Entretien avec Mme Nadira El Guermai


Gouverneur coordinatrice nationale de l’INDH “Nous travaillons dans une logique d’amélioration continue, de réajustement et d’adaptation”

Propos recueillis par Kamal Mountassir
Lundi 4 Mars 2013

Entretien avec Mme Nadira El Guermai
Le rideau est tombé sur la première tranche de l’Initiative nationale pour le  développement humain (INDH) et qui s’est étalée de 2005  à 2010 alors qu’une nouvelle tranche de projets dans ce même cadre vient d’être lancée  depuis 2011 et prendra fin en 2015. A cette occasion,  Nadira El Guermai, gouverneur de la Coordination de l’INDH a bien voulu accorder un entretien à «Libé». Dans cette interview, Nadira El Guermai fait le bilan de la première phase de l’INDH, parle sans complexe des difficultés et des quelques défaillances au niveau de certains projets, dévoile la stratégie à adopter pour la deuxième phase de l’INDH et répond à certaines critiques qu’elle juge normales et même nécessaires pour aller de l’avant dans la concertation et le dialogue entre les différents partenaires concernés par l’INDH. Entretien.

Libé : Quel bilan faites-vous de la première phase de l’Initiative nationale pour le développement humain ?

Nadira El Guermai : L’Initiative nationale pour le développement humain, lancée par Sa Majesté le Roi Mohammed VI, que Dieu L’assiste, le 18 mai 2005, est venue accélérer les mutations sociales dans notre pays, renforcer le sentiment de dignité chez les populations défavorisées, ancrer leur participation responsable à la vie collective et accroître leur confiance dans l’avenir commun. Autrement dit, l’objectif final et global de cette noble Initiative qui ne se substitue pas aux politiques sectorielles est de garantir l’équité dans l’accès aux services sociaux de base, l’égalité des chances et partant garantir la cohésion sociale, et le bien être sociétal. Elle se fonde sur le principe de la participation des populations aux processus d’expression des besoins à l’aide de diagnostics participatifs, d’identification, de montage, de réalisation et de suivi des projets.
L’Initiative, projet novateur, démocratique et participatif, a introduit du renouveau dans le mode de management de la chose publique, en plaçant l’Homme au cœur des priorités nationales et des enjeux de la démocratie et du développement, et respectant ainsi le rôle primordial que doit jouer l’être humain dans le processus de son propre développement. C’est un projet de société qui amorce une véritable transformation sociale et un changement de paradigme pour l’approche du développement économique et social dans notre pays. Sa réussite est reflétée par les résultats très satisfaisants enregistrés durant sa première phase quinquennale.
Toutefois, il est à noter que nous travaillons toujours dans une logique d’amélioration continue, de réajustement et d’adaptation. Et ce d’autant plus que nous nous adressons à l’Homme, dans toute sa complexité, à travers ses différentes dimensions, et qui est lui-même et par définition, en perpétuelle évolution  et construction.
Pour le bilan et en langage des chiffres, l’INDH a permis durant sa première phase 2005-2010 la concrétisation de plus de 22.000 projets au profit de près de 5,2 millions de bénéficiaires pour un investissement global de 14,1 milliards de DH, dont la contribution de l’INDH est de 8,4 milliards de DH. Aussi, plus de 3.700 activités génératrices de revenus (AGR) ont été initiées à travers des appels à projets, garantissant ainsi la transparence et l’égalité des chances.
L’Initiative a pu, dans un laps de temps très court, réaliser des acquis qualitatifs importants :
- La mobilisation de plus de 11.000 acteurs directs: élus, associatifs et services déconcentrés de l’Etat ;
- L’appropriation des principes de la participation et du partenariat ;
- Implication effective dans le développement et l’appropriation des projets réalisés ;
- L’ancrage de la confiance en soi et  de la dignité humaine ;
- La promotion des femmes et des jeunes et le renforcement de leur participation ;
- L’ancrage de la culture de la transparence et de la reddition des comptes.
Ainsi l’INDH, grâce à ses programmes et actions, a pu assurer une vie digne aux bénéficiaires cibles en soutenant la mixité sociale et en œuvrant à réduire toutes sortes d’inégalités et de stigmatisation dans notre société.
Ceci ne veut nullement dire qu’il n’y a pas de points à renforcer et qui concernent entre autres, le suivi de proximité, la pérennité des projets, la synergie avec les autres programmes sectoriels ou encore la promotion des AGR et le renforcement du tissu associatif, ce qui nécessite bien sûr de redoubler de vigilance.

