancienne Europe, on est rentrés dans une sorte de ronron où on mélange “se faire plaisir” dans la pratique et “se faire plaisir” en gagnant. Et nous, on aime plutôt partir se faire plaisir dans la pratique qu'avoir ce véritable esprit de conquérant, de gagneur. Et, je crois que c'est quelque chose de très important.
-Que pensez-vous du cyclisme africain?
-Moi, le seul que je connaissais, on en parlait tout à l'heure, c'est le cyclisme marocain et quelques coureurs algériens. Aujourd'hui, on a deux ou trois Tunisiens qui marchent très bien parce qu'ils sont sortis du Centre d'Aigle (ndlr. Le Centre mondial du cyclisme de l'UCI à Aigle en Suisse). Depuis quelques années, avec l'arrivée du Pro Tour et de l'Africa Tour, il y a une multiplication des épreuves, au Gabon, au Sénégal, au Mali, etc. Donc, je pense que ça va créer une émulation au niveau de ces pays qui, bon an mal an, n'ont pas une tradition et une culture cyclistes. Aujourd'hui, il est clair que ces pays arriveront à se développer s'ils ne vivent pas en autarcie entre eux, et surtout s'ils font appel à des techniciens qui ont une vraie culture vélo et qui viennent de l'Europe ; ça, c'est indispensable. Pour progresser, il faut aller chercher de la matière grise là où elle est pour permettre la formation d'éducateurs et d'entraîneurs sur l'ensemble de l'Afrique. Parce qu'on ne devient pas éducateur ou entraîneur compétent quand on n’a pas une vraie culture derrière.
Le cyclisme africain commence tout juste à se développer surtout depuis la création de l'UCI Africa Tour en 2005. C'est le cas aussi dans d'autres continents. Mais il n' y a actuellement que le cyclisme sur route. Il n’y a pas de piste, pas de BMX, pas de VTT. . . Qu'en pensez-vous ?
Oui, mais il n’y a pas que le cyclisme traditionnel. Je pense qu'aujourd'hui, si on voit par exemple au niveau du Maroc, et c'est un peu la même chose ailleurs. On a un cyclisme sur route arrivé à un certain niveau, mais on n’a pas de fondations ni de formation au niveau des jeunes. Or, la vraie formation aujourd'hui se fera par le BMX et le VTT qui sont beaucoup plus faciles à pratiquer au niveau scolaire dans le cadre des écoles, parce que c'est facile de trouver les vélos et d'emmener des jeunes sur des parcours de VTT ou de faire des petites pistes de BMX sans prendre le risque d'aller sur la route, et d'apprendre les qualités techniques, gestuelles et d'équilibre. Les qualités cyclistes sont alors beaucoup plus faciles à acquérir et on les apprend beaucoup mieux à travers ces disciplines qui sont des disciplines de base pour former les vrais coureurs sur route. C'est facile à faire au niveau scolaire. Et comme on le fait pour le handball, le basket-ball ou le football, on peut créer des écoles de VTT et de BMX qui vont permettre de former des coureurs pour la compétition sur route et pour la piste. Et on le voit bien dans des pays qui n'avaient pas de tradition route, par exemple l'Australie mais qui ont une tradition BMX, VTT et piste et qui sont en train de sortir pratiquement 20% des meilleurs coureurs mondiaux sur route venant de ces disciplines. Ce qui veut dire qu'on va apprendre à travers ces disciplines toutes les qualités nécessaires pour donner un bon cycliste. Et c'est ce qu'il faut faire aujourd'hui plutôt que de commencer à faire de la route à 12 ans ou à 14 ans. Là, ce sont des disciplines extraordinaires. Aujourd'hui, c'est VTT, BMX, et je dirai même cyclo-cross, s'il y en avait ici parce que le cyclo-cross est une discipline qui prépare à devenir un grand champion si on a les qualités. On ne devient pas un champion si on n'a pas les qualités et la base au départ. Donc, commençons déjà au niveau des jeunes à former à travers le VTT et le BMX. Bon, s'il y a des pistes aussi…, mais encore faut-il qu'il y en ait. En tout cas, ce sont les trois disciplines de base qui permettent de préparer et de faire tout l'apprentissage pour devenir un grand routier.
