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Le privilège de l’écrivain est de nous entrainer là où il le veut et où nous ne serions pas allés sans eux. Et comme le lecteur disposant d’outils de recherche, il va d’aventure en aventure pour pouvoir solliciter les plis et replis du texte afin d’en dégager un sens et en déguster sa part du plaisir qu’il lui offre.
Nos écrivains sont là pour nous ouvrir, nous lecteurs, quelques pistes de lecture et même des outils, un avant-goût de ces jouissances amenant la satisfaction, voire la satiété, étant leurs complices.
Omar Berrada est né à Fès, au Maroc en 1952. Lauréat de Sciences Po, il vit et travaille en tant que chef d'entreprise à Casablanca.
Il est passionné de musique, de peinture et de sculpture et expose ses œuvres tant au Maroc qu’à l'étranger. Il publie «L’encensoir» son premier roman, qui aborde la réalité marocaine, ses lumières et ses ombres. Ce roman a été nominé aux seconds prix littéraires de La Mamounia. Ses romans ont été traduits en arabe et en espagnol. Il est membre fondateur du Parlement des écrivains de la Méditerranée, basé à Madrid. Il est également membre de l’IMRI (Institut marocain des Relations Internationales.
Libé : Quel a été votre premier texte, nouvelle ou roman, que vous avez publié, que vous avez soumis au lecteur ?
Omar Berrada : Ma première création littéraire est un roman qui s’appelle L’Encensoir, édité chez les éditions Soden en 1987, réédité par La Croisée des Chemins en 2011. Pour ce texte, j’ai dû m’arrêter de travailler pendant quelques mois pour « descendre » dans les tripots et les bidonvilles afin de côtoyer celles et ceux que je comptais dépeindre dans mon futur roman. L’Encensoir a été présenté à la première édition du Salon International du Livre à Casablanca. En ce temps-là, mon mentor était Jean-Pierre Millecam, écrivain de renom, né à Mostaganem, en Algérie, et réfugié au Maroc. Je lui avais soumis mon premier manuscrit, pour qu’il me dise ce qu’il en pensait.
Il faut que je dise un mot sur cet immense écrivain, qui se sentait plus maghrébin que français et qui avait enseigné à Rabat puis à Casablanca et avait formé des centaines d’enseignants et de futurs dirigeants au Maroc à cette époque. Il a sorti son premier roman Hector et le monstre chez Gallimard avec le soutien logistique et le coup de pouce d’Albert Camus en 1951. Juste après il publie l’étoile de Jean Cocteau aux éditions Rocher à Monaco en 1952.
Il avait accepté de lire mon manuscrit et de le corriger. Il m’avait prodigué ses conseils éclairés, et m’avait enseigné l’art de raconter des histoires et le parcours de l’auteur, à travers sa vie et ses pérégrinations. Sans me départir de ma complexion, je construisais sous l’œil attentif de mon maître, mes propres constructions et échafaudages pour bâtir ma propre narration.
Pour services rendus, j’ai dédié mon premier travail à Millecam qui, contrairement aux usages littéraires, avait accepté qu’il me le préface, avec l’entrée suivante : « On ne préface pas un livre dont on est en soit le dédicataire. C’est un usage proscrit, semble-t-il, dans le monde de ceux qui écrivent. Hélas ! Briser un tel usage n’est pas sans me tenter : il y a là de quoi satisfaire le timide iconoclaste qui sommeille en moi. »
Les romans de Millecam sont des compositions littéraires, leurs actions pour la plupart se déroulent en Algérie, surtout celle de la guerre pour l’indépendance. Il se positionne en tant que témoin de son temps, mais ce témoignage ne veut pas dire qu’il est simplement spectateur ou un journaliste chroniqueur de guerre. Son style d’écriture, son souffle profond dans les phrases qui peuvent contenir deux ou trois pages, l’esthétique de la narration trahissent la patte d’un maître incontesté de la littérature classique dans le sens historique du terme. Le pivot de ses romans est Lancelot, une référence au premier chevalier de la Table ronde, mais celui-ci est le prête-nom de Millecam qui ne prend jamais le premier plan, mais on le soupçonne à chaque tournure, tantôt conteur, tantôt scribe obéissant à la dictée de son Obscure présence qui le suit depuis qu’il a mis le pied sur terre. Ses personnages français d’Algérie face aux algériens gravitent dans l’obsession de la rédemption malgré la terreur et l’abjection de leurs paroles et souvent de leurs actes. La magie de la narration tragiquement distillée nous présente des actions criminelles de part et d’autre qui jettent les protagonistes dans une fraternité primaire dont seul l’appartenance au sol peut le justifier. Ce cheminement que je traduis en quelques lignes, parcourt plusieurs romans denses et à fleur de peau. Parmi les thèmes obsessionnels de Millecam figure la spiritualité et religion et à sa tête Dieu qui est omniprésent dans ses romans et déjà dans « Hector et le monstre », il annonçait la couleur de l’ambiguïté : « Car qu’est-ce que Dieu, sinon la Mort ? ».
Les textes de Millecam sont ardus, exigeants, longs, harassants, et font de lui un faiseur de romans qu’on lit rarement jusqu’au bout. Millecam est un grand écrivain. Il commet des phrases puissantes et assourdissantes, à la limite de la défloraison des tympans. Il se singularise par le fait qu’il s’adresse à des lecteurs de son acabit. Cela n’enlève en rien au fait qu’il restera un immense romancier, un chevalier des temps modernes, un homme éperdu de justice, un solitaire habité par l’amour de son prochain, d’une humilité orgueilleuse, à la limite de l’exaspération.
