​Les rouleurs de bidis se tuent à petit feu en Inde

Environ 70 millions d'Indiens fument des bidis


Mardi 23 Juin 2015

​Les rouleurs de bidis se tuent à petit feu en Inde
Zainab Begum Alvi se serre avec d'autres petites mains autour de paniers pleins de tabac et de feuilles séchées, dans un village du nord de l'Inde, pour tenter de rouler un millier de cigarettes bon marché par jour et satisfaire ainsi les exigences de ses puissants patrons.
"Je dois le faire, peu importe comment et même si je ne vais pas bien, je n'ai pas le choix", explique Alvi, qui gagne 70 roupies par jour, soit un euro, pour 12 heures passées à rouler des bidis.
"Il n'y a pas d'autre travail, si je ne le fais pas, je n'ai rien d'autre", ajoute cette petite femme décharnée de l'Etat pauvre de l'Uttar Pradesh, âgée d'une cinquantaine d'années.
Environ 70 millions d'Indiens fument des bidis, roulés avec des feuilles d'un arbuste appelé "tendu" et noués avec un fil de coton par des travailleuses telles qu'Alvi.
La consommation de bidis en Inde supplante largement celle des cigarettes, à raison de huit pour une, donnant aux patrons du secteur une forte influence politique et financière. 
Selon leurs détracteurs, cette influence a pesé sur le choix de renoncer à l'inscription sur les paquets de cigarettes de mises en garde plus larges concernant les dangers du tabac.
Pas de lien avec le cancer
Trois parlementaires du parti nationaliste hindou au pouvoir, le Bharatiya Janata Party, membres d'une commission parlementaire sur les dangers du tabac, ont été critiqués pour avoir affirmé que rien ne prouvait que le tabac causait le cancer.
"Il n'y a pas de preuve médicale que les bidis causent le cancer", a dit Shyama Charan Gupta, l'un des trois parlementaires, qui dirige également un fabricant de bidis d'une des marques les plus populaires.
"C'est de la désinformation venant des ONG, de quelques médecins et du lobby anti-bidis", rapporte l’AFP.
Les bidis ont longtemps été vendus comme des produits "naturels", car simplement enroulés dans une feuille et sans additif.
Mais les militants tels que Prakash C Gupta soulignent qu'ils peuvent être plus dangereux que les cigarettes car ils sont en général fumés plus souvent et avec des inhalations plus profondes.
"L'industrie du bidi a une emprise énorme. Les industriels occupent de hauts postes dans tous les partis", souligne ce chercheur réputé pour ses études sur l'impact du tabac sur la santé.
Près de 900.000 Indiens meurent chaque année de maladies liées au tabac, selon les chiffres officiels, et ce bilan pourrait passer à 1,5 million de décès d'ici la fin de la décennie faute de mesures de santé publique, selon les chercheurs.
Si un paquet de 20 cigarettes peut coûter plus de 150 roupies (2 euros), la quinzaine de bidis est vendue seulement cinq roupies (moins de 10 centimes), en raison d'une taxation favorable.
Les fumeurs de bidis sont essentiellement des hommes pauvres vivant dans des zones rurales, mais ils ne sont pas les seuls à risquer leur vie: 90% des 5,5 millions d'employés roulant les bidis sont des femmes, selon la fédération des employés du secteur, la All India Bidi, Tobacco and Cigar Workers Federation, et un quart serait des enfants, selon les chiffres officiels.
La plupart ne fument pas mais, en raison de leur exposition aux poussières de tabac, ils souffrent fréquemment de maladies respiratoires comme l'asthme ou la tuberculose ainsi que de problèmes articulaires et de peau, selon des études.
L'une d'elles réalisée dans l'Etat du Bihar (est de l'Inde) montre que plus de 70% souffrent de maladies de l'œil, de problèmes nerveux ou gastriques tandis que plus de la moitié ont des difficultés respiratoires. 
Travail éreintant   
"C'est un travail éreintant, très risqué pour la santé et pour une paie dérisoire", indique Alok Mukhopadhyay, qui dirige la Voluntary Health Association of India (VHAI), auteur d'études sur la santé de ces employés.
Pour contourner une législation contraignante en matière de santé du travail dans les grandes unités de production, les fabricants de bidis ont fragmenté la production en de micro-unités, qui ont aussi l'avantage de bénéficier d'une fiscalité plus favorable.
Mais seule une minorité de rouleurs de bidis travaillent en usine, la plupart oeuvrant de chez eux au service d'une multitude de sous-traitants qui dépendent de grandes marques.
La production indienne serait comprise entre 750 milliards et 1.200 milliards de bidis par an, soit plusieurs milliards de dollars de revenus.
Dans les petites unités de production, comme chez Alvi à Kannauj, les enfants aident souvent leur famille pour tenir les cadences de production.
"Je n'aime pas ça", dit Seema, la nièce d'Alvi âgée de 14 ans, après une matinée à l'école. "Je veux aller plus longtemps à l'école mais je ne peux pas car je dois rouler des bidis", dit l'adolescente qui rêve de devenir enseignante.
A proximité, dans l'usine de New Sarkar, un bâtiment en ruines, des hommes et de jeunes enfants travaillent dans l'obscurité à ficeler des tas de bidis placés dans des paquets colorés ensuite entassés dans des cartons.
Le patron de la société, Quazi Naseem Ahmed, dit réaliser un chiffre d'affaires de 400 millions de roupies (5,7 millions d'euros) avec 16 unités de production. Il assure que l'aspect juvénile des garçons s'explique par le dur labeur. 
"Ils sont faibles, sales, fatigués, aussi ils sont plus susceptibles d'être malades mais ne souffrent ni de tuberculose ni de cancer", affirme t-il à l'AFP. 


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