​La croissance de la Côte d’Ivoire est-elle enrichissante ?


Par Germain Kramo *
Vendredi 5 Juin 2015

​La croissance de la Côte  d’Ivoire est-elle enrichissante ?
«L’argent ne circule pas, il travaille ». C’est avec cette phrase que le président ivoirien Ouattara répondait à ceux qui lui ont reproché que l’argent ne circule pas en Côte d’Ivoire. Cette phrase résume la situation actuelle du pays. Au moment où le président célèbre le quatrième anniversaire de son investiture, la Côte d’Ivoire affiche l’un des taux de croissance les plus élevés au monde. Seulement, la population ivoirienne se plaint d’une paupérisation de plus en plus croissante.
L’économie du pays connaît depuis 2012 une croissance remarquable : 9,8% en 2012,  8,7% en 2013 et 9% en 2014. En même temps le taux de pauvreté reste très élevé, puisqu’il est estimé à près de 50% en 2014. Par ailleurs, la Côte d’Ivoire est mal classée en termes d’indice de développement humain puisqu’elle occupe le 171ème rang sur 187 pays. Alors pourquoi la forte croissance économique coïncide avec une pauvreté si élevée ?
Plusieurs raisons pourraient expliquer le faible impact de la croissance économique sur la pauvreté en Côte d’Ivoire. D’abord, l’importance de la pauvreté puisque son taux était de 48,9% selon l’enquête sur le niveau de vie des ménages de 2008. Il faut aussi noter que le seuil supérieur de pauvreté relative correspond à environ 241.145 FCFA. Selon le rapport de la BCEAO de 2012, la profondeur de la pauvreté en Côte d’Ivoire est de 18,2%. Cela nécessite une dépense moyenne nécessaire de 43.888,39 FCFA par an et par tête d’habitant pour éradiquer la pauvreté, en situation de parfait ciblage. Par conséquent, la mission de réduire rapidement la pauvreté n’est pas facile car l’incidence et la profondeur du mal sont trop élevées.
Ensuite, la persistance de la pauvreté malgré la forte croissance économique peut s’expliquer aussi par un taux de chômage élevé. Selon les statistiques de l’AGEPE, le taux de chômage est de 5,03% en Côte d’Ivoire en 2013, un taux qui semble être maintenu artificiellement bas surtout lorsque l’on sait que le taux de non-emploi, un autre indicateur du niveau de chômage, avoisine les 50% chez les jeunes.  En fait, beaucoup d’emplois créés ces dernières années sont temporaires. En effet, des chômeurs sont recrutés pour la construction des infrastructures. Une fois les chantiers de ces infrastructures sont achevés, ces employés retombent dans la précarité. D’où l’impossibilité de faire baisser durablement la pauvreté. À cela, il faut aussi ajouter que la croissance économique est tirée par les investissements dans les infrastructures et l’exploitation des matières premières. À la sortie de la crise de 2011, le gouvernement a lancé la construction des infrastructures. Du point de vue de la demande, le décollage notable des investissements publics associés aux grands programmes de réhabilitation et de construction des infrastructures a représenté un vecteur important de croissance économique. Mais le déficit quantitatif et qualitatif des infrastructures sociales de base (éducation, santé, logement, énergie) ne permet pas aux pauvres d’améliorer la qualité de leur capital humain. Ils sont handicapés dès le départ et ils ont du mal par la suite à améliorer leur niveau de vie. Cette situation maintient les ivoiriens dans un cercle vicieux de pauvreté. D’où l’impossibilité de faire baisser la pauvreté. De même, la croissance économique ivoirienne est tirée par l’exploitation brute des matières premières qui a peu d’impact sur l’emploi à cause de la faible transformation des produits issus du secteur primaire. Pour preuve, selon les statistiques de UN Comtrade, les produits manufacturiers représentent moins de 10% des exportations totales de la Côte d’Ivoire. En conséquence, peu d’emplois sont crées car les matières premières sont exportées à l’état brut. Peu de retombées sont ressenties par les  populations qui ne sont pas impliquées directement dans l’exploitation des matières premières. En outre, le manque d’intégration de l’économie ivoirienne entraine la faiblesse des échanges intermédiaires entre les différents secteurs. Ce manque de complémentarité ou d’intégration ne favorise pas la création d’emplois indirects dans d’autres filières. Par exemple, du fait de la faible intégration entre l’agriculture et l’industrie, une entreprise créée dans le secteur agricole aura peu d’impact sur le secteur industriel car il y a peu d’échanges entre les deux secteurs. Cela limite les opportunités de création de richesse et d’emplois. Or, il ne peut y avoir de réduction de pauvreté sans création de richesse et d’emplois.
Par ailleurs, la corruption et la mal gouvernance entrainent une mauvaise allocation des ressources. Les pauvres sont éloignés des sphères de décisions. Il est donc plus facile de détourner des ressources destinées à ces personnes. En effet, à cause du mauvais ciblage des pauvres, les politiques de transferts sociaux (subventions, aides, etc.) qui en principe sont destinées aux pauvres profitent plus aux riches. Cela empêche de canaliser les fruits de la croissance vers les plus démunis. De plus, le racket contribue à alourdir les charges des plus démunis. Par exemple, les rackets institués par les « gnambros » (syndicats) dans le secteur du transport en commun entraînent la hausse du prix du transport en commun. Tout ceci contribue à la hausse du coût de la vie. Le taux d’inflation moyen de la Côte d’Ivoire est de 3%. Bien que relativement faible, il demeure très élevé pour les populations ayant des pouvoirs d’achat faible. En somme, il est incontestable que la population ne semble pas ressentir les retombées de la forte croissance économique. Une grande partie de cette population trouve que cette croissance économique est virtuelle. Le gouvernement ivoirien demande à la population d’être patiente mais la profondeur et la sévérité de la pauvreté créent une certaine impatience au niveau de la population. Créer la croissance économique ne saurait à elle seule faire reculer la pauvreté. Le gouvernement doit diversifier les sources de la croissance économique et créer une complémentarité entre le secteur agricole moteur de la croissance économique et le secteur industrielle créateur de valeur ajoutée. Le gouvernement doit agir sur les causes de la pauvreté grandissante pour faire baisser la pauvreté en aidant les plus démunis à se prendre en charge à travers des programmes spéciaux générateurs de revenus car certaines personnes sont tellement pauvres qu’elles sont incapables de s’extraire seules de la pauvreté.

 * Chercheur au CIRES, Côte d’Ivoire
Article publié en collaboration 
avec Libre Afrique


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