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La Lune prend un petit coup de vieux
Il s’agit d’une salle de 80 m2. Une ancien restaurant de gastronomie marocaine. Un projet qui n’a pas abouti. Sur les murs, on trouve des morceaux de Zellige et de bois marocain, et les restes d’une décoration usée par le temps. A l’entrée se dressent deux longues tables entourant d’une douzaine de chaises et une troisième au fond, appelle « la table V.I.P ». Au dessus, on a met des verres vides, des bouteilles d’eau, des assietes en plastique.
Moins d’un heure avant le ftour, il afflue sur le lieu de toute part des jeunes, des adultes, des vieillards, parfois des enfants accompagnés de leurs parents, des étudiants, des cadres, des ouvriers, des marginaux, des clandestins, des non musulmans. Des Marocains, des Algériens, des Tunisiens, des Sénégalais… et même des Françaises catholiques.
Souvent les vieillards arrivent en premier et sont les derniers qui partent. Ils aiment être ensemble. Ils sont souvent des voisins dans le foyer. Leurs places préférées, c’est près de la cuisine, pour être les premiers servis. Leurs appétit n’a pas de limite. Les étudiants aussi aiment être entre eux. Ils choisissent souvent la table du fond. Ils parlent de leurs études, des problèmes de logement, de titre de séjour, du leurs pays d’origine, de leurs rêves et projets. Bref de tout et de rien. Les sans papiers se regroupent eux aussi dans leurs coin, à l’entrée du restaurant. Ils échangent des informations sur la nouvelle loi d’immigration, le travail en noir, le mariage blanc, sur les repas de SAMU, la régularisation des sans papiers en Espagne. Chacun préfère s’entourer de ses semblables, pour bavarder, tchatcher et partager les soucis de l’exil. Pour Ahmed, 24, étudiant : « Ici on parle arabe, on mange marocain, on est entouré des gens du bled, on peut dire que nous sommes chez nous ».
Ces vieux là….
Le ftour commence par la distribution de café au lait, ensuite chacun a droit à un bol de Harira, des dattes, un œuf, parfois on distribue certaines gâteaux maghrébins. La nourriture est abondante, parfois rare, mais on gère comme on peut. Grâce aux dons, et la générosité de certains, cette bonne action se maintient.
Fidèle à son habitude, Abou Laainin arrive en retard. Avec sa barbe fournie, son bonnet vert à la tête, et son gros ventre, il a l’air d’un personnage de BD. Ce vieillard de 70 ans, vit de la mendicité. Les mauvaises langues disent qu’il a ramassé une fortune qu’il a transférée au bled. Abou Laainin cherche une place pour s’assoire. Comme beaucoup d’autres, il vit seul. Sans femme, sans enfants. Sa famille est restée à Alger. Il a refusé le regroupement familial, car il a toujours penser revenir au pays. Voilà déjà 40 ans, qu’il réside ici. Abou Laainin réussit à trouver une place, cette fois, c’est à côté de l’hadj, un autre vieillard de 80 ans et son voisin dans le foyer. Dès son arrivée, L’hadj n’a pas cessé de tousser. De temps à autre, il sort son mouchoir pour cracher. Ce ancien ouvrir agricole, bouge péniblement ces mains et mange lentement. Il souffre d’une série de malades chroniques. Mais sa mémoire est intacte. Il se souvient encore de ces premières années en France qui datent de 2éme guerre mondiale, de son premier mariage raté avec une Française. L’hadj vit selon les médecins ses derniers jours, il n’a qu’un souhait : retourner au bled. Hélas, il n’a personne là-bas. Abou Laainin, l’hadj et beaucoup d’autres passent la plupart de leurs temps entre la mosquée du foyer et le parc de centre ville. D’autres choissent les bancs de café de quartier Gambetta et ses ruelles. Certains vivent de leur retraite de misère, d’autres de la générosité de leurs compatriotes. Beaucoup préfèrent rester ici, passer leurs dernières journées, mais mourir au bled.
Ramadan : un mois plus que sacré
Cette année, le mois sacré coïncide avec l’été. Les journées sont longues et chaudes. Certains commencent leur journée très tôt, vers 4h ou 5h de matin. Parmi eux, Driss la trentaine, commence sa journée vers 6h00. Il travaille dans la cueillette du melon, à 25 km de Montpellier. Un travail dure et pénible de 12 heures. « C’est vraiment très dur. Surtout si tu tombes dans une équipe constituée de non musulmans. Pour les employeurs, si certains ferment les yeux et affichent une certaine tolérance en aménageant les heures de travail, ou donnent plus de temps pour rompre le jeûne, pour d’autres, tu dois tout simplement faire ton travail dans les temps et comme il faut, et peut importe si tu jeûnes ou pas. ».
Pourtant les Marocains, comme beaucoup de musulmans de France ne badinent pas avec le mois du jeûne. Pas question de ne pas observer le troisième pilier de l’Islam. Selon un sondage IFOP, récemment publié 70% des musulmans de France affirment observer le jeûne du ramadan, un chiffre en forte hausse depuis 1989 (60 %). Hamid, 20 ans, 2ème année en informatique, peine à passer le jour. C’est la première fois qu’il jeûne à l’étranger : « J’ai du mal à m’adapter, ici les jours sont longues, et difficiles à supporter surtout si tu es entouré des gens qui mangent et boivent, cela rend la tâche plus difficile ». Mais pas question d’arrêter le jeûne. Hamid fait un effort, essaye d’être un bon musulman. Dès son arrivée en France, il se sent plus proche de Dieu, et sa relation avec la religion est au beau fixe. Hamid n’est pas le seul. Il suffit d’observer la mosquée La Paillade, la grande mosquée de la ville. Pendant ce mois et surtout lors de salat al Tarawih, une vraie marée humaine envahit le lieu. Certains ne trouvent même pas une place pour faire la prière. Hamid se félicite : « Hamdou lilah que les musulmans tiennent encore à leur religion ».
La chasse à l’homme :
Le ftour continue dans la bonne ambiance, mais pas pour tous. Assis près de la porte, Anis, 23 ans, un sans-papier algérien, observe la rue avec anxiété. Le verre au café au lait à la main, il scrute les passants. « Les flic sont dehors ». La nouvelle a vite circulé. Depuis ce matin deux policiers en civil patrouillent dans la rue. Si certains ont préféré rester, d’autres ont disparu.
Depuis l’arrivée de Sarkozy au ministère de l’Intérieur, en 2003, l’étau se serre de plus en plus autour les clandestins. Anis a la peur au ventre. Il a du mal à digérer son ftour. C’est sa première année dans la clandestinité. Il arrive en France pour faire des études en droit, mais il n’a pas réussi. De peur de retourner au pays sans diplôme, il choisit de rester, même dans la souffrance et la douleur, en attendant des lendemains meilleurs.
Le ftour touche à sa fin, les étudiants essayent de donner un coup de main aux trois volontaires de restaurant. Certains ramassent les bols et les verres, d’autres arrangent les tables et donnent un coup de balai. Les vieux, quant à eux, préfèrent rester un peu, afin de ramasser les restes des repas. Chacun sort un sachet de plastique, dans lequel ils mettent tout ce qu’ils trouvent : un morceau de Chabakia ou Zallbia, de dattes, des œufs…parfois, il n’hésite pas à demander s’il reste encore de pain. Anis hésite à sortir. Il jet un regard sur la rue, et franchit le premier pas. Son ami l’assure : « Ne t’inquiète pas, ils sont partis, ils ont assez arrêté aujourd’hui, je pense qu’ils ne vont pas revenir d’ici un an ».