Dr Mohamed Hadi Belghiti : «Les familles commencent à s’intéresser au poids de leurs enfants»


Propos recueillis par ALAIN BOUITHY
Samedi 10 Avril 2010

Dr Mohamed Hadi Belghiti : «Les familles commencent à s’intéresser au poids de leurs enfants»
Spécialiste en
rééducation
alimentaire,
diététique, nutrition et diabétologie,
Dr Hadi Belghiti pratique aussi la médecine esthétique.
Entretien.

Libé : Quelle est votre perception de la nutrition ?

Dr Mohamed Hadi Belghiti :Avant d’être un acte de santé publique, la nutrition est un fait de société. Il est évident que nous avons besoin de nous nourrir d’abord pour nous sustenter, pour pouvoir puiser l’énergie nécessaire dans les différents aliments.
C’est un acte également de société parce que vous savez que la « gastronomie » marocaine n’est pas la gastronomie espagnole ou française. Et là, on voit que c’est un acte civilisationnel.
C’est également un acte sociétal et social, parce qu’il n’y a rien de plus convivial que de partager un repas. Et vous savez quel est l’importance de la nourriture pour nous autres musulmans de façon générale : on jure par la nourriture, on se dit qu’on a partagé le pain ou le pain et le sel. C’est dans toutes les traditions.
C’est dire que ce n’est pas juste un acte de sustenter, c’est beaucoup d’autres choses aussi. Par exemple, quand nous étions enfant pour calmer un chagrin, une émotion, nos mamans nous donnaient une douceur dont elle disposaient, un peu de miel, de sucre, pour nous calmer. Et il est montré qu’on y trouve tellement de choses variées dans cet acte somme toute naturel.

Ces dix dernières années ont connu un véritable bouleversement des habitudes alimentaires. Ce changement s’est-il opéré dans un sens préoccupant ?

Tout à fait préoccupant voire alarmant. Par exemple, vous savez que l’obésité devient une maladie de santé publique mondiale. Dans des pays dits sous-développés comme la Chine, on ne parle plus d’épidémie mais de pandémie d’obésité. Or, celle-ci est génératrice de nombreuses complications et de maladies très graves comme l’hypertension, les maladies cardiovasculaires, le diabète de type 2, certaines catégories de cancer dont celui du colon.
Maintenant, on soupçonne l’alimentation de provoquer le cancer de la prostate chez l’homme, le cancer du sein chez la femme. C’est préoccupant surtout dans l’hémisphère Nord, dans les pays dits développés, où la nourriture non seulement ne manque pas, mais elle agresse. Vous n’ouvrez pas une radio sans avoir un message de manger, vous ne vous promenez pas dans la rue sans avoir 90 affiches qui vous vantent un biscuit, une boisson. De ce fait, avant, on était obligé d’aller chercher la nourriture, maintenant c’est elle qui vous cherche.

Justement à propos de l’obésité, observez-vous pendant vos consultations  une évolution dans sa perception? Ressentez-vous cette préoccupation des patients?

Ce qui est aujourd’hui rassurant, c’est que l’inquiétude vient directement du patient. De plus en plus de familles marocaines commencent spontanément à s’interroger sur le problème de surpoids, d’obésité. Mieux, les mamans commencent à s’intéresser au poids de leurs enfants et les mentalités d’avant évoluent. Un enfant dodu n’est plus perçu comme un signe de santé, d’aisance. Ce n’est plus un signe de notoriété, au sens qu’on était quelqu’un dans la société.

Qu’est-ce qui a pu contribuer à cette évolution des mentalités ? A quoi attribuez-vous ce changement?

L’information. Cela fait une vingtaine d’années qu’on en parle. Malheureusement, on n’en parle peut-être pas dans le bon sens, on n’en parle jusqu’à ce que les gens tombent dans l’excès inverse: on arrive à l’anorexie, aux jeunes filles qui se font vomir pour atteindre ou garder une certaine ligne de minceur. Alors qu’il est nécessaire d’avoir des formes, le muscle, la graisse pour que le corps humain puisse s’épanouir, soit à son aise. Donc, que ce soit un excès ou un autre, la meilleure chose est d’adopter le juste milieu.

Au jour d’aujourd’hui, quelles sont les habitudes alimentaires à risques observées dans les foyers marocains ?

