La migration féminine dans la région de Khouribga : Etat des lieux


Libé
Mardi 25 Février 2025

La migration féminine dans la région de Khouribga : Etat des lieux
L’émigration des femmes de la région de Khouribga vers l’étranger a commencé tardivement, lorsque l’émigration marocaine est passée d’une migration temporaire à une migration permanente. Initialement les femmes accompagnaient leurs maris. Cette migration s’est féminisée grâce au regroupement familial, suite au durcissement des politiques migratoires après le premier choc pétrolier de 1973.

Ces nouvelles politiques ont poussé les Marocains à s’orienter vers le Sud de l’Europe, d’abord vers l’Italie, puis vers l’Espagne, où les politiques migratoires étaient encore souples. A partir des années 1990, les femmes marocaines commencent à émigrer seules, sans être accompagnées par le conjoint ou un parent. Ces dernières années, nous avons assisté à la migration de retour des femmes. Cependant, la plupart des migrantes de retour ne s’installent pas définitivement au Maroc, mais continuent à se rendre constamment au pays de destination. Elles effectuent des allers et retours entre le pays de départ et le pays de destination, leur migration entre dans la catégorie de la migration circulaire. 

Jusqu’à présent, la migration de retour a été peu étudiée par les chercheurs, bien que son impact démographique et économique puisse être important dans des pays tels que le Maroc. Ceci est certainement dû à l’insuffisance de données. Ainsi, malgré son importance, la migration internationale demeure un phénomène assez peu étudié statistiquement au Maroc. Selon le recensement de 1994, les femmes constituent 40,82% de la migration de retour dont 58% sont mariées, 34,6% célibataires, 5,2% divorcées et 2,2% veuves.

Notre article a pour objet d’étudier la migration féminine marocaine issue de la province de Khouribga, en particulier des villes de Khouribga et d’Oued-Zem, et d’identifier et analyser les trajectoires, les expériences, les stratégies migratoires ainsi que l’impact socioéconomique sur cette province. Signalons que le retour des migrantes est difficile à repérer dans un échantillon de ménages en raison de leur faible nombre.

Le choix de cette zone est justifié par l’intégration des villes de Khouribga et d’Oued-Zem dans le phénomène migratoire, particulièrement vers le Sud de l’Europe, en Italie et en Espagne. Ces deux villes ont des traits en commun en matière de migration et constituent des points de départ importants pour de nombreuses migrantes qui cherchent à atteindre ces destinations européennes, attirées par les opportunités économiques et les réseaux communautaires établis en Europe. Ces deux villes constituent un espace clé pour comprendre les motivations et les trajectoires des migrantes. L’étude de cette zone nous a permis d’avoir un aperçu détaillé du processus migratoire et des défis associés à cette mobilité vers l’Europe.

L’importance historique des villes de Khouribga et d’Oued-Zem est manifestée dans leur rôle de bassins migratoires modernes, intégrés dans les flux migratoires internationaux marocains depuis les années 1970. Ce processus s’est intensifié au début des années 1990 et durant les années 2000, en particulier en Italie et en Espagne, destinations qui ont attiré un grand nombre de migrants originaires de ces villes dès les années 1980. De plus, au cours de la dernière décennie, le retour des femmes migrantes à leur pays d’origine a également marqué cette dynamique migratoire.

Les revenus générés par la migration internationale, notamment par le biais des transferts de fonds et en nature des femmes migrantes, jouent un rôle crucial pour le développement des villes de Khouribga et d’Oued-Zem. Ces transferts constituent une source de développement importante, ayant des répercussions socioéconomiques significatives sur les familles des femmes migrantes.

Comment les femmes migrantes de retour peuvent-elles alors contribuer au développement des villes de Khouribga et d’Oued-Zem, et quels sont leurs impacts socioéconomiques sur ces deux villes ?

L’impact de la migration féminine dans la région de Khouribga

Notre enquête révèle que les destinations préférées des migrantes des villes de Khouribga et d’Oued-Zem sont l’Italie avec 62,5% et l’Espagne avec 37,5%. Les villes italiennes de Turin, Cuneo et Rome, ainsi que les villes espagnoles de Valence, Alicante et Madrid, ont attiré ces femmes à partir des années 1990. Elles préfèrent ces deux destinations en raison de leur proximité géographique et des liens étroits entre ces pays en termes de commerce, de culture et de politique, ainsi que pour des raisons familiales pour rejoindre le mari ou un membre de la famille ayant déjà migré en Italie et en Espagne.

Ces femmes adoptent diverses stratégies telles que : La stratégie de départ ; notre étude de terrain révèle que pour la majorité des femmes, la décision du départ est prise au niveau de la famille .La stratégie d’épargne, ces femmes thésaurisent de l’argent en prévision des aléas de la vie. Elles investissent l’argent épargné dans différents secteurs. La stratégie de retour, les femmes de retour à Khouribga et à Oued-Zem aspirent à un meilleur statut social à travers la réalisation de projets personnels. Elles investissent dans le secteur immobilier (stratégie financière) pour se prémunir contre les aléas de la vie et dans le secteur tertiaire pour faciliter leur réintégration sociale et économique.