-Et à propos du dopage, quel est votre avis?
-Je dirai que c'est une réalité parce que depuis une dizaine d'années l'ensemble des fédérations, l'Union cycliste internationale, les fédérations nationales dans leur grande majorité parce qu'il y en a encore qui ne le font pas ont mis en place des systèmes pour essayer d'éradiquer le dopage. Bien sûr, vous aurez toujours des individus qui tenteront de passer à travers. Mais avec tout l'arsenal qu'il y a aujourd'hui : le suivi médical, le tribunal, le passeport biologique, les contrôles et les laboratoires qui essayent d'être plus performant. Les chiffres sont là pour le démontrer, le sport cycliste est peut-être le plus sain. Vous savez, nous on a des coureurs positifs parce qu'on cherche alors que dans d'autres disciplines, on interdit les contrôles sanguins. Or, si vous ne faites pas les contrôles sanguins, vous ne pouvez rien trouver aujourd'hui. On n'est plus en 1950. Donc, aujourd'hui, si vous n'avez pas les contrôles sanguins, si vous n'avez pas une carte biologique de l'individu ou ce qu'on appelle chez nous le passeport biologique, vous passez à travers les mailles du filet. Vous faites ce que vous voulez. Donc, quand les fédérations disent : on ne veut pas de contrôles sanguins, ça veut dire qu'elles couvrent quelque part, qu'elles ne veulent pas savoir. Et elles ont peur de quoi ?Et comme par hasard, ce sont les sports qui ont beaucoup d'argent. Il y a tellement de business là dedans qu'on n'a pas du tout envie de faire des contrôles.
Quels conseils donneriez-vous à un jeune débutant ?
Le conseil que je pourrais lui donner, c'est d'abord de chercher tout de suite un bon entraîneur. C'est peut-être pas évident à trouver. Mais la première chose, c'est de trouver un bon entraîneur qui va vous donner les bases. Ensuite, il faut avoir la passion , il faut avoir le temps et les moyens nécessaires pour bien s'entraîner et respecter les programmations d'entraînement. Il faut aussi du talent mais le talent, ce n’est pas de la responsabilité de l'individu, c’est de la responsabilité des parents parce que les qualités génétiques, on les a à la naissance ou on ne les a pas et même si vous les avez, vous devez savoir qu'on ne devient pas tous champions car c'est le sommet de la pyramide. Donc, il faut essayer de voir jusqu'où on peut aller par rapport à ses capacités physiques. Pour cela, il faut être bien conseillé, il faut être bien entraîné et puis après, cela dépend des moyens.
-Que représente le sport cycliste pour vous?
-C'est un moyen de s'instruire à tous les niveaux. Parce que la compétition en tant que telle demande de l'intelligence, donc de la réflexion, et si vous êtes capable d'avoir de la réflexion vous l'aurez pour autre chose. Si vous êtes capable de vous battre pour essayer de gagner, vous serez également capable de vous battre dans la vie et essayer d'assurer une vie meilleure, de vous battre pour vous instruire, de trouver les moyens de vivre pour votre famille. Le sport, c'est véritablement l'école de la vie dans tous les sens du terme parce que ça demande solidarité et esprit d'équipe. Car si vous jouez au football, on voit le sport d'équipe et si vous êtes dans une course cycliste, le sport d'équipe existe aussi, mais il ne se voit pas. Il est aussi puissant, sinon plus puissant que le sport d'équipe parce qu'en cyclisme quand vous travaillez comme au niveau professionnel, vous travaillez pour en faire gagner un. En football, vous travaillez pour faire gagner l'équipe. Et vous avez peut-être le meilleur défenseur, le meilleur gardien, le meilleur attaquant, mais l'important, c'est le groupe, chacun à son poste. Chez nous, quand vous avez des coureurs qui emmènent un sprint, ils font soixante-quinzièmes. On ne retiendra que celui qui a gagné. C'est-à-dire qu'il y a aussi le sacrifice. Pour moi, le sport cycliste a une autre dimension, c'est un sport de commandos parce que tout le monde se bat pour qu'il y en ait un qui franchisse la ligne le premier. C'est comme si vous étiez une équipe et que vous aviez une bombe à mettre quelque part. Il faut que tous les autres sautent sur les mines parce qu’ils permettent à celui qui porte la bombe d'aller jusqu'à la ligne. C'est une image bien sûr, mais c'est ça le vélo, on se sacrifie tous pour qu'il y en ait un qui gagne. Et si celui qui est soi-disant le plus fort pour gagner a un passage à vide, on va essayer de passer le témoin à un autre. C'est-à-dire qu'on va inverser dans la course et là, on rentre dans toute la stratégie, et c'est là où je parlais de l'intelligence de course, qui se manifeste dans la capacité de changer une stratégie de départ, d'avoir de l'intuition, donc de l'intelligence. Et dans mon métier, c'est ce qui est intéressant, c'est d'amener la jeune équipe que j'ai aujourd'hui être dans les dix meilleures. On doit être dans les dix premiers du classement européen avec des jeunes qui ont tous moins de 25 ans et dont certains ont 20 ans. On est que dix, mais pour l'instant, on fait jeu égal avec les pros team parce que j'ai réussi à mettre en place tout un système de course.
