Aïcha Belarbi: Nous avons une femme wali, plusieurs femmes au gouvernement mais finalement à quoi tout cela rime-t-il ?

Ce qui importe le plus, c’est la valorisation de leur action


Propos recueillis par Nezha Mounir
Samedi 8 Mars 2014

Aïcha Belarbi:  Nous avons une femme  wali, plusieurs femmes au  gouvernement mais finalement à quoi tout cela rime-t-il ?
Où en sont les femmes de leurs 
revendications ? Leur situation 
connaît-elle une amélioration ? 
Que faut-il entreprendre pour 
parer au plus urgent. Que de 
question qui attendent réponse. 
Un exercice auquel s’est 
aisément prêtée 
 Aicha Belarbi, militante 
USFP, ancienne secrétaire 
d’Etat chargée de la 
coopération, professeur et 
chercheur à l’Université 
Mohammed V
 
Libération : En pareille occasion, la question qui se pose est celle de l’évaluation de la situation de la femme 
 
Aicha Belarbi : Le 8 mars, c’est la période des bilans. Au Maroc, beaucoup d’avancées ont été réalisées notamment au niveau juridique. Depuis les années 2000, nous nous trouvons dans un processus qui est très positif pour les femmes. En effet, les revendications pour lesquelles nous avons longtemps milité, se sont progressivement concrétisées. Il en est ainsi du Code du statut personnel, du Code de la nationalité et de la suppression des réserves de la CEDAW. Et la nouvelle Constitution est venue couronner ce processus notamment à travers l’article 19. C’est pour la première fois que l’égalité hommes-femmes a été instaurée au niveau politique, économique et civil. Ce qui constitue un grand pas en avant. Toutes ces réalisations ne nous empêchent pas pour autant de dire que le chemin est encore long et que beaucoup de lacunes persistent à divers niveaux. Concernant l’alphabétisation des femmes, le constat est effarant. Les statistiques parlent d’un taux de 65% de femmes analphabètes. Un taux encore plus accentué dans le milieu rural que dans le milieu urbain. Et puis, durant les 10 dernières années, on a assisté à une forte réduction de l’activité des femmes. Elle est de 24%, ce qui est fort regrettable. La situation n’est guère reluisante s’agissant de la santé de la mère et de l’enfant. Un registre où le Maroc n’est pas très performant vu le nombre de femmes décédées en couches ainsi que celui des enfants. Ce qui nous vaut un mauvais classement.

La Constitution est bien là, mais sa mise en œuvre pose problème 
 
C’est vrai qu’elle peine à être mise en œuvre. Effectivement, il y a déjà plus de deux ans que nous attendons désespérément que l’article 19 soit appliqué mais on ne voit toujours rien se profiler à l’horizon. Il y a bien eu une commission qui a planché dessus durant quatre mois. Par la suite, elle a dû soumettre ses conclusions au ministre, début juin. Depuis, silence radio. A ce stade, on est en droit de se demander s’il y a une réelle volonté politique de mettre en application cet article. Peut-être bien que le gouvernement temporise et essaie de gagner du temps jusqu’à la fin de son exercice. 
Il est pourtant urgent de mettre en place l’Autorité pour la parité et la lutte contre toutes les formes de discrimination. C’est elle qui participera à l’élaboration des travaux du genre. En fait, le ministère de la Solidarité, de la Femme, de la Famille et du Développement social veut accaparer la question de la femme dans son ensemble. On le perçoit d’ailleurs à travers ce qui s’est passé s’agissant de la loi relative à la lutte contre la violence faite aux femmes. Toutes ces associations qui travaillaient sur la question de la femme et en ont fait leur cheval de bataille notamment depuis 1993-94 on été mises à l’écart. Et pourtant, elles ont à leur actif un long travail de terrain, des centres d’écoute voire toute une dynamique qui aurait pu être exploitée à bon escient. Rien de tout cela n’a été malheureusement fait. Et puis, il ne faut pas perdre de vue non plus que travailler sur la question de la femme implique indéniablement de travailler sur la démocratie, sur les droits de l’Homme en général. C’est un tout. On ne peut guère isoler la problématique de la femme et voir en cette dernière un être faible, démuni auquel on devrait prêter main forte (veuves, divorcées).
Par ailleurs, il apparaîtrait que la volonté de mettre en oeuvre l’approche genre fait défaut. Ceci est d’autant plus vrai que la définition même qui lui est donnée est différente. Pour nous progressistes, l’approche genre implique toutes ces valeurs qui pèsent à la fois sur les hommes et sur les femmes et qui font que les inégalités entre les deux persistent. Ce n’est pas en ayant un quota de 5% par-ci et de 10% par-là que le problème sera résolu. Non, loin de là. Le quota est une manipulation qui a été mise entre les mains des hommes. Ce mécanisme leur a permis de mettre en place des femmes qui suivent leurs directives. Quant à celles qui sont autonomes, indépendantes et libres de leurs paroles, elles n’ont aucune chance. C’est pourquoi, il faut rester très vigilant quant à la question du quota. Pour nous, c’est une transition vers la parité. Mais il n’en est rien actuellement, car on ne dispose pas de programme avec des prévisions arrêtées. 

