Un ftour-débat organisé par Convergences 21: Constitutionnalistes, politologues et économistes interpellés par la mise en œuvre de la Constitution


Nezha Mounir
Lundi 6 Août 2012

Un ftour-débat organisé par Convergences 21: Constitutionnalistes, politologues et économistes interpellés par la mise en œuvre de la Constitution
Une Constitution moderniste qui a essayé d’apporter des réponses aux revendications de tous. Et ce, dans un contexte international, arabe et local caractérisé par la poussée des contestations sociales. Nouveaux droits fondamentaux et une dimension plus importante accordée aux droits des catégories sociales spécifiques ont été mis en avant par la nouvelle Constitution. Mais qu’en est-il de sa mise en œuvre ? Il semblerait que le processus d’adoption soit mis à mal. Des difficultés ne manquent pas de se dresser. Est-ce juste une question d’élaboration de lois organiques ou bien le problème se pose-t-il ailleurs. ? C’est pour se pencher sur ces questions et y  apporter un début de réponse que Convergences 21 a organisé ce vendredi un ftour-débat. Constitutionnalistes, politologues et économistes se sont prêtés au jeu et chacun a examiné la question de son point de vue.
Larbi Jaaidi porte sur la question un regard d’économiste. Selon lui,  l’économique agit sur le droit. Les Constitutions précédentes, explique-t-il,  se démarquent par une neutralité économique. Elles parlent  plutôt de  la gestion des affaires économiques et s’arrêtent à ce niveau. Aujourd’hui, quelle notion donner à la liberté économique ? Comment insérer dans la Constitution les équilibres économiques ? Comment cette Constitution a traduit toutes ces innovations ? Le principal enjeu, assure-t-il,  est  la capacité du gouvernement à traduire ces compétences sur le terrain. C’est à ce niveau que se joue le passage de la monarchie exécutive à la monarchie parlementaire, comme ne manque pas de le préciser M. Jaaidi. La lecture de l’ancienne Constitution   démontre que l’espace d’intervention du gouvernement était extrêmement limité par rapport à celui dédié à  la monarchie non seulement dans la sphère politique mais également  économique. A cet effet, l’intervenant parle même de prédominance voire de liaison dangereuse entre le pouvoir économique de la monarchie en tant que secteur privé et son influence quand celle-ci assure la transparence avérée.  Il précise même que pour sortir de la monarchie exécutive, notamment au niveau économique, il faut une réaffirmation du  gouvernement de prendre plus de responsabilité et ce, à travers ses compétences.
Par ailleurs, l’intervenant explique que cette nouvelle Constitution pourrait révolutionner nos finances publiques à travers des lois organiques. Comment contrôler l’efficacité des dépenses publiques ? Comment renforcer la mission de la Cour des comptes ? Comment élargir le pouvoir des commissions parlementaires ? L’axer davantage sur la régionalisation, la démocratie locale. Faire en sorte que la loi de Finances débouche sur un véritable débat afin que le Parlement ne se réduise pas à  une simple Chambre d’enregistrement. 
Un autre volet et non des moindres a été également abordé par M.Jaaidi, à savoir celui de la régionalisation voire le principe de la libre administration des collectivités locales. A ce niveau se pose la question du partage des compétences entre l’Etat et les entités territoriales. Il en est de même du  rôle des gouverneurs et des walis en tant que représentants de l’Etat. Quant aux autres instances de l’Etat, tels que le CES, le Conseil de la concurrence, il faut leur accorder plus d’effectivité et par là plus de pouvoirs et voir de près leur composition. Sinon,   «ce serait une myriade dont l’efficacité est douteuse», conclut-il.