cyclo-cross en 1976. Il débute sa carrière de directeur sportif en 1976. De 1978 à 1985, l'équipe Renault qu'il dirige remporte 6 Tours de France (Bernard Hinault, 1978, 1979, 1981 et 1982 et Laurent Fignon, 1983 et 1984). Hinault gagne aussi deux fois la Vuelta d'Espagne et deux fois le Giro d'Italie et le championnat du monde sur route en 1980. Et depuis 2007, il est directeur sportif du Vélo club de Roubaix-Lille Métropole. Cyrille Guimard est également consultant sur la chaîne Sport + et sur Radio RMC.
Libé : Alors ce voyage, il a lieu dans quel cadre?
Cyrille Guimard : C'est tout simplement des vacances. On a eu un début de saison très chargé avec mon équipe. Et puis là, on avait un petit créneau. C'est la seule période où on pouvait prendre des vacances aussi. Finalement, je vais repartir gonflé à bloc parce qu'on en a profité au maximum en faisant de longues sorties en VTT avec tous les vététistes d'ici. Et c’était aussi un très bon moyen pour visiter la région. Et puis, beaucoup de chaleur, beaucoup de convivialité pendant toute cette semaine. Je pense que je reviendrai dans peu de temps.
Comment avez-vous trouvé nos vététistes?
Très sympas. Bon, on aime bien faire des petites accélérations, de temps en temps, mais ça se passe dans un cadre très fun. On est là pour se promener et se faire plaisir. Il y a vraiment une ambiance très chaleureuse. Je dirai même très fraternelle, et ça, c'est quelque chose de très important pour moi.
C'est votre premier voyage au Maroc ?
Non. J'étais venu il y a un peu plus de trente ans et à Agadir d'ailleurs. C'était aux environs des années 1978/80. Je venais juste d'arrêter. J'étais un jeune directeur sportif. J'étais venu pour une semaine au Club Med. j'ai pas fait du vélo du tennis à l'époque. En fait, . j'étais venu au Club pour décompresser. C'était l'époque où je commençais à faire beaucoup de tennis en tant qu'activité sportive parce que j'avais besoin de me décrocher du vélo. Quand on arrête sa carrière, on a souvent besoin de faire d'autres activités et le tennis me plaisait. Je jouais au tennis et je bouquinais. Je n'avais pas cherché à découvrir, à voir car j'étais pas dans la même configuration. Aujourd'hui, j'ai beaucoup plus envie de découvrir, de connaître. Et puis, , j'ai un beau frère marocain, car ma sœur est mariée avec un marocain. C'est aussi pour moi l'occasion de découvrir son pays.
Parlons cyclisme maintenant, si vous le voulez bien. Connaissez-vous le cyclisme marocain?
