George Arthur Forrest : Si le Maroc veut nourrir sa population, il doit développer une agriculture qui réponde à ses besoins


Youssef lahlali
Mercredi 9 Avril 2025

Un agriculteur africain, George Arthur Forrest, s’est rendu à Paris pour défendre sa thèse exposée dans un livre intitulé «L’Afrique peut nourrir le monde». Pour l’ancien président sénégalais Macky Sall, ce livre est un cri d’espoir pour sortir l’Afrique de l’impasse d’une dépendance alimentaire ancienne et ruineuse.
La sortie de ce livre et sa présentation à Paris ont coïncidé avec le Sommet «Nutrition pour la croissance» («Nutrition for Growth», dit «N4G»), organisé par le Ministère de l’Europe et des Affaires étrangères les 27 et 28 mars 2025. A cette occasion, la communauté internationale a pris des engagements ambitieux pour relever le défi de la malnutrition sous toutes ses formes. Près de 28 milliards de dollars ont été annoncés en faveur de la nutrition, afin d’atteindre les objectifs de développement durable, témoignant d’une mobilisation exceptionnelle et d’un engagement renouvelé en faveur du multilatéralisme.
Cependant, face aux perturbations géopolitiques croissantes dans le monde, notamment celles influencées par l’administration Trump, quel sera le sort de l’Afrique et de sa sécurité alimentaire ?

Libé : Je voulais parler de votre expérience en Afrique, de votre pays, la République démocratique du Congo, ainsi que de votre livre « L’Afrique peut nourrir le monde ». Et là, comment dire… nous sommes face à une grande contradiction. Vous avez constaté que l’Afrique est un continent extrêmement riche, et pourtant, la réalité est décevante : la pauvreté touche toutes les régions d’Afrique. Comment expliquez-vous cette situation ?

George Arthur Forrest : C'est vrai, on dit toujours que l'Afrique est riche mais pauvre. Elle a été voulue ainsi, parfois on a voulu qu'elle reste pauvre. Maintenant, elle doit se prendre en main, et ce sont les dirigeants qui doivent se ressaisir et dire : "Nous devons y aller et encourager les investisseurs à venir et à se développer, à développer le pays, surtout dans l'agro-industrie qui nourrit le monde." Nous ne devons pas nous limiter à encourager uniquement les mines, car tout le monde cherche les mines, mais on oublie que l'agro-industrie est la chose la plus importante dans le monde. La base de tout, c'est de nourrir les gens ; sans cela, nous ne pouvons pas vivre.

Qu'est-ce qui manque aux Africains, à votre avis ? Il y a des terres fertiles et vastes. Il y a une main-d'œuvre jeune. Qu'est-ce qu'il manque aux Africains ?

Comme je disais, on a apporté des aliments pour satisfaire certaines industries européennes. Par exemple, au Sénégal, on a apporté le blé et le riz. On a fait la même chose dans d'autres pays africains. On a perdu tout ce qui était bon au niveau local, mais ces produits ont disparu. Il faut revenir vers ces aliments de base. Je crois que c'est ça le principal. Par exemple, nous faisons du maïs au Congo et du blé pour produire des biscuits. Pourquoi ne pas mettre tous ces produits en marché localement ?
Chez nous, il y a des espaces. On peut cultiver du riz. Mais nous devons cultiver du riz parce que les gens en ont besoin, pas seulement pour les autres, mais pour la masse. J'estime que la population doit revenir à sa nourriture de base, qui est très bonne.

A votre avis, c'est la dépendance de l'agriculture africaine aux besoins des autres. Par exemple, en Europe, prenons le cas du Maroc. C'est un pays qui importe des céréales dont il a besoin, mais il exporte beaucoup de tomates, d'avocats, de melons et d'autres produits agricoles qui répondent aux besoins du marché européen. Cela signifie que c'est une agriculture qui ne répond pas aux besoins locaux.

Elle répond aux besoins de certaines personnes, mais pas à ceux de la majorité de sa population. Si le Maroc veut nourrir sa population, il doit développer une agriculture qui répond à ses besoins. Le Maroc est un grand pays agricole ; il peut le faire car c'est un pays qui a les moyens et qui réalise beaucoup de projets en Afrique. Il est capable de développer des produits à l'exportation tout en produisant ceux qui sont nécessaires à sa population.

Votre livre "L’Afrique peut nourrir le monde", vous êtes quand même optimiste ? Vous disiez que l'avenir, ce sera l'Asie et l'Afrique, puisque ce sont des continents qui ont des terres fertiles et une population jeune. C'est beaucoup de potentiel pour l’avenir.

Ils ont des terres fertiles et une population jeune, une main-d'œuvre jeune et nécessaire pour l’agriculture. Tout se trouve en Afrique. En Europe, il n'y a plus personne qui veut travailler. Donc, qu'est-ce qui reste comme espace pour l’Europe ? C'est le partenariat avec l’Afrique. Tout se trouve en Afrique. C'était le partenariat privilégié avec l’Afrique qui peut les sauver. Mais l'Europe n'a pas encore compris cela.

 Les Européens n’ont pas compris beaucoup de choses. Si on prend en compte la situation géopolitique aujourd’hui, on est dans un monde compliqué.
D'accord, ma dernière question serait : est-ce que vous connaissez l'expérience d’un pays africain, le Maroc ? Il y avait le plan vert, puis en 2020, Génération Green, c'est-à-dire que les Marocains ont essayé plusieurs programmes pour s'en sortir et procéder à une agriculture qui puisse répondre  leurs besoins. Que pensez-vous de cette expérience ?

Vous savez, ils peuvent le faire et réaliser leur programme, mais c'est en tirant les leçons de leurs échecs qu'on trouve les solutions. Donc, ils vont finir par trouver des solutions. Ils en ont déjà trouvé. Et nous aussi, nous avons eu des échecs, et ce sont des leçons.

Comment voyez-vous l'avenir de votre pays, le Congo démocratique, avec toutes les difficultés et la guerre aujourd’hui ?

C'est un pays qui a un potentiel énorme. C'est un grand pays. Je leur fais confiance. Ils ont un avenir.

Paris : Youssef lahlali


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