Deux choses sont primordiales. La première, les boisons gazeuses (quel que soit le pays de fabrication) qu’on retrouve dans de nombreuses campagnes de publicité et qui assurent une transfusion directe de l’eau sucrée dans le sang.
Lorsque que vous avez un adolescent qui passe sa vie devant une télévision ou un ordinateur avec un paquet de chips et une bouteille de soda, il n’est donc pas étonnant qu’il devienne énorme. Parce qu’il ne bouge pas, il emmagasine une énergie qu’il n’utilise pas. Or, nous savons de façon tout à fait claire que plus la masse est importante chez l’être humain, plus il brûle de l’énergie, quand bien même il serait au repos.
Et si la surcharge a été de façon sporadique un problème des seuls pays développés, ce n’est pas du tout vrai aujourd’hui. Tous les âges et toutes les couches sociales sont désormais concernés. Un pauvre cherche une nourriture moins chère qui va longtemps tenir au corps parce qu’il n’a pas de moyen. Or, cette nourriture est faite en général d’ingrédients qui ne sont pas les meilleurs pour la santé. Vous retrouvez cela chez tout le monde.
 La deuxième chose, c’est un défaut primordial de notre civilisation. On ne prend plus le temps de manger : il nous faut avaler à toute vitesse une quantité de nourritures pour aller faire autre chose. Et, quand je vois des grandes entreprises donner 45 minutes à leurs employés pour sortir du bureau, manger, revenir et retravailler, c’est une catastrophe sur le plan santé.
Car, il faut savoir que du moment que l’on met une nourriture dans la bouche, entre le tube digestif et le cerveau, commence à se former un message biochimique par lequel le tube digestif indique à notre système qu’il est en train de répondre au besoin en nutriment et demande au centre de satiété d’arrêter d’envoyer des signaux « manger ». Une fois ce message terminé, normalement on n’a plus envie de manger sauf pour une autre raison. Et pour que ce petit message se fasse, le système a besoin de  25 minutes.

D’où l’intérêt de nous éclairer sur la rééducation alimentaire. En quoi consiste cette dernière ?

La rééducation alimentaire consiste à dire simplement aux gens : «Vous devez prendre telle nourriture, à tel moment de la journée et dans quelle quantité. «On le fait graduellement de telle sorte que les gens retrouvent les bonnes habitudes et chassent complètement les mauvaises, comme mettre la nourriture dans la bouche pour répondre à une émotion, une colère, une joie… Alors que la nourriture n’en est pas forcément la réponse.
On apprend aussi à quelqu’un qui sort d’un repas impromptu (en famille ou entre amis) ce qu’il doit faire pour garder son équilibre…

Ces mauvaises habitudes alimentaires varient-elles d’une saison à l’autre ?

Malheureusement on trouve absolument tout et n’importe quoi durant toute l’année, ce qui, en soi, est mauvais pour la santé. Il est donc impératif qu’on reprenne systématiquement les bonnes habitudes et qu’on consomme des fruits et légumes de la saison.

Il y a dans l’alimentation deux concepts, l’acquisition de l’énergie et sa dépense. Que peut-on savoir à ce propos?

Nous acquérons de l’énergie par la nourriture et maintenant il faut dépenser cette énergie qui nous est nécessaire pour le métabolisme basal. Lequel permet à l’être humain de vivre simplement, aux muscles de se contracter, au cœur de battre, à la respiration et la transpiration de se faire. Et même pendant notre sommeil, nous consommons de l’énergie. Cette partie prend 60% de l’énergie. Le reste n’étant pas utilisé, elle finit par s’accumuler et faire des graisses. D’où l’importance de faire la marche pour faire fluidifier cette énergie. On peut aussi éviter l’ascenseur, sinon ne pas l’utiliser quand on descend.
Nous demandons souvent aux femmes de faire une heure de marche, mais la sécurité à Casablanca est telle qu’elles ne préfèrent pas du tout y penser. Dans ce cas, nous avons des machines qu’on appelle des adjuvants qui vont aider à perdre ces amas graisseux et faciliter la musculation. Laquelle arrive à brûler, donc à utiliser cette énergie emmagasinée sous forme de graisse.

Pour nombre de personnes, régime minceur rime avec restriction. Pouvez-vous nous éclairer sur cette méthode ?

Il y a un fond de vérité. Si vous avez dégusté 3000 cal/j alors que vous avez besoin de 2500cal/j, il faut absolument retirer une partie de graisse pour revenir aux besoins normaux. Cela dit, il y a beaucoup d’idées fausses comme sauter les repas, ne pas prendre de petit déjeuner. Ça ne va seulement faciliter mais accélérer la partie de poids. Ils ont tort parce que notre corps est une machine merveilleuse, seulement elle a été conçue et adaptée à la préhistoire.

La diététique va-t-elle forcément de pair avec une consommation de produits biologiques ?

La diététique nous apprend simplement les nutriments à consommer, la quantité, quand et comment préparer,... L’agriculture biologique a énormément d’intérêt dans la mesure où vous avez un aliment qui est dans sa totalité. C’est-à-dire, vous ne prenez pas simplement un principe actif de l’aliment que vous concentrez et structurez. Etant donné que cet aliment est biologique, vous n’avez ni esthétique ni graisse à l’excès. Maintenant, je ne dirai pas à tout le monde de manger bio vu que c’est encore trop cher.

Des conseils en guise de conclusion?

Il faut revenir au naturel, respecter d’abord les sensations, manger quand on a faim et ne pas abuser de la nourriture. Nous avons de la chance d’être un pays méditerranéen et de disposer de beaucoup de choses, poisson, légumes et fruits. Ainsi que deux huiles absolument merveilleuses, l’huile d’olive et d’argan, qui ont beaucoup d’avantages et se complètent parfaitement. Il faut juste arriver à varier les nourritures, éviter la monotonie (ne pas manger tous les jours pareil même si on change de préparation).
Ne pas oublier d’utiliser les épices. Par contre, il faut diminuer le sel voire le supprimer. Tout comme vous devez diminuer fortement le sucre. 


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