Jean-Pierre m’a enseigné la modestie et la pudeur dans l’abordage de tout travail de création. Ensuite, j’ai appris de lui la manière et la façon avec laquelle il fallait tracer son chemin sans savoir si le texte par exemple est conforme aux temps et aux exigences des lecteurs. Le sérieux et l’exactitude des mots, la recherche des liens entre eux, doivent former avec l’esprit qui dirige la plume, une phrase qui reflète fidèlement l’instant dans lequel se trouve l’écrivain, non pas seulement le lieu mais aussi la gana, la condition du confort et du mental créatif.
Pour finir cet hommage à ce grand homme, je voudrais citer avec émotion et sentiment de gratitude éternelle ce qu’avait écrit à mon propos Jean-Pierre en 2011 pour un journal ou revue dont je ne me rappelle plus le nom : « La plupart des écrivains qui abordent le sérieux de l’écriture romanesque avalent leur porte-plume comme d’autres avalent leur parapluie. Cela crée un style guindé, aux antipodes de cette faconde bien marocaine de parler de la pluie et du beau temps à la terrasse d’un café ou sur un trottoir. Ce qui me plut chez Berrada c’est le naturel avec lequel il s’exprime. Il écrit à peu près comme il parle. Et comme il n’a pas la moindre vulgarité dans sa conversation, le propos, comme lorsqu’il traque la matière vulgaire, ne l’est jamais. »
Quels sont alors les auteurs ayant influencé votre manière de regarder les faits, et de les écrire ?
A l’âge de 14ans j’ai fait une rencontre majeure, celle du roman Le Grand Meaulnes d’Alain-Fournier. Je l’ai littéralement dévoré c’était un de ces livres écarlates, à la tranche dorée, probablement un ouvrage qui avait marqué ma vie et avait façonné ma perception des choses.
Ce jour-là, plongé dans les pages de ce chef-d'œuvre de la littérature, je me suis senti transporté dans un autre monde, absorbé par les aventures de Meaulnes et ses quêtes poignantes. Chaque mot semblait résonner en moi, ouvrant des portes vers des horizons nouveaux, des émotions inexplorées. La deuxième rencontre décisive et qui m’avait vraiment marqué était celle de l’auteur Émile Zola et de l’ensemble de ses 20 romans des Rougon-Macquart. La plume incisive de cet auteur m'a entraîné dans les rues animées de Paris de la fin du 19ème siècle, dans les campagnes verdoyantes de France, et dans les coulisses sombres du pouvoir et de la société. Ses personnages complexes et ses intrigues captivantes ont nourri ma curiosité intellectuelle et ont élargi mes horizons littéraires.
A travers les pages de Germinal, j'ai ressenti la dureté de la vie des mineurs, leur lutte pour la survie dans des conditions extrêmes, mais aussi leur solidarité et leur résilience face à l'adversité. L'Assommoir m'a plongé dans le monde sombre et déchirant de l'alcoolisme et de la pauvreté, révélant les aspects les plus cruels de l’existence humaine.
L'œuvre de Zola m'a également confronté à des questions sociales et morales essentielles, me poussant à réfléchir sur les inégalités, la corruption et les luttes de pouvoir qui persistent dans notre monde. À travers ses descriptions saisissantes et ses personnages authentiques, Zola a su donner vie à des enjeux universels, offrant une critique acerbe de la société de son époque tout en soulevant des questions intemporelles sur la nature humaine et la quête de justice.
Zola étudie aussi les thèmes de l'aliénation sociale et de la lutte pour l'émancipation individuelle à travers les personnages de l'abbé Mouret et d'Albine. Leur quête de liberté personnelle et de spiritualité contraste avec les conventions rigides de la société et de l'Église.
Le style de Zola est remarquable pour sa description minutieuse et immersive de l'environnement naturel, ainsi que pour son étude sans compromis des aspects les plus sombres de la condition humaine. La faute de l'abbé Mouret offre une réflexion profonde sur la nature de la foi, de la culpabilité et de la rédemption, tout en offrant une peinture vivante de la vie rurale en Provence au 19ème siècle. Et qui met en contradiction la nature perçue comme belle et luxuriante et la religion qui représente la léthargie, la mort.
Enfin, j’ai toujours été animé par une soif insatiable de découvertes et de mystères. Mon esprit avide était constamment en quête de récits envoûtants et de sagas captivantes qui pourraient éveiller son imagination.
J’avais entendu parler d'un recueil de contes fascinant connu sous le nom des Mille et Une Nuits, auquel je n’avais pas accordé d’importance. Ces récits, racontait-on, étaient remplis d'aventures épiques, de mystères envoûtants et de leçons de sagesse intemporelles. Intrigué, je me suis mis enfin en quête de ce trésor littéraire.
Après de longues recherches, je le trouvai dans une vieille librairie cachée dans une ruelle étroite. Là, dans un coin sombre et poussiéreux, reposait un exemplaire jauni des Mille et Une Nuits. Le cœur battant d'excitation, je saisis le livre et l'ouvrit avec précaution.
Au fil des pages, je plongeai dans un monde envoûtant où les histoires s'entrelaçaient comme des fils de soie dans un tapis oriental. Je découvris les aventures de l’intrépide Aladdin, les énigmes du sage Sinbad le Marin, les ruses de la belle Shéhérazade et son prince Shahrayar et bien d'autres récits encore, chacun plus enchanteur que le précédent.
Chaque nuit, je me laissais emporter par les mots magiques qui peuplaient les pages du livre et je voyageais à travers des déserts brûlants, découvrant des cités fabuleuses et rencontrant des personnages aussi exotiques qu'attachants. Les contes des Mille et Une Nuits étaient devenues mon refuge, mon échappatoire vers un monde de merveilles et de fantaisie.