Personnellement, je n'étais pas venu. Mais j'avais des équipiers ou des copains qui étaient venus au Tour du Maroc, Il y avait entre autres, Francis Ducreux. Et puis, , je me souviens aussi d'El Gourche qui était à l'époque l'un des coureurs les plus représentatifs sur le plan européen, puisqu'il faisait la Course de la Paix. Et je me souviens des coureurs algériens qui étaient venus à Nantes. Il y avait Djelil, Hamza, et le fils de Zâaf qui étaient venus à mon club, l'ASPTT de Nantes. C'était donc la grande période d'El Gourche. On était un petit peu sensibilisé. Mais à l'époque, j'avais 17 ou 18 ans et j'étais encore jeune amateur.
Et actuellement, qu'est-ce que vous faites?
-Depuis quatre ou cinq ans, je suis au Vélo Club de Roubaix. Le président, Jean Charles Canonne, m'avait demandé de venir donner un coup de main au club parce qu'il avait plusieurs projets; il avait aussi une pratiquante, Van Den Kerkov, qui marchait très bien puisqu'elle était championne du monde et voulait un vélodrome couvert. Le Vélo club de Roubaix était l'un des meilleurs clubs amateurs, mais il voulait passer à l'échelon professionnel. Par amitié pour le président, j'ai donc accepté. Le vélodrome va être prêt pour 2012, principalement, pour les équipes françaises, peut-être d'autres équipes qui viendront s'entraîner pour les Jeux de Londres. Et en deux ans, on a réussi à monter une équipe professionnelle qui court avec les pros team. Et pour l'instant, on marche même très bien puisqu'on a gagné plus de trois courses avec les pros team. Donc , ça va très bien.
Quelle analyse faites-vous du cyclisme mondial ?
-A l'échelle mondiale, le cyclisme est vraiment en pleine mutation. C'est un sport qui était d'origine latine donc francophone avec la France, l'Italie, l'Espagne, le Bénélux et la Suisse. Je pense que l'ancienne Europe a perdu le leadership et qu'on va passer de la francophonie à l'anglophonie. Aujourd'hui, ce sont les anglophones qui sont, à mon avis, en train de prendre le pouvoir au plus haut niveau. Sur la piste, avec les Anglais mais aussi les Australiens, et sur la route également avec une forte poussée des Néo-Zélandais qui arrivent et qui viennent aussi de la piste. Mais on a aussi beaucoup de coureurs des pays anglophones qui viennent du VTT ou du BMX ou qui passent par la piste et qui arrivent sur la route avec beaucoup de talent. Ce sont des coureurs comme Mac Ewen ou Mark Cavendish, entre autres, ou encore Cadel Evans qui viennent de ces disciplines de base. Depuis la chute du mur de Berlin ? les pays de l'Est ont beaucoup plus de mal parce que financièrement, les structures sont difficiles à mettre en place dans l'ex-Union Soviétique, mais il y a là-bas un potentiel coureurs vraiment très, très fort. Et je crois que cette mutation dont je parlais tout à l'heure est en train de se faire avec des coureurs qui arrivent et qui ont faim comme on dit dans notre jargon, qui ont besoin du sport pour gravir les échelons de la vie sociale. Mais les anglophones y viennent avec une véritable mentalité de gagneur alors que nous, dans notre ancienne Europe, on est rentrés dans une sorte de ronron où on mélange “se faire plaisir” dans la pratique et “se faire plaisir” en gagnant. Et nous, on aime plutôt partir se faire plaisir dans la pratique qu'avoir ce véritable esprit de conquérant, de gagneur. Et, je crois que c'est quelque chose de très important.
-Que pensez-vous du cyclisme africain?
-Moi, le seul que je connaissais, on en parlait tout à l'heure, c'est le cyclisme marocain et quelques coureurs algériens. Aujourd'hui, on a deux ou trois Tunisiens qui marchent très bien parce qu'ils sont sortis du Centre d'Aigle (ndlr. Le Centre mondial du cyclisme de l'UCI à Aigle en Suisse). Depuis quelques années, avec l'arrivée du Pro Tour et de l'Africa Tour, il y a une multiplication des épreuves, au Gabon, au Sénégal, au Mali, etc. Donc, je pense que ça va créer une émulation au niveau de ces pays qui, bon an mal an, n'ont pas une tradition et une culture cyclistes. Aujourd'hui, il est clair que ces pays arriveront à se développer s'ils ne vivent pas en autarcie entre eux, et surtout s'ils font appel à des techniciens qui ont une vraie culture vélo et qui viennent de l'Europe ; ça, c'est indispensable. Pour progresser, il faut aller chercher de la matière grise là où elle est pour permettre la formation d'éducateurs et d'entraîneurs sur l'ensemble de l'Afrique. Parce qu'on ne devient pas éducateur ou entraîneur compétent quand on n’a pas une vraie culture derrière.
