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Le 29 octobre 1965, Mehdi Ben Barka fut enlevé en France à l'âge de 45 ans. Grande figure du nationalisme et du socialisme marocain, Ben Barka continue de nourrir la polémique, tant les autorités marocaines et françaises ( américaines et israéliennes également ) campent dans leurs positions contradictoires mais convergentes, de garder secret les dessous de cet enlèvement. Aujourd'hui, 45 ans après, Ben Barka continue à hanter les esprits, et à animer l'espoir d'une jeunesse marocaine en mal de figure emblématique. Révolutionnaire, militant « altermondialiste » ( le terme n'existait pas à son époque), initiateur de la Tricontinentale (organisation de solidarité des mouvements de libération nationale au tiers-monde ), opposant notoire au régime de Hassan II, professeur de mathématiques, président du premier Conseil marocain (l’ancêtre du parlement actuel ), Mehdi a été beaucoup plus que cela.
Sans vouloir faire dans la polémique ou chercher une quelconque « héroïsation » à travers cette figure, qui je l'avoue, me fascine, je vais essayer dans le prochain jeu de rôle, d'inventer une interview fictive avec Mehdi. Les réponses sont de vrais propos de Mehdi, mis dans le contexte. L'objectif est certainement de partager sa pensée avec la jeunesse marocaine qui apprendra beaucoup à le connaître.
Question : Monsieur le Président bonjour. Nous vous remercions de nous avoir accordé cette occasion pour vous parler. Quel regard portez-vous sur le Maroc d'aujourd'hui, 45 ans après votre enlèvement, à l'âge de 45 ans ?
Mehdi Ben Barka : « Je voudrais que notre discussion prenne la forme d'un échange, car les idées que je vais vous exposer sont en rapport avec notre vie quotidienne et avec le destin de notre pays … Quelle que soit la forme de notre société actuelle, une analyse sociologique approfondie et un aperçu sur l'état des peuples socialement arriérés comme le nôtre, suffisent à nous montrer que cette société a besoin d'évoluer. Le Maroc nouveau a besoin d'une société nouvelle. La participation populaire [est une des] conditions indispensables à la construction d'une société nouvelle. C'est la participation du peuple à l'élaboration, l'exécution et le contrôle des plans de développement … Mobilisons-nous de nouveau pour travailler avec un grand enthousiasme à la construction de la société nouvelle »(1).
Quelle a été la principale entrave qui a empêché le Maroc, à votre avis, de réaliser 54 ans après son indépendance, cet objectif pourtant visé depuis longtemps ?
« Nous avons devant nous d'autres expériences, comme celle de la Turquie de Mustapha Kemal, de la Chine populaire ou de l'Inde. Que pouvons-nous en tirer comme enseignements ? Dans ces expériences, nous constatons que les forces sociales qui ont conduit le combat pour la libération sont celles-là même qui ont pris les rênes, pour diriger le combat difficile de la reconstruction pendant la période transitoire… La situation actuelle que vit notre pays ne peut être traitée par de belles paroles et de beaux discours. Elle a besoin d'une révolution profonde que nous devons mener …Nous ne promettons pas de miracles. Leur époque est révolue. C'était un don que Dieu a réservé à certains prophètes. Ce qu'on appelle aujourd'hui un miracle, c'est ce que réalisent les peuples par leur travail constant, avec abnégation et des sacrifices continus, et selon des programmes planifiés avec rigueur »(2).
Les masses populaires, vos sympathisants parmi l'élite, que vous êtes censé représenter n'ont pas compris le sens de votre participation gouvernementale depuis 1998, comme celle de 1958. Que répondez-vous à cela ?
« Comment peuvent-ils comprendre nos hésitations antérieures si jamais nous ne leur révélons pas les dures batailles que nous avions dû mener pendant notre participation au gouvernement, pour faire aboutir la réforme la plus bénigne ? Seule l'explication objective de nos insuffisances, de nos erreurs passées, peut leur permettre de se préparer pour les luttes à venir … La responsabilité directe ? Il faut la chercher dans l'imposture qui, depuis 1960, sert de fondement à la politique officielle du Maroc.
On fait applaudir les populations par contraintes, ou par réduction de la misère et l'on fait de ces applaudissements forcés un principe de gouvernement. Mais la réalité se venge de toutes ces illusions et la seule vraie politique est la politique du vrai ! »(3).
Vous avez un ton différent, monsieur le Président. Quel regard portez-vous sur la transition démocratique que vit le Maroc d'aujourd'hui ?