«Une Constitution en devenir», c’est la conception d’Abderahmane Benyahya, constitutionnaliste, quant à la Loi fondamentale. Cette loi qui intervient d’après lui,  dans un environnement international caractérisé par une profonde restructuration. «C’est la première fois que le peuple est mis à contribution et a été associé à l’élaboration d’une Constitution», ne manque-t-il pas de préciser. Seulement cette procédure révolutionnaire n’a pas donné les résultats escomptés, regrette M. Benyahya.  Et d’ajouter : «Le discours Royal du 9 mars a pris de court tout le monde. La plupart des acteurs politiques n’étaient pas préparés à ce grand chamboulement. Les uns n’ayant rien compris au changement qui s’opère continuent à dire ce que le Roi veut, nous le voulons. D’autres se contentent de faire des propositions timides. La plupart des partis politiques estiment que leur rôle est d’exécuter les choix de ce pays et non de les concevoir.   Il a fallu que les régimes tunisien et égyptien tombent pour qu’on comprenne  qu’on a besoin d’autres choses que de manager». L’intervenant continue sur sa lancée en déclarant que cette Constitution a un goût d’inachevé. Seules les fondations sont là. Tout le reste est  à construire. «C’est l’exécutif et le législatif mis en place qui ont la responsabilité du devenir de la Constitution». Ce qui se fera à travers les lois organiques qui constituent le prolongement de la Constitution.
Nadia Bernoussi, constitutionnaliste, a choisi d’examiner les droits fondamentaux dans la Constitution. Elle parle  d’une Constitution de compromis voire de consensus. Elle précise à cet effet que contrairement à ce qui se passe en Algérie et en Tunisie, les changements se font au Maroc de façon graduelle. « Une politique de petits pas ». Depuis les années 90 avec la chute du mur de Berlin, beaucoup d’efforts ont été faits au Maroc notamment avec le gouvernement d’alternance.
Quelles sont les nouveautés apportées par la nouvelle Constitution par rapport à ces droits fondamentaux ? s’interroge Mme Bernoussi. D’abord au niveau de la terminologie alors que la Constitution de 1996 parle de Royaume, d’Etat, celle de 2011 met en avant les citoyens, les  citoyennes et les ONG…, explique-t-elle. « En 1996 on fait référence aux principes fondamentaux là où le droit fondamental est consacré en 2011. C’est d’ailleurs  la terminologie utilisée par l’Union européenne». Avant d’ajouter que plus du tiers de la Constitution  est consacré à ces droits fondamentaux. Mais quel est leur nouveau cadre de référence ? On parle dans la Constitution de l’indivisibilité de l’universalité des droits de l’Homme,  de la supériorité des conventions internationales et du principe de la non-discrimination notamment en matière de croyance et de religion. 
En avançant dans son intervention, Mme Bernoussi se pose certaines questions. D’abord, comment à travers la Constitution le Maroc peut-il se réconcilier avec son histoire ? Le Maroc a une diversité culturelle plurielle et compte avec les composantes arabo-musulmanes, amazighes et hassanie sahraouie. Et la  réconciliation avec le passé ? Elle  se base sur ce qu’on pourrait appeler le «manifeste de la dignité», à savoir les recommandations de l’IER, indique-t-elle. On retrouve à ce niveau une  séparation de pouvoirs horizontale (exécutif, législatif, judiciaire) et une autre verticale (pouvoir central et pouvoirs locaux). La séparation se fait également au niveau du spirituel et du temporel. Mais bon nombre d’ambivalences se retrouvent dans la Constitution. A titre d’exemple, Mme Bernoussi évoque l’égalité entre les hommes et les femmes prônée par la Loi fondamentale conformément aux constances  de la nation et des lois en vigueur. Cela dépend donc du juge en dernier lieu. Et puis l’article 20 de la Constitution reconnaît le droit à la vie mais le Maroc n’a toujours pas ratifié le 2ème protocole facultatif de la lutte contre la peine de mort.
En fin de compte, l’intervenante rappelle encore une fois qu’il s’agit d’une Constitution très avancée et  très moderniste. «La balle maintenant est dans le camp du législateur à travers les lois  organiques, de la société civile qui devrait s’ériger en instance de vigilance et en fin de compte dans celui du juge». 
Driss Yazami, président du Conseil national des droits de l’Homme, indique pour sa part que l’essentiel des conventions du droit international est ratifié par le Maroc. 11 textes sont déjà signés, précise-t-il. La question qui se pose par ailleurs, c’est de savoir quels sont les acteurs à même de mettre en œuvre cette Constitution. Aujourd’hui, il y a encore une crise de la démocratie représentative. Avant d’ajouter qu’ « on a assisté à la montée de la contestation des groupes sociaux ceux-là mêmes qui ne s’expriment pas aux urnes ».
 
 
 


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