​L’apprentissage entre performance et focalisation sur la maîtrise

Il serait judicieux d’implanter au sein des salles de classe une ambiance qui tient non pas uniquement de l’apprentissage axé sur la performance mais aussi de l’apprentissage axé sur la maîtrise


Par Ismaïl Idabbou
Jeudi 14 Mai 2015

​L’apprentissage entre performance et focalisation sur la maîtrise
Le but de tout apprentissage  donne à ce dernier sa légitimité et établit la motivation nécessaire pour qu’il soit mis en processus, et ce, en connaissance de cause. Certes, le but ou l’objectif de l’apprentissage est ce qui oriente celui-ci  vers un résultat souhaité en rapport avec les acquisitions des apprenants, mais cette perspective entretient aussi l’orientation du processus enclenché ou autrement, le sens que l’on se fait de l’apprentissage  pendant sa mise en œuvre. C’est justement ce qui nous importe.
Aussi pourrait-on se demander à quoi aspire-t-on par l’apprentissage en tant qu’acte intentionnel?  Quelle en est la modalité fructueuse à privilégier en termes d’incorporation des connaissances? Et comment cette réflexion pourrait-elle être utile au contexte actuel de l’enrichissement des mesures prioritaires formulées par le ministère de tutelle? Ce sont  des  questions que tente d’éclairer, dans la mesure du possible, cet écrit sous un angle de vue précis.
L’orientation de l’apprentissage ou son principe motivationnel viserait préférentiellement soit la maîtrise soit la performance.  Si l’on est dans la sphère de la maîtrise, le lien à l’apprentissage et à la progression serait fort. Si  la primauté de la performance est disproportionnellement prononcée, la centration se ferait sur la valorisation du soi. 
Gravitant uniquement autour de la performance, le contexte de la classe incite  les élèves à se démarquer les uns par rapport aux autres. Mus par cette obsession, les élèves auront des selfs susceptibles et ceux qui appréhendent le surinvestissement intellectuel manifesteront des comportements d’évitement en s’éloignant des situations exigeant la participation. Leur intention demeurant : se prémunir des stigmatisations des pairs. Esseulés, ces derniers éprouvent en conséquence  des affects d’angoisse et d’anxiété déstabilisants.
La concurrence et l’émulation seront loi dans la classe, ce qui imposerait une catégorisation inéluctable de rangs et des images de soi (auto)-dévalorisée. De même, la motivation à apprendre est loin d’être intrinsèque à l’apprentissage, car elle se crée afin de parvenir à un rang même si parfois la relation à l’apprentissage est marquée par la contrainte et la souffrance silencieuse.
Dans ce registre, il s’agit de parcours individualiste et narcissique où toute volonté de collaboration est autocensurée. La notation pondère l’effort de l’élève qui généralise intuitivement  cette appréciation  sur sa propre personne. Nous pouvons estimer les désastres de cette opération sur la concordance et l’équilibre du self de l’élève.
Par ailleurs si l’on mise sur la maitrise au sein des classes, l’on invite l’élève par cette orientation à se comparer à lui-même d’abord avant de se valoir par rapport aux autres. L’intérêt de l’élève est centré sur la discipline et sur sa progression personnelle à la maitriser de manière progressive  dans le temps. De cette manière, l’élève, par des opérations métacognitives se résout à la variation des stratégies appropriatrices du nouveau savoir. 
Et puisque la concurrence est secondaire par le biais de l’ambiance de classe, l’élève se permet de s’ouvrir sur ses camarades et de tisser des relations d’apprentissage collaboratif. Cette ouverture est gage de l’apprentissage par les pairs et de ses retombées positives en termes d’efficacité et de d’économie de temps et d’effort. Dans cette ambiance facilitatrice d’apprentissage, la notation n’est pas primordiale et pourrait se défaire de son caractère numérique « nuisible » en étant reconfiguré symboliquement en niveaux globaux. Dans le modèle de maîtrise, les comportements d’évitement se feront rares vu que les connaissances se partageront d’une manière fluide.
Il serait judicieux d’implanter au sein des salles de classe une ambiance qui tient non pas uniquement de l’apprentissage axé sur la performance mais aussi de l’apprentissage axé sur la maîtrise. Il s’agit d’un art qui répond parfaitement à la double contrainte : être en harmonie avec les textes officiels qui prônent la note et créer primordialement l’atmosphère vivable d’une interaction pédagogique fructueuse.
Ceci étant, il serait utopique de priver le système éducatif de notation : sans  cette dernière, la gestion des flux et la certification basée sur la transparence et la méritocratie n’est pas possible. De même, l’on ne pourrait  omettre les exigences des parents à ce sujet. Cependant, ne serait-il pas possible de légiférer pédagogiquement en faveur de l’apprentissage orienté maîtrise? Ne serait-il pas rentable d’axer le curriculum du primaire- surtout les première années- sur la maîtrise afin de créer une ambiance positive d’acquisition dans un cadre collectif d’apprentissage aussi facilitateur que prometteur de progrès?
Vu sous le prisme de la qualité relationnelle instaurée en classe, l’apprentissage sera davantage ancré et plus spécifiquement chez les petits. Cette manière de voir s’imposera si l’on interroge aussi bien le pourquoi que le comment de l’apprentissage. Et bien évidement, les réponses en guise de choix  varieront et seront plus ou moins harmonieuses avec l’image de l’apprenant qui progresse dans un contexte de classe plus ou moins inhibiteur de son élan d’apprendre. Cette invitation à concevoir l’apprentissage différemment, notamment au niveau primaire, pourrait trouver son sens pratique dans les mesures prioritaires conçues par le ministère de tutelle, notamment au niveau de l’axe des apprentissages fondamentaux et précisément «les itinéraires nouveaux des apprentissages pour les quatre premières années du primaire». Sachons que cette mesure prioritaire émane du constat réaliste et unanime de la mauvaise intégration des apprentissages fondamentaux durant les premières années primaires.
 Pour rappel, le modèle éducatif finlandais fonctionne au niveau des premières années scolaires par l’approche de maîtrise en privilégiant les apprentissages collaboratifs, en reconnaissant le progrès de l’élève par rapport à lui-même et en optant pour une notation symbolique tout en la partageant uniquement avec les parents.  Cette manière de concevoir l’apprenant amène ce dernier à se voir en métacognition en vue d’une adaptation et d’un développement personnel continuels. Par là, le système éducatif finlandais  ambitionne d’épargner aux petits apprenants la frustration de la note chiffrée et agit pour stimuler l’apprentissage  dans de bonnes conditions dans l’espoir qu’il  aura l’impact souhaité.

 * Inspecteur en orientation de l’éducation


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