
Driss El Yazami. Ph Y.T
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Cet entretien avec Driss El Yazami, président du Conseil de la communauté marocaine à l’étranger (CCME), accordé à Libé en marge de la 30e édition du Salon International de l’édition et du livre, rend hommage aux Marocains du monde. Cette communauté est très dynamique dans le domaine culturel, notamment le cinéma, la littérature, les arts plastiques, la photographie, la musique et la danse, qui permettent d’exprimer l’expérience migratoire, avec «ses joies et ses difficultés», comme le rappelle le président du CCME.
Libé : Pourquoi avez-vous opté pour une organisation conjointe avec d'autres institutions nationales lors de cette 30e édition du Salon international de l’édition et du livre ?
Driss El Yazami : Nous sommes en effet doublement présents cette année. Sur un stand commun avec le ministère de la Jeunesse, de la Culture et de la Communication pour rendre hommage aux Marocains du monde (MdM) et sur un autre avec six institutions de protection des libertés, de bonne gouvernance et de démocratie participative. Il s’agit de la HACA, du CESE, du Médiateur, de l’INPPLC, du Conseil de la concurrence et de la CNDP/CDAI. Cette initiative, lancée l’année dernière, reflète la conviction partagée de ces institutions quant à la complémentarité et à l’interconnexion de leurs rôles constitutionnels, qui visent principalement à servir les citoyens et à protéger leurs droits, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du pays.
Elle vise également à faciliter la communication directe entre les visiteurs de tous âges et centres d’intérêt, et les responsables de ces institutions, afin de mieux faire connaître leurs missions et domaines d’action.
D’autre part, cette édition célèbre la créativité des MdM dans tous les domaines de la culture : littérature, arts plastiques, cinéma, photographie, chanson, etc., avec 170 invités, 70 activités, une exposition photographique avec quatorze artistes MdM, une programmation cinéma avec une sélection des premiers films marocains sur l’émigration, quatre hommages à des personnalités éminentes de l’histoire de l’immigration, deux numéros hors-série de revues (un numéro de Diptyk consacré aux plasticiens MdM et un numéro de Qitab dédié aux romancières marocaines du monde), etc.
Quelle est votre lecture des politiques publiques en matière de gestion de l’immigration marocaine, domaine auquel le CCME est associé ?
Il faut rappeler que le CCME est une institution constitutionnelle indépendante de l’exécutif, qui, lui est en charge de l’élaboration et de la mise en œuvre des politiques.
L’Etat marocain a très tôt fait de la question de la communauté marocaine expatriée un sujet de préoccupation stratégique, avec dans un premier temps une politique de contrôle, illustrée par la création des amicales au milieu des années 70. Dans un second temps, il y a eu la mise en place de politiques d’encadrement culturel (envoi d’instituteurs d’arabe, colonies de vacances pour les enfants), religieux et le lancement de diverses initiatives dont l’opération Marhaba, par exemple. Les années 90 ont vu la création des premières institutions (la Fondation Hassan II) et d’initiatives pionnières comme la première rencontre des compétences marocaines du monde dès le début de la décennie. Avec l’accession de Sa Majesté le Roi Mohammed VI au trône en 1999, une nouvelle étape a été amorcée avec la démocratisation de la relation à la diaspora marocaine, la création d’un conseil consultatif, le CCME, la réforme de l’opération Marhaba, confiée à partir de 2001 à la Fondation Mohammed V pour la solidarité. En même temps, une attention particulière a été portée aux nouvelles générations issues de l’immigration, à la problématique de la mobilisation des compétences et à l’accompagnement religieux et spirituel dans un contexte troublé par l’émergence des discours extrémistes et du terrorisme.
Quelles sont les grandes transformations qu’a connues la migration marocaine, qui a désormais plus d’un siècle et englobe plusieurs générations ?
Il est évident que la migration marocaine actuelle concerne toutes les régions du Maroc et toutes les catégories sociales. La mobilité est devenue une donnée évidente pour de nombreux Marocains et il n’est plus rare aujourd’hui de vivre dans plusieurs pays successivement. La mondialisation des flux migratoires marocains, la féminisation, l’émergence de nouvelles générations, le vieillissement des premières générations et le développement socio-culturel des émigrés sont d’autres mutations significatives, ce qui entraîne une diversité exceptionnelle dans les profils des migrants, leurs destinations et leurs expériences migratoires.