Le cyclisme africain commence tout juste à se développer surtout depuis la création de l'UCI Africa Tour en 2005. C'est le cas aussi dans d'autres continents. Mais il n' y a actuellement que le cyclisme sur route. Il n’y a pas de piste, pas de BMX, pas de VTT. . . Qu'en pensez-vous ?
Oui, mais il n’y a pas que le cyclisme traditionnel. Je pense qu'aujourd'hui, si on voit par exemple au niveau du Maroc, et c'est un peu la même chose ailleurs. On a un cyclisme sur route arrivé à un certain niveau, mais on n’a pas de fondations ni de formation au niveau des jeunes. Or, la vraie formation aujourd'hui se fera par le BMX et le VTT qui sont beaucoup plus faciles à pratiquer au niveau scolaire dans le cadre des écoles, parce que c'est facile de trouver les vélos et d'emmener des jeunes sur des parcours de VTT ou de faire des petites pistes de BMX sans prendre le risque d'aller sur la route, et d'apprendre les qualités techniques, gestuelles et d'équilibre. Les qualités cyclistes sont alors beaucoup plus faciles à acquérir et on les apprend beaucoup mieux à travers ces disciplines qui sont des disciplines de base pour former les vrais coureurs sur route. C'est facile à faire au niveau scolaire. Et comme on le fait pour le handball, le basket-ball ou le football, on peut créer des écoles de VTT et de BMX qui vont permettre de former des coureurs pour la compétition sur route et pour la piste. Et on le voit bien dans des pays qui n'avaient pas de tradition route, par exemple l'Australie mais qui ont une tradition BMX, VTT et piste et qui sont en train de sortir pratiquement 20% des meilleurs coureurs mondiaux sur route venant de ces disciplines. Ce qui veut dire qu'on va apprendre à travers ces disciplines toutes les qualités nécessaires pour donner un bon cycliste. Et c'est ce qu'il faut faire aujourd'hui plutôt que de commencer à faire de la route à 12 ans ou à 14 ans. Là, ce sont des disciplines extraordinaires. Aujourd'hui, c'est VTT, BMX, et je dirai même cyclo-cross, s'il y en avait ici parce que le cyclo-cross est une discipline qui prépare à devenir un grand champion si on a les qualités. On ne devient pas un champion si on n'a pas les qualités et la base au départ. Donc, commençons déjà au niveau des jeunes à former à travers le VTT et le BMX. Bon, s'il y a des pistes aussi…, mais encore faut-il qu'il y en ait. En tout cas, ce sont les trois disciplines de base qui permettent de préparer et de faire tout l'apprentissage pour devenir un grand routier.
-Et à propos du dopage, quel est votre avis?
-Je dirai que c'est une réalité parce que depuis une dizaine d'années l'ensemble des fédérations, l'Union cycliste internationale, les fédérations nationales dans leur grande majorité parce qu'il y en a encore qui ne le font pas ont mis en place des systèmes pour essayer d'éradiquer le dopage. Bien sûr, vous aurez toujours des individus qui tenteront de passer à travers. Mais avec tout l'arsenal qu'il y a aujourd'hui : le suivi médical, le tribunal, le passeport biologique, les contrôles et les laboratoires qui essayent d'être plus performant. Les chiffres sont là pour le démontrer, le sport cycliste est peut-être le plus sain. Vous savez, nous on a des coureurs positifs parce qu'on cherche alors que dans d'autres disciplines, on interdit les contrôles sanguins. Or, si vous ne faites pas les contrôles sanguins, vous ne pouvez rien trouver aujourd'hui. On n'est plus en 1950. Donc, aujourd'hui, si vous n'avez pas les contrôles sanguins, si vous n'avez pas une carte biologique de l'individu ou ce qu'on appelle chez nous le passeport biologique, vous passez à travers les mailles du filet. Vous faites ce que vous voulez. Donc, quand les fédérations disent : on ne veut pas de contrôles sanguins, ça veut dire qu'elles couvrent quelque part, qu'elles ne veulent pas savoir. Et elles ont peur de quoi ?Et comme par hasard, ce sont les sports qui ont beaucoup d'argent. Il y a tellement de business là dedans qu'on n'a pas du tout envie de faire des contrôles.