Que faire pour parer au plus urgent ? 
 
Nous sommes dans un pays où il n’est pas toujours facile de rompre avec le passé. Pourtant, il faut trancher et se dire qu’il n’est plus question d’inégalités, encore moins de discrimination. Les lois sont là, il faut les appliquer telles quelles. Pour ce, il faut une conjugaison des efforts. Si on n’arrive pas à instaurer une réelle démocratie, la question de la femme demeurera en suspens. Une démocratie suppose l’acceptation de l’autre, le changement de mentalités voire la reddition des comptes. Mais ce sont là des principes difficilement acceptables. Chacun campe sur ses positions et ne tolère aucune remarque. 

N’est-ce pas avant tout une question de mentalité? 
 
Il faut déconstruire toutes ces structures sociales et mentales qui règnent dans la société. Un tel changement ne pourrait pas se faire du jour au lendemain. C’est un travail de longue haleine. Il faut commencer par le bas, dès l’enfance. Pour ce, rien de tel que d’adopter une politique, voire une stratégie d’action qui intervient à divers niveaux. On la retrouvera ainsi dans les écoles, les médias, les entreprises, les syndicats, les partis politiques….Si rien n’est entrepris, on ne peut guère parler d’une quelconque progression. Nous avons une femme wali, plusieurs femmes au gouvernement mais finalement à quoi tout cela rime-t-il ? 

Ce qui importe le plus c’est la valorisation de leur action.
 
Quels sont les changements qu’elles pourraient apporter au sein de la société ? C’est là que réside le problème. Au Maroc, nous avons une législation qui donne l’impression d’être en avance mais en fait c’est une législation qui est faite beaucoup plus pour le rayonnement de l’image du Maroc à l’étranger que pour les citoyens. L’exemple qui me vient à l’esprit, c’est celui du Code de la famille. C’est un Code avant-gardiste, mais à voir de plus près, la réalité est tout autre. Quand on réalise que le nombre de mariages de mineures atteint 10% et que 7% des grossesses sont l’œuvre de mineures, cela donne à réfléchir. D’autant plus que les répercussions sont nombreuses et impliquent une interruption de la scolarité et tout ce qui conduit indéniablement vers la précarité. 

Justement le Code de la famille souffle sa dixième bougie. Applaudi lors de son élaboration, il semble loin de faire l’unanimité.
 
En fait, il y a beaucoup de déviations. On a beau disposer d’un bon code, il faut tout de même élaborer des mécanismes d’application que tout juge serait amené à respecter. Rien ne devrait être laissé à la libre appréciation du juge. On peut prétexter que le milieu rural n’a pas encore évolué pour expliquer certaines pratiques, mais si on continue de la sorte, on n’avancera jamais. Il n’y a qu’à voir ce qui a été entrepris en France au niveau des manuels scolaires afin de lutter contre le sexisme à l’école. Malheureusement chez nous, de tels sujets ne constituent pas une priorité. La femme est constamment dévalorisée voire inexistante. Cela me rappelle, à juste titre, une discussion que j’ai eue avec un responsable au sujet de sketches diffusés pendant le Ramadan. 
Je lui ai fait part de mon indignation quant à l’image dégradante véhiculée à travers les messages transmis par les médias alors qu’on dispose de lois avant-gardistes. Sa réponse m’a interloquée : «C’est ce que le peuple demande» a-t-il répondu. Il va sans dire que quand on a un projet de société, on s’y investit. 