Les ambitions et les attentes de cette communauté envers le pays d’origine sont, elles aussi, devenues plus variées. Il y a une exigence plus affirmée en termes de respect des droits et des envies plus affirmées de participation aux divers chantiers de développement du Royaume.
La culture constitue l’un des leviers essentiels pour renforcer le lien des Marocains du monde avec leur pays d’origine. Qu’en est-il des politiques développées dans ce domaine ?
Dès le départ, nous avons, en effet, donné de l’importance à la culture avec un double objectif : faire connaître au Maroc la créativité des MdM et contribuer à faire connaître la culture marocaine au sein de l’immigration. D’où notre participation très tôt aux Salons du livre, le soutien à des expositions, à des films, une politique active de publication d’ouvrages, etc. C’est aussi une manière de rappeler l’ancienneté et la diversité de la contribution culturelle des MdM à la modernité culturelle du Maroc.
Nous avons longtemps eu tendance à aborder la migration marocaine à l’étranger uniquement sous l’angle économique, ce qui est tout à fait compréhensible. Sa contribution macroéconomique est importante et joue un rôle majeur dans le soutien des familles.
Mais, comme l’ont souligné deux Discours Royaux récents (en août 2022 et novembre 2024), la contribution des Marocains du monde est aussi nécessaire dans d’autres domaines, comme l’investissement – où beaucoup reste à faire –, l’action des associations de migrants pour le développement local, et sur le plan des ressources humaines.
Mais l’un des domaines où l’apport des Marocains du monde est le plus essentiel est sans doute celui culturel. Leur dynamisme dans des secteurs comme le cinéma, la littérature, les arts plastiques, la photographie, la musique et la danse exprime l’expérience migratoire, avec ses joies et ses difficultés.
Ces expressions culturelles aident les individus et les groupes à se dépasser, à enrichir les cultures des sociétés d’accueil, tout en contribuant aussi à nourrir la culture marocaine.
L’édition spéciale de la revue Diptyk en témoigne, tout comme de nombreuses œuvres littéraires. Par exemple, la littérature de la migration marocaine est devenue plus féminine et s’écrit aujourd’hui dans toutes les langues du monde : arabe, amazigh, français, castillan, catalan, italien, néerlandais, anglais, allemand...
Entre la parution du roman «Les Boucs» de Driss Chraïbi à Paris en 1955 – première grande œuvre sur la migration marocaine – et la multitude d’écrivaines issues de la migration aujourd’hui, un long et riche chemin a été parcouru !
Rabat. Propos recueillis par Youssef Lahlali
Libé : Pourquoi avez-vous opté pour une organisation conjointe avec d'autres institutions nationales lors de cette 30e édition du Salon international de l’édition et du livre ?
Driss El Yazami : Nous sommes en effet doublement présents cette année. Sur un stand commun avec le ministère de la Jeunesse, de la Culture et de la Communication pour rendre hommage aux Marocains du monde (MdM) et sur un autre avec six institutions de protection des libertés, de bonne gouvernance et de démocratie participative. Il s’agit de la HACA, du CESE, du Médiateur, de l’INPPLC, du Conseil de la concurrence et de la CNDP/CDAI. Cette initiative, lancée l’année dernière, reflète la conviction partagée de ces institutions quant à la complémentarité et à l’interconnexion de leurs rôles constitutionnels, qui visent principalement à servir les citoyens et à protéger leurs droits, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du pays.
Elle vise également à faciliter la communication directe entre les visiteurs de tous âges et centres d’intérêt, et les responsables de ces institutions, afin de mieux faire connaître leurs missions et domaines d’action.
D’autre part, cette édition célèbre la créativité des MdM dans tous les domaines de la culture : littérature, arts plastiques, cinéma, photographie, chanson, etc., avec 170 invités, 70 activités, une exposition photographique avec quatorze artistes MdM, une programmation cinéma avec une sélection des premiers films marocains sur l’émigration, quatre hommages à des personnalités éminentes de l’histoire de l’immigration, deux numéros hors-série de revues (un numéro de Diptyk consacré aux plasticiens MdM et un numéro de Qitab dédié aux romancières marocaines du monde), etc.
Quelle est votre lecture des politiques publiques en matière de gestion de l’immigration marocaine, domaine auquel le CCME est associé ?
Il faut rappeler que le CCME est une institution constitutionnelle indépendante de l’exécutif, qui, lui est en charge de l’élaboration et de la mise en œuvre des politiques.
