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La démolition programmée de cette bâtisse, appelée autrefois la "maison des singes" et recouverte aujourd'hui de graffitis, fait débat parmi des femmes victimes de ces traitements forcés visant à protéger la santé des militaires américains.
"On l'appelait +maison des singes+ car les femmes y étaient enfermées comme des singes", explique à l'AFP Choi Hei-shin, militante et spécialiste du sujet.
Situé dans une forêt de Dongducheon (nord), le bâtiment doit être rasé en octobre par des bulldozers, dans le cadre d'un projet touristique.
Kim Un-hui a été emmenée de force dans ce centre d'internement dans les années 1970, faute de pouvoir fournir un test de dépistage négatif aux infections sexuellement transmissibles (IST) aux autorités sud-coréennes au moment de son arrestation sur une base américaine. Elle y a été enfermée et contrainte à recevoir une injection de pénicilline.
Cela a été si douloureux qu'elle eut le sentiment que quelqu'un "la poignardait encore et encore", raconte Mme Kim aujourd'hui âgée de 66 ans.
Elle explique avoir dû partager une pièce exiguë avec vingt autres femmes. L'une d'elles s'est évanouie après avoir reçu une dose bien trop importante de pénicilline, puis s'est blessée en tombant sur un châssis de lit.
Les soignants "sont restés là sans rien faire", se souvient Mme Kim, hantée par ce souvenir.
Le combat contre la démolition de la "maison des singes" s'inscrit dans une lutte plus large, celle de la reconnaissance des souffrances des femmes affirmant avoir été piégées et forcées de travailler dans des bordels administrés par Séoul.
Contrairement aux "femmes de réconfort", raflées à travers l'Asie pour servir d'esclaves sexuelles aux soldats japonais durant la Seconde Guerre mondiale, les dizaines de milliers de femmes victimes de ces établissements militaires des années 1950 à 1980 ont fait l'objet d'une attention très limitée.
En 2022, un arrêt historique de la Cour suprême sud-coréenne a établi que le gouvernement avait "défendu et encouragé la prostitution" auprès des femmes sud-coréennes, leur infligeant une "perte de dignité" et des "souffrances mentales".
Mme Kim explique avoir répondu à une offre d'emploi de serveuse. Celle-ci cachait en réalité un trafic sexuel. Un proxénète l'a ainsi amenée de force dans un bordel militaire.
D'après les témoignages de survivantes, de nombreuses femmes sont décédées après avoir consommé de force de la drogue ou subi d'atroces traitements médicaux contre les IST.
"Les autorités ont administré aux victimes plus de dix fois la quantité de pénicilline jugée sans danger", affirme Kim Eun-jin, directrice de Durebang, une organisation qui soutient les survivantes.
Certaines ont été indemnisées par l'Etat sud-coréen, mais les efforts pour obtenir des excuses de Washington, qui dispose encore de soldats dans le pays, sont restés vains.
"Nous avons vu nos collègues mourir malades, se suicider", avaient alerté 73 rescapées dans une lettre adressée en 2009 au président américain d'alors, Barack Obama.
"Les autorités militaires américaines en Corée du Sud sont directement intervenues dans la prostitution (en place) près des bases militaires pour la +santé et le confort des troupes américaines+ (...) Il s'agissait clairement d'un crime d'Etat", dénonçaient-elles.
A quelque six kilomètres de la "maison des singes" se trouve un cimetière, dont les trois quarts des tombes sont celles de femmes soumises à la prostitution, au service des troupes américaines.
Celles-ci seront bientôt toutes déplacées pour que la zone puisse être transformée en parc et accueillir des touristes.
Des journalistes de l'AFP ont constaté que la plupart des sépultures, anonymes, étaient envahies par les mauvaises herbes. Des pancartes sur place demandent aux proches de prendre contact avec les gestionnaires du cimetière.
Mais nombre des femmes travaillant dans les bordels, pétries de honte, ont coupé les ponts avec leurs familles. Cela explique pourquoi "elles ont été enterrées sans nom", souligne la chercheuse Choi Hei-shin.
Les bordels installés près de bases américaines ont injecté beaucoup d'argent dans l'économie sud-coréenne: ajoutés aux bars et barbiers fréquentés par les soldats américains, ces secteurs représentaient 25% du PIB sud-coréen dans les années 1960-1970.
L'Etat "profitait de leurs corps, les utilisaient comme de simples outils", ajoute Mme Choi.
Aujourd'hui, les survivantes demandent réparation.
"Nous avons été maltraitées par notre propre pays", estime Mme Kim. "Ils essaient d'effacer (notre histoire) de l'histoire."