« La démocratie n'est pas une enseigne qu'on exhibe aux touristes; c'est une réalité qui doit ouvrir concrètement à chacun des possibilités de progrès et de culture …Maintenant, nous avons pris une position nette sur le plan constitutionnel, mais nous ne devons pas compenser une erreur par une autre. Il ne faudrait pas que la Constitution devienne un mot magique qui va régler tous les problèmes. A mon sens, la Constitution n'est pas valable dans la mesure où elle ne garantit pas les libertés publiques, leur permet d'être effectives, par le contrôle et la sanction du pouvoir et où elle permet de contrecarrer les influences étrangères dans les affaires de notre pays. Ce qui importe pour nous, c'est la définition des pouvoirs et des responsabilités devant le peuple, la mise en place des institutions authentiquement populaires. Donc, le problème constitutionnel n'est qu'une partie du problème démocratique, c'est-à-dire de la participation, de plus en plus large des masses populaires à la gestion publique»(3).
Et la laïcité, qu'en pensez-vous ? Particulièrement au niveau de l'école publique ?
« Il reste entendu que, pour nous, l'enseignement religieux fait partie intégrante des programmes d'enseignement pour les Marocains, étant donné qu'ils sont soit musulmans, soit de confession juive. Mais la partie de l'enseignement religieux devra être facultative pour ceux qui ne sont pas de religion musulmane ou juive. Nous adopterons, pour les non-musulmans, un système français qui donne à l'enseignement religieux une place à côté de l'enseignement laïque. Mais le Marocain, en tant que citoyen, est aconfessionnel, en ce sens que les institutions de l'Etat marocain sont des institutions non confessionnelles »(4).
Un dernier message pour les jeunes d'aujourd'hui …
« L'éducation … C'est que, sans la masse, sans l'éducation de la masse, nous resterons isolés, nous resterons comme l'arbre qui perd ses racines, et qui est voué à la mort. Voilà ce que sont actuellement nos préoccupations en matière d'éducation. D'abord, à long terme, c'est l'université, c'est la réforme de l'école ; et à court terme, c'est cette lutte contre l'analphabétisme … »(4).
(1) : Mehdi Ben Barka, conférence devant les cadres du Parti de l'Istiqlal de Tétouan, 31 juillet 1958.
(2) : Mehdi Ben Barka, « Nos responsabilités », conférence devant les cadres du Parti de l'Istiqlal à Casablanca, Théatre municipal, 19 mai 1957.
(3) : Mehdi Ben Barka, « Option révolutionnaire au Maroc », rapport au secrétariat général de l'UNFP, avant le 2e congrès, Rabat, le 1er mai 1962 + préface de Mehdi Ben Barka, juin 1965.
Sans vouloir faire dans la polémique ou chercher une quelconque « héroïsation » à travers cette figure, qui je l'avoue, me fascine, je vais essayer dans le prochain jeu de rôle, d'inventer une interview fictive avec Mehdi. Les réponses sont de vrais propos de Mehdi, mis dans le contexte. L'objectif est certainement de partager sa pensée avec la jeunesse marocaine qui apprendra beaucoup à le connaître.
Question : Monsieur le Président bonjour. Nous vous remercions de nous avoir accordé cette occasion pour vous parler. Quel regard portez-vous sur le Maroc d'aujourd'hui, 45 ans après votre enlèvement, à l'âge de 45 ans ?
Mehdi Ben Barka : « Je voudrais que notre discussion prenne la forme d'un échange, car les idées que je vais vous exposer sont en rapport avec notre vie quotidienne et avec le destin de notre pays … Quelle que soit la forme de notre société actuelle, une analyse sociologique approfondie et un aperçu sur l'état des peuples socialement arriérés comme le nôtre, suffisent à nous montrer que cette société a besoin d'évoluer. Le Maroc nouveau a besoin d'une société nouvelle. La participation populaire [est une des] conditions indispensables à la construction d'une société nouvelle. C'est la participation du peuple à l'élaboration, l'exécution et le contrôle des plans de développement … Mobilisons-nous de nouveau pour travailler avec un grand enthousiasme à la construction de la société nouvelle »(1).
Quelle a été la principale entrave qui a empêché le Maroc, à votre avis, de réaliser 54 ans après son indépendance, cet objectif pourtant visé depuis longtemps ?