Mais ce n'était pas seulement l'aventure qui m’attirait dans ces histoires, c'était aussi la sagesse cachée entre les lignes. À travers les exploits des héros et les épreuves qu'ils affrontaient, je découvrais des leçons précieuses sur la vie, l'amour, la justice et la destinée. Chaque récit était une invitation à réfléchir sur le sens de l'existence et sur les valeurs qui guident nos actions.
Je passais des heures à déchiffrer les subtilités des récits, à analyser les motifs récurrents et à méditer sur les messages cachés. Mon esprit s'épanouissait dans ce jardin de mots fleuris, absorbant chaque goutte de savoir et de beauté que les contes m’offraient.
Mais alors que je m’immergeais de plus en plus profondément dans les mystères des Mille et Une Nuits, je commençais à remarquer quelque chose d'étrange. Les frontières entre la réalité et la fiction semblaient s'estomper, comme si les histoires que je lisais prenaient vie autour de moi. Des ombres énigmatiques se glissaient dans les ruelles sombres, des voix mystérieuses murmuraient à mes oreilles dans le silence de la nuit, et parfois, j’avais l'impression que les personnages des contes se tenaient juste à côté de moi, observant mes moindres faits et gestes.
Intrigué et un peu effrayé, je me mis en quête de réponses. Je consultai d'anciens parchemins, interrogeai des sages et des érudits, mais personne ne semblait pouvoir m’expliquer ce qui se passait. Certains prétendaient que les histoires des Mille et Une Nuits étaient plus que de simples récits, qu'elles renfermaient un pouvoir mystique capable de transcender les limites de la réalité elle-même. Comme j’étais déterminé à percer le mystère, j’avais décidé de me plonger encore plus profondément dans le récit. Je relus chaque histoire avec une attention redoublée, cherchant des indices, des signes qui pourraient me révéler la vérité. Et alors que j’étudiais les méandres de ces contes millénaires, je finis par faire une découverte stupéfiante.
Les Mille et Une Nuits n'étaient pas seulement un recueil de plusieurs histoires sous forme de perles formant ainsi un collier séculaire, mais un véritable grimoire de magie ancienne, écrit par des sages mystiques dans le but de transmettre leur savoir ésotérique aux générations futures. Chaque histoire, chaque personnage, chaque mot était imprégné de pouvoir, capable de façonner la réalité selon les désirs de celui qui les maîtrisait. Cette quête continua jusqu’au jour où mon frère aîné me freina dans mon élan de délire de vouloir étudier les arts mystiques et devenir un maître des mystères. Mais ce qu’il restait de mes lectures de ces contes arabo persans, c’est finalement d’avoir une mine d’histoires fabuleuses à raconter à ma famille, à mes innombrables amis et aux enfants du monde entier.
Pour écrire, faudrait-il se faire imposer un cérémonial quelconque, se soumettre à ses contraintes ? En est-il de même pour tous vos romans ?
L'écriture est un processus créatif très personnel, et chaque écrivain a ses propres méthodes et rituels pour stimuler sa créativité. Certains écrivains ont besoin de routine et de cérémonials pour écrire, comme travailler sous une lumière diffuse ou écouter une musique spécifique avant de commencer à écrire. D'autres préfèrent simplement s'asseoir et laisser les mots venir naturellement. J’ai rencontré des auteurs qui écrivent avec un stylo à plume et une encre noire, de marque Whaterman, dans le même café, à l’angle habituel … D’autres préfèrent être dans le brouhaha des cafés populaires comme Taha Hussein avec un fond de musique d'Oum Kaltoum.
Il n'y a pas de règle universelle quant à la nécessité d'un cérémonial pour écrire, cela dépend entièrement de chaque individu.
Pour ma part, l’important est de trouver ce qui fonctionne le mieux, c’est-à-dire, écrire lorsque j’en éprouve le besoin ou l’envie : se sentir inspiré et motivé par une musique, une situation donnée ou un lieu agréable, dans un entourage bienveillant. En plus, j’ai remarqué que les pics de créativité tant pour l’écriture que la sculpture, que je pratique à mes heures perdues, sont au maximum aussi bien dans les moments de joie que dans les moments de tristesse. Entre les deux, le cerveau s’ensommeille !
Ecrire, c’est le double plaisir de raconter une histoire et de se raconter, et c’est aussi le plaisir d’écrire, qui est inexplicable » dit Françoise SAGAN dans un entretien qu’elle avait accordé à « Le Magazine littéraire » en juin 1969.
Je partage complètement l’assertion de Françoise SAGAN : écrire permet en effet de raconter des histoires, de laisser libre cours à son imagination et de partager des émotions avec les lecteurs. Sur ce plan, il faut reconnaître que l’écriture est d’abord un acte solitaire et égoïste en même temps ; une fois le livre édité, il échappe à son auteur et devient le bien des lecteurs. Le simple acte d'écrire procure un plaisir indescriptible, une sensation de liberté et de créativité qui peut être très gratifiante, cependant il y a des auteurs qui souffrent en pleine création, comme un accouchement où la naissance se fait toujours dans la douleur.
L’écrivain construit un univers, des personnages et des évènements qui peuvent captiver et émouvoir le public. C’est un acte de communication et de transmission de pensées, d’émotions et d’idées.
Ecrire c'est également un moyen de se raconter soi-même, de mettre ses propres sentiments et expériences sur le papier. C’est l’aspect introspectif de l’écriture. L’auteur, en écrivant, fouille aussi ses propres pensées, souvenirs et imaginaires. C’est un dialogue intérieur, une forme de découverte de soi-même à travers le processus créatif.