L’Etat marocain a très tôt fait de la question de la communauté marocaine expatriée un sujet de préoccupation stratégique, avec dans un premier temps une politique de contrôle, illustrée par la création des amicales au milieu des années 70. Dans un second temps, il y a eu la mise en place de politiques d’encadrement culturel (envoi d’instituteurs d’arabe, colonies de vacances pour les enfants), religieux et le lancement de diverses initiatives dont l’opération Marhaba, par exemple. Les années 90 ont vu la création des premières institutions (la Fondation Hassan II) et d’initiatives pionnières comme la première rencontre des compétences marocaines du monde dès le début de la décennie. Avec l’accession de Sa Majesté le Roi Mohammed VI au trône en 1999, une nouvelle étape a été amorcée avec la démocratisation de la relation à la diaspora marocaine, la création d’un conseil consultatif, le CCME, la réforme de l’opération Marhaba, confiée à partir de 2001 à la Fondation Mohammed V pour la solidarité. En même temps, une attention particulière a été portée aux nouvelles générations issues de l’immigration, à la problématique de la mobilisation des compétences et à l’accompagnement religieux et spirituel dans un contexte troublé par l’émergence des discours extrémistes et du terrorisme.
Quelles sont les grandes transformations qu’a connues la migration marocaine, qui a désormais plus d’un siècle et englobe plusieurs générations ?
Il est évident que la migration marocaine actuelle concerne toutes les régions du Maroc et toutes les catégories sociales. La mobilité est devenue une donnée évidente pour de nombreux Marocains et il n’est plus rare aujourd’hui de vivre dans plusieurs pays successivement. La mondialisation des flux migratoires marocains, la féminisation, l’émergence de nouvelles générations, le vieillissement des premières générations et le développement socio-culturel des émigrés sont d’autres mutations significatives, ce qui entraîne une diversité exceptionnelle dans les profils des migrants, leurs destinations et leurs expériences migratoires.
Les ambitions et les attentes de cette communauté envers le pays d’origine sont, elles aussi, devenues plus variées. Il y a une exigence plus affirmée en termes de respect des droits et des envies plus affirmées de participation aux divers chantiers de développement du Royaume.
La culture constitue l’un des leviers essentiels pour renforcer le lien des Marocains du monde avec leur pays d’origine. Qu’en est-il des politiques développées dans ce domaine ?
Dès le départ, nous avons, en effet, donné de l’importance à la culture avec un double objectif : faire connaître au Maroc la créativité des MdM et contribuer à faire connaître la culture marocaine au sein de l’immigration. D’où notre participation très tôt aux Salons du livre, le soutien à des expositions, à des films, une politique active de publication d’ouvrages, etc. C’est aussi une manière de rappeler l’ancienneté et la diversité de la contribution culturelle des MdM à la modernité culturelle du Maroc.
Nous avons longtemps eu tendance à aborder la migration marocaine à l’étranger uniquement sous l’angle économique, ce qui est tout à fait compréhensible. Sa contribution macroéconomique est importante et joue un rôle majeur dans le soutien des familles.
Mais, comme l’ont souligné deux Discours Royaux récents (en août 2022 et novembre 2024), la contribution des Marocains du monde est aussi nécessaire dans d’autres domaines, comme l’investissement – où beaucoup reste à faire –, l’action des associations de migrants pour le développement local, et sur le plan des ressources humaines.
Mais l’un des domaines où l’apport des Marocains du monde est le plus essentiel est sans doute celui culturel. Leur dynamisme dans des secteurs comme le cinéma, la littérature, les arts plastiques, la photographie, la musique et la danse exprime l’expérience migratoire, avec ses joies et ses difficultés.
Ces expressions culturelles aident les individus et les groupes à se dépasser, à enrichir les cultures des sociétés d’accueil, tout en contribuant aussi à nourrir la culture marocaine.
L’édition spéciale de la revue Diptyk en témoigne, tout comme de nombreuses œuvres littéraires. Par exemple, la littérature de la migration marocaine est devenue plus féminine et s’écrit aujourd’hui dans toutes les langues du monde : arabe, amazigh, français, castillan, catalan, italien, néerlandais, anglais, allemand...
Entre la parution du roman «Les Boucs» de Driss Chraïbi à Paris en 1955 – première grande œuvre sur la migration marocaine – et la multitude d’écrivaines issues de la migration aujourd’hui, un long et riche chemin a été parcouru !
Rabat. Propos recueillis par Youssef Lahlali