Entretien avec Hassan Nafali, président du Syndicat marocain des professionnels du théâtre : «On a l'impression d’avoir tout et rien»


Propos recueillis par Hassan Bentaleb
Samedi 27 Mars 2010

Entretien avec Hassan Nafali, président du Syndicat marocain des professionnels du théâtre : «On a l'impression d’avoir tout et rien»
Pour Hassan Nafali, notre pays
a enregistré certaines avancées. Mais elles restent très limitées
et  insuffisantes
au regard des besoins.

 Libé : Comment jugez-vous la situation du théâtre marocain d'aujourd'hui ?

Nafali  El  Hassane : Je crois que le théâtre vit actuellement une situation ambiguë et bizarre. On a l'impression qu'on a tout et rien. Parfois on se demande même,  si le théâtre existe encore. Mais si on veut schématiser un peu, on peut constater  que notre pays a enregistré certains points positifs comme les aides accordées par l'Etat, même si elles restent très limitées et  insuffisantes.  L'émergence d'une nouvelle génération de créateurs qui a donné naissance à des productions de très bonne qualité. Cependant, ces acquis sont atténués par certains points noirs : c'est le cas des spectateurs qui boudent encore les salles ;  les acteurs qui préfèrent travailler à la télévision et au cinéma au détriment  du théâtre ; l'absence totale d’un théâtre amateur et la régression du théâtre scolaire malgré son fort élan dans les années 90. On note aussi l'absence de l'éducation artistique dans les établissements scolaires qui handicape énormément la pratique théâtrale au Maroc. Donc, on peut conclure que le théâtre marocain  vit un grand paradoxe à méditer.

Est-ce que le Maroc a une politique théâtrale ?

Je peux vous affirmer que d'après mon expérience comme cadre syndical et au sein du ministère de la Culture, il n'y a pas de politique publique pour le secteur du théâtre et la culture en général. Pour parler d'une politique publique, il faut parler d'une politique qui intègre d'autres acteurs institutionnels. On peut prendre  l'exemple de la Charte de l'environnement ou le Plan Vert. Si on regarde de près, on peut remarquer que plusieurs acteurs appartenant à des secteurs divers, ne sont pas concernés directement, participent à l'élaboration et aux  décisions. Cependant, dans le champ culturel, on croit que la culture est du ressort du ministère de la Culture uniquement, alors que la responsabilité est partagée.  Le secteur privé est aussi concerné. Jusqu'à aujourd'hui, tout ce qu'on a, c'est un ministère qui se charge de la gestion des affaires culturelles, avec un budget très modeste.  Ce qui signifie que la culture est encore loin d'être l'une des priorités des décideurs et des politiques publiques de l'Etat. Je pense qu'il faut donner plus d'intérêt au théatre, à la musique, à la danse, etc. Nous vivons à une époque des mutations sur les plans politique, économique et  social, il faut que le domaine culturel accompagne ces mutations.

Que pensez-vous des efforts déployés sur le plan administratif et législatif ?

 On ne peut pas nier que  dès le gouvernement de l'alternance,  il y avait des efforts notables sur le plan juridique et législatif. Pour preuve, la loi relative à l'aide de l'Etat en 1998, le statut de l'artiste (2003), la carte professionnelle (2007), etc.  Mais le hic est que si certaines législations sont entrées en vigueur, beaucoup d'entre elles sont restées lettre mortes, tel le cas de l'obligation faite aux producteurs de signer des contrats avec les acteurs, lesquels incluent la période de travail, les conditions du travail et les rémunérations. Jusqu'à présent, beaucoup de producteurs ne respectent pas ces obligations. Autre exemple, l'entreprise artistique qui vise à encourager les gens à  investir dans le secteur artistique, n'est pas elle aussi entrée en vigueur.  On manque aujourd'hui d'un texte organique régissant le secteur.
En ce qui concerne le volet social, on a une Mutuelle nationale pour les artistes qui bénéficie du soutien de l'Etat. Mais ce soutien n'est pas institutionnalisé. Il prend encore la forme d'un don. C'est pourquoi on a eu dernièrement certains problèmes qui ont menacé l'existence même de cette Mutuelle. Et à cette occasion, je voudrais remercier Sa Majesté le Roi pour son intervention personnelle qui a permis de remettre les choses à leur place.