Pour le plaisir d’écrire : Sagan parle ici de la joie pure et simple que procure l’acte d’écrire. C’est un plaisir qui ne se limite pas à la production d’un texte fini, mais qui réside aussi dans le processus même de la création littéraire.
L’inexplicable, ce terme évoque la dimension mystérieuse et personnelle du plaisir d’écrire. Chaque écrivain éprouve cette satisfaction de manière unique, et il est souvent difficile de la décrire ou de la comprendre pleinement.
C’est une sorte de passion intrinsèque qui échappe à une analyse rationnelle.
L’écriture peut être une forme d’introspection pour les auteurs afin de mieux se comprendre, car écrire c’est faire sortir ses tripes, un rejet hors de l’esprit de tous les parasites qui rongent l’intellect. Parallèlement, il y a des auteurs qui ressentent une joie indicible en écrivant même sans but précis de publication. De mon côté, écrire c’est comme une prière silencieuse, un moment où les sens entrent en communion avec la dimension spirituelle qui sommeille en chacun de nous. Chaque mot posé sur le papier est une offrande, un pont entre notre monde intérieur et l’univers qui nous entoure. C’est un acte sacré où l’esprit et le cœur s’unissent pour exprimer des vérités profondes cachées et des pensées transcendantes. Ecrire, c’est éveiller cette part de divin en nous, cette étincelle qui nous relie à quelque chose de plus grand.
En somme, écrire est un remède à tellement de maux, et c’est une activité qui mêle communication, introspection et plaisir personnel, qui conserve une part de mystère.
Pour Proust, la vie écrite est plus intense que la vie vécue. Qu’en pensez-vous ?
La vie quotidienne est marquée par la fuite du temps et l’impossibilité de saisir pleinement chaque instant. Les expériences vécues sont souvent fragmentaires et superficielles. La perception immédiate est souvent trompeuse, influencée par les préjugés et les distractions du moment.
Proust décrit souvent la vie réelle comme remplie de souffrances et d’ennui, sentiments qui altèrent notre capacité à apprécier l’intensité de chaque moment. A travers l’écriture Proust cherche à capturer et à revivre les moments passés avec une profondeur et une intensité accrue. Le concept de la mémoire involontaire qui permet de revivre des souvenirs avec une intensité émotionnelle souvent absente de l’expérience initiale.
L’écriture permet une analyse plus profonde et plus détaillée des expériences, révélant des significations et des émotions cachées. Proust à travers son œuvre, a immortalisé des aspects de sa propre vie et des vies de ses personnages.
Proust place l’art et la littérature au sommet de des expériences humaines, comme des moyens privilégiés d’accéder à la vérité et à l’intensité de la vie. Cette conception peut encourager les lecteurs à reconsidérer la valeur de leurs propres expériences et à les réévaluer à travers le prisme de l’écriture ou de la réflexion artistique.
Pour notre auteur, écrire est aussi une manière de se découvrir et de se comprendre, un processus qui dépasse les limites de la vie quotidienne.
Le critique et écrivain Milan Kundera dit que le roman est le lieu de l’ambiguïté, le lieu où les choses ne sont jamais tranchées de manière définitive, le lieu de l’absence d’une morale manichéenne. Est-ce que cela pourrait s’appliquer à vos romans ?
Oui, je pense que cette citation de Milan Kundera pourrait effectivement s'appliquer à mes romans. Dans mes écrits, j'aime explorer les nuances et les ambiguïtés des personnages et des situations, plutôt que de les présenter de manière tranchée et manichéenne. Je cherche à créer des histoires complexes où la moralité n'est pas toujours clairement définie et où les lecteurs sont invités à réfléchir et à interpréter les choses par eux-mêmes. Je crois que c'est cette ambiguïté qui rend mes romans plus riches et plus intéressants.
Dans le roman l’Encensoir par exemple, il est question d’une famille de bidonvillois qui vit sa vie avec tout ce que ce genre de quartier sous-entend : misère, insécurité et insalubrité. Pourtant, le récit ne fait que faire parler ces familles, amis et entourage dans leur quotidien sans misérabilisme ou critique sous-jacente. Quant au roman Richard cœur de loup, l’histoire se déroule, en partie, dans un pays, du Moyen Orient, lointain où va se dérouler un grand carnage suite à des guerres de religions situées au 12ème siècle. Le conflit en lui-même n’est pas du tout décrit. Il n’est pas question de morts ou des scènes de carnage dans ce récit ; seules l’attitude et les actions de ceux qui dirigent les meutes qui sont décortiquées et analysées. Les conséquences de ces actes sont laissées aux bons soins des lecteurs, qui peuvent en tirer leurs propres conclusions et suites. Dans le roman l’Affaire T, je mets en avant un narrateur qui présente le roman constitué de 15 nouvelles, indépendantes entre elles mais intimement liées à l’ensemble par un fil invisible, que le lecteur ne découvrira qu’à la quinzième tonalité.
Propos recueillis par Abdelkrim Mouhoub
Nos écrivains sont là pour nous ouvrir, nous lecteurs, quelques pistes de lecture et même des outils, un avant-goût de ces jouissances amenant la satisfaction, voire la satiété, étant leurs complices.
Omar Berrada est né à Fès, au Maroc en 1952. Lauréat de Sciences Po, il vit et travaille en tant que chef d'entreprise à Casablanca.
Il est passionné de musique, de peinture et de sculpture et expose ses œuvres tant au Maroc qu’à l'étranger. Il publie «L’encensoir» son premier roman, qui aborde la réalité marocaine, ses lumières et ses ombres. Ce roman a été nominé aux seconds prix littéraires de La Mamounia. Ses romans ont été traduits en arabe et en espagnol. Il est membre fondateur du Parlement des écrivains de la Méditerranée, basé à Madrid. Il est également membre de l’IMRI (Institut marocain des Relations Internationales.