Quelles sont les perspectives et la stratégie de la deuxième phase quinquennale (2011-2015) de ce projet national ?

En tant que projet en constante évolution, et en se basant sur les enseignements des cinq premières années d’exercice, l’INDH œuvre de manière pragmatique et résolue pour la mise en œuvre optimale de sa deuxième phase 2011-2015. En effet, et conformément aux Hautes orientations Royales, la seconde phase de l’Initiative, qui s’étale de 2011 à 2015, offre une perspective précieuse à même de lui imprimer un nouveau souffle, en intégrant un cinquième programme de mise à niveau territoriale.
Comme vous le savez, le samedi 4 juin 2011 à Jérada, Sa Majesté le Roi Mohammed VI,  a lancé, sous sa présidence effective, cette deuxième phase, octroyant ainsi une vitesse supérieure au régime de la première, notamment en matière de consolidation des acquis et renforcement du contrôle et de l’évaluation des projets,  et également l’élargissement des catégories et des zones bénéficiaires et la promotion de microprojets générateurs d’emplois et de revenus stables.
Ainsi, les grandes lignes de la deuxième phase de l’INDH 2011-2015 se présentent comme suit :
- Le renforcement de l’ancrage de la philosophie de l’INDH et la conformité à ses fondamentaux ;
- Le maintien des quatre programmes de la phase  2006-2010 ;
- L’adoption d’un 5ème programme dédié à la «mise à niveau territoriale », basé sur l’approche participative pour la programmation et la réalisation de ses projets. Doté d’une enveloppe budgétaire globale de 5 milliards de DH, ce cinquième programme profitera directement à 1 million de bénéficiaires habitant 3.300 douars, relevant de 22 provinces enclavées ou montagneuses, notamment en matière d’infrastructure et services de base ;
- La mobilisation d’une enveloppe budgétaire de 17 milliards de DH pour la mise en œuvre des 5 programmes sur 5 ans;
- L’appui budgétaire différencié accordé aux entités ciblées lors de la phase 2006-2010 ;
- L’élargissement du champ de l’action de l’Initiative à 701 communes rurales, en application du seuil de 14% comme taux de ciblage ;
- L’extension du ciblage à 530 quartiers urbains défavorisés relevant des villes et centres urbains dont la population dépasse 20.000 habitants ;
- L’extension du ciblage du programme précarité par l’intégration de deux nouvelles catégories de bénéficiaires, à savoir les malades sidéens sans ressources et les toxicomanes.

Vous avez récemment parlé de transparence concernant la gestion de l’INDH. Procédez-vous à des évaluations des actions de l’INDH ? Et quels sont les dysfonctionnements que vous avez pu identifier?  