Quels conseils donneriez-vous à un jeune débutant ?
Le conseil que je pourrais lui donner, c'est d'abord de chercher tout de suite un bon entraîneur. C'est peut-être pas évident à trouver. Mais la première chose, c'est de trouver un bon entraîneur qui va vous donner les bases. Ensuite, il faut avoir la passion , il faut avoir le temps et les moyens nécessaires pour bien s'entraîner et respecter les programmations d'entraînement. Il faut aussi du talent mais le talent, ce n’est pas de la responsabilité de l'individu, c’est de la responsabilité des parents parce que les qualités génétiques, on les a à la naissance ou on ne les a pas et même si vous les avez, vous devez savoir qu'on ne devient pas tous champions car c'est le sommet de la pyramide. Donc, il faut essayer de voir jusqu'où on peut aller par rapport à ses capacités physiques. Pour cela, il faut être bien conseillé, il faut être bien entraîné et puis après, cela dépend des moyens.
-Que représente le sport cycliste pour vous?
-C'est un moyen de s'instruire à tous les niveaux. Parce que la compétition en tant que telle demande de l'intelligence, donc de la réflexion, et si vous êtes capable d'avoir de la réflexion vous l'aurez pour autre chose. Si vous êtes capable de vous battre pour essayer de gagner, vous serez également capable de vous battre dans la vie et essayer d'assurer une vie meilleure, de vous battre pour vous instruire, de trouver les moyens de vivre pour votre famille. Le sport, c'est véritablement l'école de la vie dans tous les sens du terme parce que ça demande solidarité et esprit d'équipe. Car si vous jouez au football, on voit le sport d'équipe et si vous êtes dans une course cycliste, le sport d'équipe existe aussi, mais il ne se voit pas. Il est aussi puissant, sinon plus puissant que le sport d'équipe parce qu'en cyclisme quand vous travaillez comme au niveau professionnel, vous travaillez pour en faire gagner un. En football, vous travaillez pour faire gagner l'équipe. Et vous avez peut-être le meilleur défenseur, le meilleur gardien, le meilleur attaquant, mais l'important, c'est le groupe, chacun à son poste. Chez nous, quand vous avez des coureurs qui emmènent un sprint, ils font soixante-quinzièmes. On ne retiendra que celui qui a gagné. C'est-à-dire qu'il y a aussi le sacrifice. Pour moi, le sport cycliste a une autre dimension, c'est un sport de commandos parce que tout le monde se bat pour qu'il y en ait un qui franchisse la ligne le premier. C'est comme si vous étiez une équipe et que vous aviez une bombe à mettre quelque part. Il faut que tous les autres sautent sur les mines parce qu’ils permettent à celui qui porte la bombe d'aller jusqu'à la ligne. C'est une image bien sûr, mais c'est ça le vélo, on se sacrifie tous pour qu'il y en ait un qui gagne. Et si celui qui est soi-disant le plus fort pour gagner a un passage à vide, on va essayer de passer le témoin à un autre. C'est-à-dire qu'on va inverser dans la course et là, on rentre dans toute la stratégie, et c'est là où je parlais de l'intelligence de course, qui se manifeste dans la capacité de changer une stratégie de départ, d'avoir de l'intuition, donc de l'intelligence. Et dans mon métier, c'est ce qui est intéressant, c'est d'amener la jeune équipe que j'ai aujourd'hui être dans les dix meilleures. On doit être dans les dix premiers du classement européen avec des jeunes qui ont tous moins de 25 ans et dont certains ont 20 ans. On est que dix, mais pour l'instant, on fait jeu égal avec les pros team parce que j'ai réussi à mettre en place tout un système de course.