Libé : Quel a été votre premier texte, nouvelle ou roman, que vous avez publié, que vous avez soumis au lecteur ?
Omar Berrada : Ma première création littéraire est un roman qui s’appelle L’Encensoir, édité chez les éditions Soden en 1987, réédité par La Croisée des Chemins en 2011. Pour ce texte, j’ai dû m’arrêter de travailler pendant quelques mois pour « descendre » dans les tripots et les bidonvilles afin de côtoyer celles et ceux que je comptais dépeindre dans mon futur roman. L’Encensoir a été présenté à la première édition du Salon International du Livre à Casablanca. En ce temps-là, mon mentor était Jean-Pierre Millecam, écrivain de renom, né à Mostaganem, en Algérie, et réfugié au Maroc. Je lui avais soumis mon premier manuscrit, pour qu’il me dise ce qu’il en pensait.
Il faut que je dise un mot sur cet immense écrivain, qui se sentait plus maghrébin que français et qui avait enseigné à Rabat puis à Casablanca et avait formé des centaines d’enseignants et de futurs dirigeants au Maroc à cette époque. Il a sorti son premier roman Hector et le monstre chez Gallimard avec le soutien logistique et le coup de pouce d’Albert Camus en 1951. Juste après il publie l’étoile de Jean Cocteau aux éditions Rocher à Monaco en 1952.
Il avait accepté de lire mon manuscrit et de le corriger. Il m’avait prodigué ses conseils éclairés, et m’avait enseigné l’art de raconter des histoires et le parcours de l’auteur, à travers sa vie et ses pérégrinations. Sans me départir de ma complexion, je construisais sous l’œil attentif de mon maître, mes propres constructions et échafaudages pour bâtir ma propre narration.
Pour services rendus, j’ai dédié mon premier travail à Millecam qui, contrairement aux usages littéraires, avait accepté qu’il me le préface, avec l’entrée suivante : « On ne préface pas un livre dont on est en soit le dédicataire. C’est un usage proscrit, semble-t-il, dans le monde de ceux qui écrivent. Hélas ! Briser un tel usage n’est pas sans me tenter : il y a là de quoi satisfaire le timide iconoclaste qui sommeille en moi. »
Les romans de Millecam sont des compositions littéraires, leurs actions pour la plupart se déroulent en Algérie, surtout celle de la guerre pour l’indépendance. Il se positionne en tant que témoin de son temps, mais ce témoignage ne veut pas dire qu’il est simplement spectateur ou un journaliste chroniqueur de guerre. Son style d’écriture, son souffle profond dans les phrases qui peuvent contenir deux ou trois pages, l’esthétique de la narration trahissent la patte d’un maître incontesté de la littérature classique dans le sens historique du terme. Le pivot de ses romans est Lancelot, une référence au premier chevalier de la Table ronde, mais celui-ci est le prête-nom de Millecam qui ne prend jamais le premier plan, mais on le soupçonne à chaque tournure, tantôt conteur, tantôt scribe obéissant à la dictée de son Obscure présence qui le suit depuis qu’il a mis le pied sur terre. Ses personnages français d’Algérie face aux algériens gravitent dans l’obsession de la rédemption malgré la terreur et l’abjection de leurs paroles et souvent de leurs actes. La magie de la narration tragiquement distillée nous présente des actions criminelles de part et d’autre qui jettent les protagonistes dans une fraternité primaire dont seul l’appartenance au sol peut le justifier. Ce cheminement que je traduis en quelques lignes, parcourt plusieurs romans denses et à fleur de peau. Parmi les thèmes obsessionnels de Millecam figure la spiritualité et religion et à sa tête Dieu qui est omniprésent dans ses romans et déjà dans « Hector et le monstre », il annonçait la couleur de l’ambiguïté : « Car qu’est-ce que Dieu, sinon la Mort ? ».
Les textes de Millecam sont ardus, exigeants, longs, harassants, et font de lui un faiseur de romans qu’on lit rarement jusqu’au bout. Millecam est un grand écrivain. Il commet des phrases puissantes et assourdissantes, à la limite de la défloraison des tympans. Il se singularise par le fait qu’il s’adresse à des lecteurs de son acabit. Cela n’enlève en rien au fait qu’il restera un immense romancier, un chevalier des temps modernes, un homme éperdu de justice, un solitaire habité par l’amour de son prochain, d’une humilité orgueilleuse, à la limite de l’exaspération.
Jean-Pierre m’a enseigné la modestie et la pudeur dans l’abordage de tout travail de création. Ensuite, j’ai appris de lui la manière et la façon avec laquelle il fallait tracer son chemin sans savoir si le texte par exemple est conforme aux temps et aux exigences des lecteurs. Le sérieux et l’exactitude des mots, la recherche des liens entre eux, doivent former avec l’esprit qui dirige la plume, une phrase qui reflète fidèlement l’instant dans lequel se trouve l’écrivain, non pas seulement le lieu mais aussi la gana, la condition du confort et du mental créatif.
Pour finir cet hommage à ce grand homme, je voudrais citer avec émotion et sentiment de gratitude éternelle ce qu’avait écrit à mon propos Jean-Pierre en 2011 pour un journal ou revue dont je ne me rappelle plus le nom : « La plupart des écrivains qui abordent le sérieux de l’écriture romanesque avalent leur porte-plume comme d’autres avalent leur parapluie. Cela crée un style guindé, aux antipodes de cette faconde bien marocaine de parler de la pluie et du beau temps à la terrasse d’un café ou sur un trottoir. Ce qui me plut chez Berrada c’est le naturel avec lequel il s’exprime. Il écrit à peu près comme il parle. Et comme il n’a pas la moindre vulgarité dans sa conversation, le propos, comme lorsqu’il traque la matière vulgaire, ne l’est jamais. »
Quels sont alors les auteurs ayant influencé votre manière de regarder les faits, et de les écrire ?