La transparence est l’un des principes de l’INDH. En effet, parmi les acquis fondamentaux de ce Chantier de Règne, je cite la promotion de la culture de transparence et de reddition des comptes à travers les audits institutionnels menés par l’Inspection générale de l’administration territoriale (IGAT) et l’Inspection générale des finances (IGF) et ceux menés par les partenaires financiers de l’INDH. Et comme vous le savez, les bailleurs de fonds partenaires de l’INDH, arrêtent un certain nombre d’indicateurs de décaissement, et justement le décaissement ne peut se faire que si tous ces indicateurs sont atteints et vérifiés par des cabinets privés, à travers les missions d’audit, réalisées en toute autonomie à travers tout le Royaume. Pour la première phase, tous les indicateurs ont été atteints, ce qui témoigne de la bonne gestion des projets.
Et dans une logique de transparence, les rapports des audits annuels sont publiés sur le site web INDH www.indh.ma/fr/Rapports_audits.asp. De plus, des enquêtes et des missions de suivi de terrain sont menées par la Coordination nationale de l’INDH de façon régulière afin de mettre en évidence les dysfonctionnements et les problèmes qui entravent ou risqueraient d’entraver la mise en œuvre des projets. De même, l’ONDH réalise des missions d’évaluation au niveau territorial  et les propositions formulées, qui respectent la philosophie de l’INDH sont prises en considération. Par ailleurs, et comme la presse est essentielle à toute stratégie sociale, il convient de signaler qu’un suivi quotidien de la presse écrite marocaine constitue également un moyen de couverture non négligeable. Ainsi, les constats cités dans les articles de presse suscitent un intérêt particulier pour la Coordination nationale qui tâche d’intervenir pour vérifier la véracité des informations et, le cas échéant, intervenir à travers des envois aux responsables territoriaux ou encore via des missions de suivi sur le terrain.
Partant de ces différents types d’évaluation, quelques problèmes ou dysfonctionnements sont relevés, chose tout à fait normale pour un projet d’une telle envergure, et qui est venu avec un nouveau style de gouvernance et de management de la chose publique.
Parmi ces problèmes qui sont surtout d’ordre technique, et comme je l’ai déjà mentionné, on trouve le suivi des projets, la pérennité, la synergie, et aussi la promotion des activités génératrices de revenus et la dynamisation du tissu associatif.
Je voudrais ici insister sur le fait que la Coordination nationale est ouverte à toute recommandation et/ou critique constructive permettant d’apporter les ajustements nécessaires à l’amélioration de la mise en œuvre des programmes de l’INDH aux niveaux local et national. Dans ce sens, et en tant que chantier ouvert et en constante évolution, toutes les recommandations concevables formulées par nos partenaires, et qui respectent l’approche de l’INDH ainsi que son champ d’intervention, sont prises en considération. Ceci veut dire qu’il ne suffit pas de lister les constatations, mais plutôt de les accompagner par des propositions réalistes et réalisables avec des mécanismes de faisabilité. Vous savez, c’est facile de dire « il faut faire », ou « pourquoi vous n’avez pas fait ? », mais le plus difficile, c’est de dire comment faire, et le plus important pour nous, c’est le comment et pas seulement le pourquoi.
Dans ce sens et pour assurer un suivi rigoureux et de proximité de ces recommandations, un protocole regroupant l’ensemble des observations applicables émises par les partenaires a été élaboré par la CN-INDH et diffusé auprès de l’ensemble des divisions de l’action sociale pour concrétisation, de même des mesures correctives ont été identifiées et incluses dans les différentes circulaires et notes d’orientation adressées à Messieurs les walis et gouverneurs en leur qualité de présidents du comité provincial et régional du développement humain. Ceci montre que la CN-INDH s’inscrit dans une logique d’amélioration continue et d’approche pédagogique.

Pensez-vous que l’INDH permet vraiment l’amélioration du niveau de vie des populations et l’accès aux services sociaux ?