Il y a réellement un gouffre entre les lois et la réalité sur le terrain. 
 
En effet, un profond fossé s’est creusé. A ce propos, j’ai beaucoup apprécié une étude faite par Abdessamad Dialmy sur la question du harcèlement. Les hommes interrogés ne comprenaient pas qu’on puisse les punir pour une pratique qui fait partie des mœurs. Pour eux, il n’y a aucun mal et puis quelque part les femmes sont aussi responsables. Elles n’ont qu’à ne pas s’habiller de façon aguichante. Et dire qu’une loi punissant le harcèlement est en cours. Pour ce, il aurait fallu aller sur le terrain, faire des sondages pour s’approcher davantage des citoyens.

D’après vous, comment se positionne l’USFP par rapport à la question de la femme ?
 
Beaucoup d’erreurs ont été faites. L’USFP fait partie du Maroc et les hommes de l’USFP sont eux aussi des Marocains. Sur la question de la femme, le parti n’a pas pu donner l’exemple notamment à travers la liste nationale. 
Des femmes ont été choisies et il n’y a pas eu de vote pour des femmes qui pourraient apporter un plus. Sinon l’USFP a toujours été avant-gardiste s’agissant de la question de la femme. Il a été le premier à parler de l’égalité, de l’Ijtihad dans l’interprétation du Coran. 
Il faut se référer aux diverses interventions de Abderrahim Bouabid et Adderrahmane Yousssoufi pour en avoir une idée. Et puis c’est le premier parti à élaborer un quota pour les femmes au sein de ses instances. Mais depuis, les choses ont beaucoup évolué. Maintenant que l’accès à certains postes de décision est ouvert, il est légitime que chacun réclame sa part du «gâteau» dans la mesure où il a participé à sa confection, bien évidemment.  Le jeu démocratique doit être respecté.
 
La société civile a toujours milité pour la cause féminine. Comment évaluez-vous son action?

La société civile fait son travail. Il en est de même pour l’Etat et les partis politiques, mais tous ces efforts doivent être intégrés dans une stratégie commune. Par ailleurs, à part les associations féminines très investies dans leur combat, on trouve d’autres associations nées de l’INDH et qui n’ont pas la capacité de gérer la question de la femme. 

Cela nous amène à parler de l’accès des femmes aux hautes fonctions. D’aucuns disent qu’elles n’ont pas assez d’audace pour présenter leurs candidatures. 
 
Tout les dissuade à commencer par le mari. Au lieu d’être soutenues par leur entourage, elles sont découragées. Face à toutes les barrières qui se dressent devant elles, elles ont du mal à franchir le pas et finissent par renoncer. Cela continuera ainsi tant qu’on ne reconnaîtra pas que l’éducation des enfants et la gestion du foyer sont des responsabilités partagées. 
Il faut dire aussi que certaines femmes seraient encore plus machistes que les hommes 
Le système forme les gens. C’est le seul modèle que nous avons. Une femme dont l’esprit est imprégné de démocratie, qui est à l’écoute des autres, n’est pas toujours acceptée par son entourage. Elle est même traitée de faible. Donc pour pouvoir garder son poste, elle devrait être machiste.
 
Un mot de la fin
 
Tout ce que je peux vous dire, c’est que j’ai beaucoup d’espoir. Ce qui me pousse à travailler et à militer pour l’égalité et la parité. Le Maroc est un pays très riche de ses hommes et de ses femmes. Mieux encore, on voit arriver une nouvelle génération consciente de son rôle parental qui ne demande qu’à être soutenue. Et puis un appel est lancé aux responsables politiques afin qu’ils élaborent les lois, car la Constitution risque d’être 
dépassée. 


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