A l’âge de 14ans j’ai fait une rencontre majeure, celle du roman Le Grand Meaulnes d’Alain-Fournier. Je l’ai littéralement dévoré c’était un de ces livres écarlates, à la tranche dorée, probablement un ouvrage qui avait marqué ma vie et avait façonné ma perception des choses.
Ce jour-là, plongé dans les pages de ce chef-d'œuvre de la littérature, je me suis senti transporté dans un autre monde, absorbé par les aventures de Meaulnes et ses quêtes poignantes. Chaque mot semblait résonner en moi, ouvrant des portes vers des horizons nouveaux, des émotions inexplorées. La deuxième rencontre décisive et qui m’avait vraiment marqué était celle de l’auteur Émile Zola et de l’ensemble de ses 20 romans des Rougon-Macquart. La plume incisive de cet auteur m'a entraîné dans les rues animées de Paris de la fin du 19ème siècle, dans les campagnes verdoyantes de France, et dans les coulisses sombres du pouvoir et de la société. Ses personnages complexes et ses intrigues captivantes ont nourri ma curiosité intellectuelle et ont élargi mes horizons littéraires.
A travers les pages de Germinal, j'ai ressenti la dureté de la vie des mineurs, leur lutte pour la survie dans des conditions extrêmes, mais aussi leur solidarité et leur résilience face à l'adversité. L'Assommoir m'a plongé dans le monde sombre et déchirant de l'alcoolisme et de la pauvreté, révélant les aspects les plus cruels de l’existence humaine.
L'œuvre de Zola m'a également confronté à des questions sociales et morales essentielles, me poussant à réfléchir sur les inégalités, la corruption et les luttes de pouvoir qui persistent dans notre monde. À travers ses descriptions saisissantes et ses personnages authentiques, Zola a su donner vie à des enjeux universels, offrant une critique acerbe de la société de son époque tout en soulevant des questions intemporelles sur la nature humaine et la quête de justice.
Zola étudie aussi les thèmes de l'aliénation sociale et de la lutte pour l'émancipation individuelle à travers les personnages de l'abbé Mouret et d'Albine. Leur quête de liberté personnelle et de spiritualité contraste avec les conventions rigides de la société et de l'Église.
Le style de Zola est remarquable pour sa description minutieuse et immersive de l'environnement naturel, ainsi que pour son étude sans compromis des aspects les plus sombres de la condition humaine. La faute de l'abbé Mouret offre une réflexion profonde sur la nature de la foi, de la culpabilité et de la rédemption, tout en offrant une peinture vivante de la vie rurale en Provence au 19ème siècle. Et qui met en contradiction la nature perçue comme belle et luxuriante et la religion qui représente la léthargie, la mort.
Enfin, j’ai toujours été animé par une soif insatiable de découvertes et de mystères. Mon esprit avide était constamment en quête de récits envoûtants et de sagas captivantes qui pourraient éveiller son imagination.
J’avais entendu parler d'un recueil de contes fascinant connu sous le nom des Mille et Une Nuits, auquel je n’avais pas accordé d’importance. Ces récits, racontait-on, étaient remplis d'aventures épiques, de mystères envoûtants et de leçons de sagesse intemporelles. Intrigué, je me suis mis enfin en quête de ce trésor littéraire.
Après de longues recherches, je le trouvai dans une vieille librairie cachée dans une ruelle étroite. Là, dans un coin sombre et poussiéreux, reposait un exemplaire jauni des Mille et Une Nuits. Le cœur battant d'excitation, je saisis le livre et l'ouvrit avec précaution.
Au fil des pages, je plongeai dans un monde envoûtant où les histoires s'entrelaçaient comme des fils de soie dans un tapis oriental. Je découvris les aventures de l’intrépide Aladdin, les énigmes du sage Sinbad le Marin, les ruses de la belle Shéhérazade et son prince Shahrayar et bien d'autres récits encore, chacun plus enchanteur que le précédent.
Chaque nuit, je me laissais emporter par les mots magiques qui peuplaient les pages du livre et je voyageais à travers des déserts brûlants, découvrant des cités fabuleuses et rencontrant des personnages aussi exotiques qu'attachants. Les contes des Mille et Une Nuits étaient devenues mon refuge, mon échappatoire vers un monde de merveilles et de fantaisie.
Mais ce n'était pas seulement l'aventure qui m’attirait dans ces histoires, c'était aussi la sagesse cachée entre les lignes. À travers les exploits des héros et les épreuves qu'ils affrontaient, je découvrais des leçons précieuses sur la vie, l'amour, la justice et la destinée. Chaque récit était une invitation à réfléchir sur le sens de l'existence et sur les valeurs qui guident nos actions.
Je passais des heures à déchiffrer les subtilités des récits, à analyser les motifs récurrents et à méditer sur les messages cachés. Mon esprit s'épanouissait dans ce jardin de mots fleuris, absorbant chaque goutte de savoir et de beauté que les contes m’offraient.
Mais alors que je m’immergeais de plus en plus profondément dans les mystères des Mille et Une Nuits, je commençais à remarquer quelque chose d'étrange. Les frontières entre la réalité et la fiction semblaient s'estomper, comme si les histoires que je lisais prenaient vie autour de moi. Des ombres énigmatiques se glissaient dans les ruelles sombres, des voix mystérieuses murmuraient à mes oreilles dans le silence de la nuit, et parfois, j’avais l'impression que les personnages des contes se tenaient juste à côté de moi, observant mes moindres faits et gestes.