Je pense que vous êtes mieux indiqué que moi pour répondre à cette question. L’objectif du Jeudi Média est justement de permettre aux journalistes de se faire une idée réelle de l’INDH, et ce, d’une part à travers l’échange avec la gouvernance locale de l’INDH à savoir les élus, le tissu associatif et les représentants des départements sectoriels sur la mise en œuvre de l’INDH : ses points forts, ses points négatifs, ses apports, les pistes d’amélioration, et d’autre part, à travers des visites des projets pour relever leurs impacts sur la population bénéficiaire. Je crois que les projets que nous venons de visiter à Azrou (AGR, niches de tourisme de montagne, Dar Taliba, foyer pour enfants de rue, et personnes âgées, centre d’hémodialyse) sont très parlants, dégagent beaucoup d’émotion et ne nécessitent aucun commentaire.
Certes, l’INDH a contribué de manière significative à la lutte contre la pauvreté dans notre pays et plus concrètement dans les communes rurales et les quartiers urbains cibles de l’INDH. En chiffres, le taux de pauvreté dans les 403 communes rurales cibles  (pendant la Phase I : 2005-2010)  est passé de 36% en 2004 à 21% en 2007, soit une réduction de 41% du taux de pauvreté (Source : HCP).
De même, l’INDH a des interventions considérables dans plusieurs domaines :
 - La santé à travers la construction ou l’aménagement de centres de santé, la création de Dar Al Oumouma, l’organisation de campagnes de sensibilisation et de sessions de formation, l’acquisition d’équipements, d’appareillages médicaux et d’ambulances ;
 - L’éducation avec la construction et l’équipement des Dar Talib et Dar Taliba, des crèches, des écoles préscolaires et cantines scolaires, la mise à niveau d’établissements scolaires ainsi que l’acquisition et la distribution de moyens de transports scolaires.
- L’amélioration de l’infrastructure et les services sociaux de base tels que l’assainissement  et l’électrification, l’adduction en eau potable, les pistes et les voieries, ce qui a favorisé le désenclavement d’une large catégorie de la population cible notamment la population rurale ;
- Pour les jeunes, cible prioritaire de cette Initiative, des projets ont été mis à leur profil et qui sont liés à  l’animation socioculturelle et sportive.
A travers toutes ces réalisations, on ne peut que dire que l’INDH contribue de manière significative à développer, améliorer ou encore favoriser l’accès aux services sociaux de base, mais il faut également dire que beaucoup de choses restent encore à faire. Les efforts de toutes les parties prenantes, je fais allusion ici aux départements concernés, doivent être harmonisés dans le but de créer une synergie et une convergence susceptibles d’optimiser l’impact de ces investissements sur la population concernée.

Beaucoup n’ont pas compris certaines décisions de la Coordination de l’INDH à propos de la mise à l’écart de la province d’Ifrane du programme de mise à niveau territoriale de lutte contre l’enclavement. Qu’en pensez-vous?

Tout d’abord, je tiens à préciser que la Coordination nationale de l’INDH ne prend jamais de décisions de manière unilatérale, et ne prétend aucunement avoir le pouvoir d’écarter telle ou telle province. Elle a pour mission, entre autres, d’assurer l’accompagnement des acteurs territoriaux, de faire le suivi des projets, et de jouer  l’interface entre la gouvernance territoriale et le Comité de pilotage présidé par le ministre délégué du ministère de l’Intérieur, et qui comprend tous les départements ministériels concernés.
Et comme vous le savez, l’INDH prône parmi ses valeurs la participation et la concertation, et justement pour ce qui est du ciblage, des groupes de travail ont été constitués aux niveaux central et territorial pour arrêter des critères d’éligibilité permettant ainsi d’identifier les communes rurales, les quartiers urbains cibles et aussi les catégories des profils concernées par la précarité.
Pour ce qui est du programme de la mise à niveau territoriale, des critères scientifiques de ciblage ont été rigoureusement arrêtés et au titre desquels 22 provinces montagneuses ou enclavées ont été identifiées. Les critères sont entre autres :
- Le taux de pauvreté en milieu rural ;
- Le taux de précarité en milieu rural ;
- L’indicateur de désenclavement routier ;
- Le taux d’électrification en milieu rural ;
- Le taux d’adduction en eau potable en milieu rural ;
- Les intempéries et les difficultés inhérentes aux zones montagneuses.

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