Que pouvez-vous nous dire à propos de l'aide à la production théâtrale ?

Il faut rappeler que cette expérience est née dans un contexte particulier, celui de la crise de la pratique théâtrale au Maroc. A cette époque, on a commencé à parler d'une crise cardiaque, car il ne restait  que cinq troupes théâtrales  qui manquaient énormément de moyens de production. D'où l'idée d’un soutien de l'Etat, proposé par le Syndicat  et adopté par l'ancien ministre de la Culture.   L'expérience a commencé dans la douleur et la contrainte, mais elle a vite trouvé son chemin. Aujourd'hui, après 11 ans, on peut avancer que cette pratique a épuisé ses forces et que les trois millions de dirhams alloués par l'Etat aux troupes théâtrales sont devenus  insuffisants et qu'il faut penser à d'autres formes de financement avec des budgets plus substantiels. Mais je tiens à dire que cette expérience de soutien  reste une action positive de la part de l'Etat.

Et les troupes régionales…?

Je me souvins  avoir dit à M. Achaari, lors d'un entretien, que les troupes régionales seront des mort-nées, car elles ont été créées dans l'improvisation. D'ailleurs, on a été les premiers à dire, lors du colloque de Meknès, que ces troupes manquent d'identité et de mécanismes d'institutionnalisation.  On regrette que cette expérience ait mal tourné. On pense qu'on doit revoir leurs modes de fonctionnement et de leurs missions, ainsi que leurs sources de financement.

Et l'ISADAC …?

Je crois que la création de cet institut est positive. Il nous faut trois ou quatre autres ISADAC. Cette institution a vraiment enrichi le champ artistique marocain. Elle a permis l’éclosion de nouvelles générations d'acteurs, metteurs en scène, scénographes, entre autres, qui ont plus ou moins révolutionné la pratique théâtrale au Maroc. Pourtant, il faut souligner que cet établissement a besoin d'une mise à niveau, d'un nouveau souffle. Plusieurs aspects doivent être revus et corrigés tels que le statut des enseignants, le programme pédagogique, la situation des étudiants. On pense que l'ISADAC doit être traité comme un établissement  universitaire et ses enseignants comme des professeurs universitaires. Il faut aussi penser à développer des masters classe, des laboratoires de recherche et donner plus d'intérêt à la situation sociale de ses étudiants.

Vous avez annoncé dernièrement avoir mis sur pied une stratégie de mise à niveau théâtrale. Qu'en est-il ?

On vient d'achever une série de réunions qui ont pour but d'établir un plan de travail qu'on va enrichir prochainement par une série de rencontres. A travers ce plan, on va essayer d'élaborer un diagnostic de la situation théâtrale  au Maroc (infrastructures, nombre de metteurs en scène, acteurs…). A travers ce plan, on va revendiquer la création d'un centre des arts vivants, l'insertion de l'éducation artistique dans les établissements scolaires, la reforme de l'aide de l'Etat aux troupes théâtrales, la promulgation d'une loi relative à l'investissement dans le secteur artistique, un plan social pour les artistes... une réunion sera prochainement organisée pour lever le voile sur ces revendications.

Que souhaitez-vous à l'occasion de la Journée mondiale du théâtre ?

Je souhaite que le théâtre reprenne sa place non seulement au niveau national mais aussi sur le plan international, que les spectateurs marocains reviennent aux salles, que nos acteurs et actrices créent et produisent davantage. Notre société a besoin de théâtre et nous devons résister. Bonne année théâtrale à tous !


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