Intrigué et un peu effrayé, je me mis en quête de réponses. Je consultai d'anciens parchemins, interrogeai des sages et des érudits, mais personne ne semblait pouvoir m’expliquer ce qui se passait. Certains prétendaient que les histoires des Mille et Une Nuits étaient plus que de simples récits, qu'elles renfermaient un pouvoir mystique capable de transcender les limites de la réalité elle-même. Comme j’étais déterminé à percer le mystère, j’avais décidé de me plonger encore plus profondément dans le récit. Je relus chaque histoire avec une attention redoublée, cherchant des indices, des signes qui pourraient me révéler la vérité. Et alors que j’étudiais les méandres de ces contes millénaires, je finis par faire une découverte stupéfiante.
Les Mille et Une Nuits n'étaient pas seulement un recueil de plusieurs histoires sous forme de perles formant ainsi un collier séculaire, mais un véritable grimoire de magie ancienne, écrit par des sages mystiques dans le but de transmettre leur savoir ésotérique aux générations futures. Chaque histoire, chaque personnage, chaque mot était imprégné de pouvoir, capable de façonner la réalité selon les désirs de celui qui les maîtrisait. Cette quête continua jusqu’au jour où mon frère aîné me freina dans mon élan de délire de vouloir étudier les arts mystiques et devenir un maître des mystères. Mais ce qu’il restait de mes lectures de ces contes arabo persans, c’est finalement d’avoir une mine d’histoires fabuleuses à raconter à ma famille, à mes innombrables amis et aux enfants du monde entier.
Pour écrire, faudrait-il se faire imposer un cérémonial quelconque, se soumettre à ses contraintes ? En est-il de même pour tous vos romans ?
L'écriture est un processus créatif très personnel, et chaque écrivain a ses propres méthodes et rituels pour stimuler sa créativité. Certains écrivains ont besoin de routine et de cérémonials pour écrire, comme travailler sous une lumière diffuse ou écouter une musique spécifique avant de commencer à écrire. D'autres préfèrent simplement s'asseoir et laisser les mots venir naturellement. J’ai rencontré des auteurs qui écrivent avec un stylo à plume et une encre noire, de marque Whaterman, dans le même café, à l’angle habituel … D’autres préfèrent être dans le brouhaha des cafés populaires comme Taha Hussein avec un fond de musique d'Oum Kaltoum.
Il n'y a pas de règle universelle quant à la nécessité d'un cérémonial pour écrire, cela dépend entièrement de chaque individu.
Pour ma part, l’important est de trouver ce qui fonctionne le mieux, c’est-à-dire, écrire lorsque j’en éprouve le besoin ou l’envie : se sentir inspiré et motivé par une musique, une situation donnée ou un lieu agréable, dans un entourage bienveillant. En plus, j’ai remarqué que les pics de créativité tant pour l’écriture que la sculpture, que je pratique à mes heures perdues, sont au maximum aussi bien dans les moments de joie que dans les moments de tristesse. Entre les deux, le cerveau s’ensommeille !
Ecrire, c’est le double plaisir de raconter une histoire et de se raconter, et c’est aussi le plaisir d’écrire, qui est inexplicable » dit Françoise SAGAN dans un entretien qu’elle avait accordé à « Le Magazine littéraire » en juin 1969.
Je partage complètement l’assertion de Françoise SAGAN : écrire permet en effet de raconter des histoires, de laisser libre cours à son imagination et de partager des émotions avec les lecteurs. Sur ce plan, il faut reconnaître que l’écriture est d’abord un acte solitaire et égoïste en même temps ; une fois le livre édité, il échappe à son auteur et devient le bien des lecteurs. Le simple acte d'écrire procure un plaisir indescriptible, une sensation de liberté et de créativité qui peut être très gratifiante, cependant il y a des auteurs qui souffrent en pleine création, comme un accouchement où la naissance se fait toujours dans la douleur.
L’écrivain construit un univers, des personnages et des évènements qui peuvent captiver et émouvoir le public. C’est un acte de communication et de transmission de pensées, d’émotions et d’idées.
Ecrire c'est également un moyen de se raconter soi-même, de mettre ses propres sentiments et expériences sur le papier. C’est l’aspect introspectif de l’écriture. L’auteur, en écrivant, fouille aussi ses propres pensées, souvenirs et imaginaires. C’est un dialogue intérieur, une forme de découverte de soi-même à travers le processus créatif.
Pour le plaisir d’écrire : Sagan parle ici de la joie pure et simple que procure l’acte d’écrire. C’est un plaisir qui ne se limite pas à la production d’un texte fini, mais qui réside aussi dans le processus même de la création littéraire.
L’inexplicable, ce terme évoque la dimension mystérieuse et personnelle du plaisir d’écrire. Chaque écrivain éprouve cette satisfaction de manière unique, et il est souvent difficile de la décrire ou de la comprendre pleinement.
C’est une sorte de passion intrinsèque qui échappe à une analyse rationnelle.
L’écriture peut être une forme d’introspection pour les auteurs afin de mieux se comprendre, car écrire c’est faire sortir ses tripes, un rejet hors de l’esprit de tous les parasites qui rongent l’intellect. Parallèlement, il y a des auteurs qui ressentent une joie indicible en écrivant même sans but précis de publication. De mon côté, écrire c’est comme une prière silencieuse, un moment où les sens entrent en communion avec la dimension spirituelle qui sommeille en chacun de nous. Chaque mot posé sur le papier est une offrande, un pont entre notre monde intérieur et l’univers qui nous entoure. C’est un acte sacré où l’esprit et le cœur s’unissent pour exprimer des vérités profondes cachées et des pensées transcendantes. Ecrire, c’est éveiller cette part de divin en nous, cette étincelle qui nous relie à quelque chose de plus grand.
