Aziz Idamine : La décision de la CJUE n 'a pas de répercussions ni d'impact immédiat étant donné que la procédure de recours en suspendra l’ effet pendant un ou deux ans au moins


​Le tribunal de l'UE a rendu, ce mercredi 29 septembre, son jugement concernant le recours en annulation des décisions du Conseil européen, au sujet des accords agricoles et de pêche avec le Maroc. Il les annule en maintenant leurs effets pendant une durée indéterminée. Le Conseil européen dispose de deux mois pour déposer un pourvoi. Qu’en est-il du fondement juridique de cette décision, de sa teneur et de ses effets ? Pour répondre à ces questions et à tant d’autres, Libération s’est entretenu avec Aziz Idamine, chercheur en droit international et expert international en droits de l’Homme.

Libé
Vendredi 1 Octobre 2021

Libé : La décision du tribunal européen était-elle prévisible ou attendue ?
Aziz Idamine : 
La décision rendue le 29 septembre 2021 concernant le partenariat pour l'agriculture et la pêche entre le Maroc et l'Union européenne (UE), nous ramène au même scénario qui s'est produit en 2012, lorsque le Front Polisario a déposé une plainte contre l’accord de pêche conclu entre l’UE et le Maroc, considérant que son application au Sahara allait à l’encontre du droit international et des engagements de l’UE. La requête a été examinée par la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) qui a tranché en faveur du Polisario en suspendant cet accord.

La Commission européenne a par la suite contesté cette décision en considérant que le Front Polisario ne peut pas être considéré comme personne morale ayant la capacité juridique pour porter des affaires devant les juridictions européennes. Afin de contourner ce vice de forme, le Front Polisario, avec le soutien de l'Algérie, a eu recours à une organisation non gouvernementale, l'Association britannique ‘’Adalah’’, pour qu’elle porte plainte à sa place.

Une décision a été prise en 2016 appelant à réviser les annexes de l’accord qui concerne le Sahara tout en préservant le fond de l’accord, ce qui a poussé le Maroc et l’UE à opérer des modifications techniques en 2018, sans compromettre la quintessence dudit accord. Nous sommes donc face à un processus interminable puisque l'Union européenne fera, de nouveau, appel au motif qu'il existe une jurisprudence contestant le statut juridique du Polisario.

Qu’en est-il de la teneur de ladite décision?
Il y a trois observations concernant cette décision. La première est qu’elle a confirmé le statut juridique du Front Polisario. Au gré d’une lecture juridique qui ne cadre pas avec l’article 263 du statut européen. Ladite décision du tribunal européen a donc été bel et bien adoptée et interprétée en contradiction avec l’esprit de cet article. L’autre observation est relative à la décision de modifier le deuxième annexe relatif aux produits agricoles d'origine sahraouie ainsi que le quatrième annexe (concernant les poissons en provenance de l'océan jouxtant le Sahara) avec, par ailleurs, la nécessité de consulter les Sahraouis sur ce partenariat.

Concernant les Protocoles 2 et 4, ils seront modifiés selon le même scénario de celui de 2016, c’est ce qui ressort, d’ailleurs, de la déclaration conjointe du haut représentant de l'Union européenne chargé de la politique étrangère, Joseph Borrell et du ministre marocain des Affaires étrangères Nasser Bourita, qui ont souligné que «nous prendrons les mesures nécessaires pour sécuriser le cadre juridique». Ce qui garantit la continuité et la stabilité des relations entre les deux parties.

Quant à la consultation des Sahraouis, le Maroc a mis en place au Sahara des institutions élues et d’autres nommées, mais ce mécanisme demeure impossible à opérer vis-à-vis des personnes qui vivent dans un autre pays, l'Algérie.

En effet, le Maroc n'a aucune autorité administrative sur les habitants de Tindouf puisque c’est l'Algérie qui est dotée de cette autorité politique et administrative. D’autant plus que le Maroc ne connaît ni leur nombre ni leur identité, étant donné que l'Algérie et le Polisario s’opposent au recensement exigé par l'ONU. Nous sommes ainsi confrontés à une «condition» impossible à réaliser, Mais, elle peut être surmontée en appel après la présentation de tous les documents juridiques et tenants et aboutissants nécessaires.

La troisième observation se rapporte au paragraphe qui stipule que «les effets desdites décisions sont maintenus pendant une certaine période, car leur annulation avec effet immédiat est susceptible d’avoir des conséquences graves sur l’action extérieure de l’Union et de remettre en cause la sécurité juridique des engagements internationaux auxquels elle a consenti».

Dans ce paragraphe, on relève le caractère politique de la décision du tribunal européen. En effet, cette instance a pour prérogative d’examiner uniquement les aspects juridiques et n’a pas le droit d’évoquer d’éventuelles ‘’conséquences désastreuses sur les activités extérieures. Le tribunal a fait prévaloir plutôt les intérêts commerciaux de l’UE au détriment de ce qu’il considère comme violations des lois’’.

Cela étant, peut-on parler de répercussions ou d’effets immédiats de cette décision de la CJUE ?
Jusqu’à présent, cette décision n'a pas de répercussions ni d'effets immédiats étant donné que la procédure de recours suspendra l’effet de cette décision pendant un ou deux ans au moins. Mais d'un point de vue politique, la diplomatie marocaine devra s’employer à contenir les actions visant la reconnaissance juridique de la personnalité morale du Front Polisario.

Les efforts déployés dans ce sens doivent associer les habitants et les représentants de la population des provinces du sud en impliquant également les organisations de la société civile, ainsi que les instances et réseaux internationaux amis du Maroc. D’aucuns avancent que la dernière décision du tribunal européen ne concerne pas le Maroc, qu’il s’agit plutôt d’une affaire d’abord de l’UE ajoutant qu’il faut chercher d'autres partenariats et marchés commerciaux alternatifs en Asie et en Afrique. Personnellement, je m’inscris en faux contre cette idée. A mon sens, le Maroc est concerné par cette décision foncièrement politique du fait qu’elle porte atteinte à notre intégrité territoriale.

Propos recueillis par Hassan Bentaleb


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