Les transferts de fonds

Les envois de fonds représentent une source de revenu cruciale pour leurs familles et améliorent leur niveau de vie. La majorité des migrantes interrogées, soit 62,50% et 70% à Khouribga et à Oued-Zem respectivement transfèrent entre 1.000 et 2.000 DH par mois et 37,50% et 30% envoient entre 2.000 et 3.000 DH. Celles qui envoient occasionnellement peuvent parfois transférer des montants  dépassant 10.000 DH.

Les migrantes interrogées envoient de l’argent à Khouribga et à Oued-Zem régulièrement ou de temps en temps à la demande de leur famille restée au pays (pour l’achat de meubles, d’équipements pour la cuisine, pour des soins médicaux, pour l’organisation d’un mariage ou d’un baptême, pour un pèlerinage, etc.) Le montant de ces flux est beaucoup plus important dans certaines périodes notamment lors du mois de Ramadan et de fêtes religieuses (Aïd al Adha et Aïd al Fitr).

Notre enquête a aussi révélé que plusieurs canaux de transfert sont utilisés par les migrantes pour l’envoi de fonds au Maroc. La banque et la poste étaient les modes de transfert les plus utilisés jusqu’aux années 1990.  La poste qui permettait même aux personnes sans papiers de transférer de l’argent, est aujourd’hui moins utilisée par les MRE.

Dans notre zone d’étude, ce mode de transfert est utilisé par 20% des migrantes à Khouribga et 25% à Oued-Zem. La banque est aussi utilisée comme mode de transfert par 22,50% à Khouribga et à Oued-Zem. Au début des années 2000, avec la mondialisation, l’émergence de l’euro et le développement des réseaux de change et de transfert, de nouveaux canaux de transfert sont apparus. Ces modes sont utilisés par 57,50% à Khouribga et 52,50% à Oued-Zem en raison de leur simplicité et de leur rapidité : l’argent envoyé par ces canaux est réceptionné en moins de cinq minutes.

Les investissements des migrantes

Toutes les migrantes de retour interrogées ont réalisé des investissements dans la province de Khouribga, et c’est l’immobilier qui l’emporte et vient en première position avec 74% à Oued-Zem et 61% à Khouribga des placements. En effet, l’achat ou la construction d’un logement, dans le pays d’origine, et particulièrement dans la région d’origine, constitue un facteur de réussite sociale pour ces femmes. Le tertiaire vient en deuxième position et intéresse 39% à Khouribga et 26% à Oued-Zem des migrantes de notre échantillon. Un deuxième investissement dans l’immobilier se fait à l’extérieur de Khouribga et particulièrement dans les villes côtières, à savoir Mohammedia, El Jadida, Bouznika, etc.

A Khouribga, les investissements des migrantes de retour dans le secteur tertiaire se concentrent au centre-ville. Quant à l’investissement dans l’immobilier, il est réparti dans divers quartiers de la ville. La majorité des migrantes ont construit ou acheté dans les nouveaux quartiers ou dans les extensions de la ville en raison de la disponibilité des terrains et de prix moins élevés par rapport au reste de la ville.

A Oued-Zem, la répartition des projets des migrantes de retour selon les secteurs  montre que la majorité de ces femmes investissent dans l’immobilier. En effet, ces femmes pensent qu’il y a moins de risques en plaçant l’argent dans l’immobilier que dans le commerce.

De plus, investir dans l’immobilier revêt une valeur sociale importante, permettant de démontrer le succès de leurs projets migratoires à leurs familles, voisins et leur communauté. Ce n’est qu’après la réalisation de projets immobiliers que les migrantes pensent à investir dans des projets rentables tels que des boulangeries, magasins de vêtements, fromageries, cafés, salons de coiffure et d’esthétique.

Dans la province de Khouribga, les femmes migrantes de retour enquêtées nous affirment qu’elles ont rencontré des problèmes dans le domaine de l’investissement. Selon les résultats de  notre enquête, un certain nombre de difficultés et d’obstacles limitent l’intérêt des femmes interrogées à entreprendre des projets de développement : Premièrement, la complexité des procédures administratives représente un obstacle majeur, avec 46%, et 24%, suivies par le manque de financement des institutions. En troisième position, il y a les difficultés d’accès à l’information.

La création de multiples projets de développement  a généré des opportunités d’emploi pour de nombreux jeunes notamment dans le secteur des services, en particulier à Khouribga. Cela est dû au fait qu'elle est la capitale de la province d'une part, et son important dynamisme économique par rapport à Oued-Zem. La taille fait de l'investissement dans le secteur des services une motivation première. Cela se reflète dans les projets et leurs rendements financiers qui ont favorisé le développement de la région.

En guise de conclusion, on peut dire  que la migration internationale des femmes continue de contribuer au développement local à Khouribga et à Oued-Zem grâce aux transferts financiers et en nature, ainsi qu’aux rôles sociétaux qu'elles jouent à l'ère du capitalisme mondial.

Ces femmes jouent un rôle économique important en  subvenant aux besoins de leurs familles. Au niveau culturel, les femmes migrantes rapportent à leur retour un mode de vie occidental et des compétences en langues étrangères. Sur le plan social, elles acquièrent un statut qui leur confère une place importante dans la société du pays d’origine.

Le retour des femmes migrantes dans leur pays d’origine constitue une phase parmi d’autres dans leur projet migratoire. Cependant, ce retour n’est souvent pas définitif ; ces femmes continuent de faire des allers - retours entre le pays de départ et le pays d’arrivée…

Par Atika Zioui
Docteur en géographie


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