En somme, écrire est un remède à tellement de maux, et c’est une activité qui mêle communication, introspection et plaisir personnel, qui conserve une part de mystère.
Pour Proust, la vie écrite est plus intense que la vie vécue. Qu’en pensez-vous ?
La vie quotidienne est marquée par la fuite du temps et l’impossibilité de saisir pleinement chaque instant. Les expériences vécues sont souvent fragmentaires et superficielles. La perception immédiate est souvent trompeuse, influencée par les préjugés et les distractions du moment.
Proust décrit souvent la vie réelle comme remplie de souffrances et d’ennui, sentiments qui altèrent notre capacité à apprécier l’intensité de chaque moment. A travers l’écriture Proust cherche à capturer et à revivre les moments passés avec une profondeur et une intensité accrue. Le concept de la mémoire involontaire qui permet de revivre des souvenirs avec une intensité émotionnelle souvent absente de l’expérience initiale.
L’écriture permet une analyse plus profonde et plus détaillée des expériences, révélant des significations et des émotions cachées. Proust à travers son œuvre, a immortalisé des aspects de sa propre vie et des vies de ses personnages.
Proust place l’art et la littérature au sommet de des expériences humaines, comme des moyens privilégiés d’accéder à la vérité et à l’intensité de la vie. Cette conception peut encourager les lecteurs à reconsidérer la valeur de leurs propres expériences et à les réévaluer à travers le prisme de l’écriture ou de la réflexion artistique.
Pour notre auteur, écrire est aussi une manière de se découvrir et de se comprendre, un processus qui dépasse les limites de la vie quotidienne.
Le critique et écrivain Milan Kundera dit que le roman est le lieu de l’ambiguïté, le lieu où les choses ne sont jamais tranchées de manière définitive, le lieu de l’absence d’une morale manichéenne. Est-ce que cela pourrait s’appliquer à vos romans ?
Oui, je pense que cette citation de Milan Kundera pourrait effectivement s'appliquer à mes romans. Dans mes écrits, j'aime explorer les nuances et les ambiguïtés des personnages et des situations, plutôt que de les présenter de manière tranchée et manichéenne. Je cherche à créer des histoires complexes où la moralité n'est pas toujours clairement définie et où les lecteurs sont invités à réfléchir et à interpréter les choses par eux-mêmes. Je crois que c'est cette ambiguïté qui rend mes romans plus riches et plus intéressants.
Dans le roman l’Encensoir par exemple, il est question d’une famille de bidonvillois qui vit sa vie avec tout ce que ce genre de quartier sous-entend : misère, insécurité et insalubrité. Pourtant, le récit ne fait que faire parler ces familles, amis et entourage dans leur quotidien sans misérabilisme ou critique sous-jacente. Quant au roman Richard cœur de loup, l’histoire se déroule, en partie, dans un pays, du Moyen Orient, lointain où va se dérouler un grand carnage suite à des guerres de religions situées au 12ème siècle. Le conflit en lui-même n’est pas du tout décrit. Il n’est pas question de morts ou des scènes de carnage dans ce récit ; seules l’attitude et les actions de ceux qui dirigent les meutes qui sont décortiquées et analysées. Les conséquences de ces actes sont laissées aux bons soins des lecteurs, qui peuvent en tirer leurs propres conclusions et suites. Dans le roman l’Affaire T, je mets en avant un narrateur qui présente le roman constitué de 15 nouvelles, indépendantes entre elles mais intimement liées à l’ensemble par un fil invisible, que le lecteur ne découvrira qu’à la quinzième tonalité.
Propos recueillis par Abdelkrim Mouhoub
Bibliographie romans:
- L’encensoir. Éditions Soden 1987. Réédité chez La Croisée des Chemins en 2011. Traduit à l’espagnol 2011
- Tête de serpent. Éditions Marsam 2013. Traduit à l’espagnol 2013
- Vol de goélands. Éditions Marsam 2015. Traduit à l’espagnol 2016 et à l’Arabe en 2018
- Richard cœur de loup. Éditions Orion 2022. 2ème édition en 2023
- L’affaire T. Éditions L’Harmattan 2024
Ouvrages collectifs :
• Emois de Ramadan. Éditions Marsam 2016
• Voix d’auteurs du Maroc. Éditions Marsam 2016
• Voix d’auteurs du Maroc 2. Éditions Marsam 2018
• Maroc de quoi avons-nous peur ? Éditions Orion 2020
• Liberté. Éditions Orion 2022
• La crise des valeurs. Éditions Orion 202
- L’encensoir. Éditions Soden 1987. Réédité chez La Croisée des Chemins en 2011. Traduit à l’espagnol 2011
- Tête de serpent. Éditions Marsam 2013. Traduit à l’espagnol 2013
- Vol de goélands. Éditions Marsam 2015. Traduit à l’espagnol 2016 et à l’Arabe en 2018
- Richard cœur de loup. Éditions Orion 2022. 2ème édition en 2023
- L’affaire T. Éditions L’Harmattan 2024
Ouvrages collectifs :
• Emois de Ramadan. Éditions Marsam 2016
• Voix d’auteurs du Maroc. Éditions Marsam 2016
• Voix d’auteurs du Maroc 2. Éditions Marsam 2018
• Maroc de quoi avons-nous peur ? Éditions Orion 2020
• Liberté. Éditions Orion 2022
• La crise des valeurs. Éditions Orion 202