« Nous avons devant nous d'autres expériences, comme celle de la Turquie de Mustapha Kemal, de la Chine populaire ou de l'Inde. Que pouvons-nous en tirer comme enseignements ? Dans ces expériences, nous constatons que les forces sociales qui ont conduit le combat pour la libération sont celles-là même qui ont pris les rênes, pour diriger le combat difficile de la reconstruction pendant la période transitoire… La situation actuelle que vit notre pays ne peut être traitée par de belles paroles et de beaux discours. Elle a besoin d'une révolution profonde que nous devons mener …Nous ne promettons pas de miracles. Leur époque est révolue. C'était un don que Dieu a réservé à certains prophètes. Ce qu'on appelle aujourd'hui un miracle, c'est ce que réalisent les peuples par leur travail constant, avec abnégation et des sacrifices continus, et selon des programmes planifiés avec rigueur »(2).
Les masses populaires, vos sympathisants parmi l'élite, que vous êtes censé représenter n'ont pas compris le sens de votre participation gouvernementale depuis 1998, comme celle de 1958. Que répondez-vous à cela ?
« Comment peuvent-ils comprendre nos hésitations antérieures si jamais nous ne leur révélons pas les dures batailles que nous avions dû mener pendant notre participation au gouvernement, pour faire aboutir la réforme la plus bénigne ? Seule l'explication objective de nos insuffisances, de nos erreurs passées, peut leur permettre de se préparer pour les luttes à venir … La responsabilité directe ? Il faut la chercher dans l'imposture qui, depuis 1960, sert de fondement à la politique officielle du Maroc.
On fait applaudir les populations par contraintes, ou par réduction de la misère et l'on fait de ces applaudissements forcés un principe de gouvernement. Mais la réalité se venge de toutes ces illusions et la seule vraie politique est la politique du vrai ! »(3).
Vous avez un ton différent, monsieur le Président. Quel regard portez-vous sur la transition démocratique que vit le Maroc d'aujourd'hui ?
« La démocratie n'est pas une enseigne qu'on exhibe aux touristes; c'est une réalité qui doit ouvrir concrètement à chacun des possibilités de progrès et de culture …Maintenant, nous avons pris une position nette sur le plan constitutionnel, mais nous ne devons pas compenser une erreur par une autre. Il ne faudrait pas que la Constitution devienne un mot magique qui va régler tous les problèmes. A mon sens, la Constitution n'est pas valable dans la mesure où elle ne garantit pas les libertés publiques, leur permet d'être effectives, par le contrôle et la sanction du pouvoir et où elle permet de contrecarrer les influences étrangères dans les affaires de notre pays. Ce qui importe pour nous, c'est la définition des pouvoirs et des responsabilités devant le peuple, la mise en place des institutions authentiquement populaires. Donc, le problème constitutionnel n'est qu'une partie du problème démocratique, c'est-à-dire de la participation, de plus en plus large des masses populaires à la gestion publique»(3).
Et la laïcité, qu'en pensez-vous ? Particulièrement au niveau de l'école publique ?
« Il reste entendu que, pour nous, l'enseignement religieux fait partie intégrante des programmes d'enseignement pour les Marocains, étant donné qu'ils sont soit musulmans, soit de confession juive. Mais la partie de l'enseignement religieux devra être facultative pour ceux qui ne sont pas de religion musulmane ou juive. Nous adopterons, pour les non-musulmans, un système français qui donne à l'enseignement religieux une place à côté de l'enseignement laïque. Mais le Marocain, en tant que citoyen, est aconfessionnel, en ce sens que les institutions de l'Etat marocain sont des institutions non confessionnelles »(4).
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« L'éducation … C'est que, sans la masse, sans l'éducation de la masse, nous resterons isolés, nous resterons comme l'arbre qui perd ses racines, et qui est voué à la mort. Voilà ce que sont actuellement nos préoccupations en matière d'éducation. D'abord, à long terme, c'est l'université, c'est la réforme de l'école ; et à court terme, c'est cette lutte contre l'analphabétisme … »(4).
(1) : Mehdi Ben Barka, conférence devant les cadres du Parti de l'Istiqlal de Tétouan, 31 juillet 1958.
(2) : Mehdi Ben Barka, « Nos responsabilités », conférence devant les cadres du Parti de l'Istiqlal à Casablanca, Théatre municipal, 19 mai 1957.
(3) : Mehdi Ben Barka, « Option révolutionnaire au Maroc », rapport au secrétariat général de l'UNFP, avant le 2e congrès, Rabat, le 1er mai 1962 + préface de Mehdi Ben Barka, juin 1965.