Socrate en classe et en salle communautaire

La création de possibilités formelles et informelles pour l'écriture peut catalyser la contemplation réfléchie


Par le Dr. Yossef Ben-Meir *
Samedi 5 Décembre 2015

Socrate, je suppose, aurait très bien pu se sentir chez lui dans une réunion communautaire des temps modernes, dans laquelle les populations locales discutent des défis socio-économiques et environnementaux auxquels ils sont confrontés pour trouver des solutions répondant à leurs besoins, par ordre de priorité.
Plutôt que de transmettre une tradition bien établie, le philosophe athénien (470-399 av. J.-C.) engageait ses élèves dans une dialectique qui stimulait la pensée critique et la pensée indépendante et prônait également l’adoption des plus logiques des hypothèses initiales. La conviction que la vérité réside dans chaque individu, en attente d'être exprimée, est implicite dans cette approche.
Une approche durable collaborative au développement humain permet aux communautés, avec l’aide d’animateurs formés, de planifier leurs propres projets, créant ainsi des emplois et produisant des avantages en matière de santé et d'éducation. Les participants au processus sont encouragés à partager leurs expériences et leurs idées de changement et à établir un consensus sur les plans d'action. Cette approche participative du développement communautaire est, en substance, l'application de la méthode socratique par les communautés d'aujourd'hui.
Il y a en outre des caractéristiques communes au développement communautaire et aux expériences éducatives réussies - pouvant invariablement avoir un effet très puissant sur les participants - qui résultent du renforcement de compétences appliquées et analytiques, élargissent les perspectives sur la société et favorisent la satisfaction humaine. En tant que professeur d'université et adepte du développement participatif au Maroc, j’éprouve une grande joie et trouve un sens à traiter ma salle de classe comme une réunion communautaire marquée par l’interaction, la génération de données, l'analyse collective et le consensus. De même, je suis heureux que mon objectif consiste à traiter les réunions communautaires comme des environnements d'apprentissage où les participants partagent leurs connaissances, évaluent de façon critique les conditions de vie et sont en quête d’innovation.
Pour atteindre ces objectifs, les salles de classe aussi bien que les réunions communautaires doivent fonctionner dans des conditions spécifiques.
Il est d’abord fondamental que les gens soient encouragés à communiquer. Les personnes doivent être entièrement libres de partager leurs points de vue et de s’interroger les uns les autres. Les objectifs de cette discussion inclusive sont de reconnaître avec respect les différences et de développer ainsi des points de vue multidimensionnels.
Une partie intégrante du dialogue entourant les intérêts et programmes est l'acceptation du conflit inhérent, qui est en fait productive dans la mesure où elle peut conduire à une résolution réussie. Concrètement, le processus consistant à surmonter les différences englobe l'expression d’observations personnelles et parfois, la présentation d'excuses, l'approfondissement des relations de participants étant un résultat important.
 La création de possibilités formelles et informelles pour l'écriture peut catalyser la contemplation réfléchie. Dans un environnement d'apprentissage et de planification, cela se rapprocherait du dialogue, renforçant et éclairant ainsi l'ensemble du processus.
 La pensée critique est également au centre du développement communautaire durable et de l'apprentissage transformateur. Permettre – et même faciliter positivement – à nos idées préconçues d’être bouleversées et indiquer les liens entre les actions et leurs conséquences (tant verticalement qu’horizontalement dans la société) est nécessaire pour la compréhension des phénomènes sociaux multidimensionnels par le groupe.
Enfin, l'apprentissage collaboratif par l’expérience doit également être facilité dans le contexte de l'éducation et du développement durable. Cette méthode pédagogique crée un microcosme de développement durable dynamique plus élargi, dans lequel les contributions et les talents individuels sont considérées comme vitaux pour les efforts du groupe, chaque membre jouant un rôle particulier dans la réalisation de l'initiative globale. Les étudiants renforcent des capacités et connaissances essentielles lors de la réflexion sur les expériences pratiques ramenées à la théorie sociale. Tous les participants aiguisent leurs compétences et leurs capacités en groupe car ils prennent en considération les conditions sociales, évaluent et conçoivent des solutions aux problèmes sociaux et mettent en œuvre les changements recherchés. 
S’il est efficacement appliqué, le résultat de tout cela - et en particulier de la reconnaissance de l'individu au sein du groupe - est l’élaboration collective de solutions éducatives et de développement répondant à la fois aux objectifs individuels et collectifs.
Ainsi, alors que les philosophes avancent depuis le siècle des Lumières que les intérêts individuels et communautaires sont fondamentalement opposés, le développement durable et les approches pédagogiques collaboratives font en revanche de ces intérêts un renforcement mutuel.
Des exemples de réussite sont visibles à travers le monde, y compris au Maroc, où les directions des parcs nationaux et les communautés avoisinantes se livrent à un dialogue participatif et à la pensée critique avant de travailler en partenariat en vue de favoriser le développement humain et la conservation des ressources.
En classe comme sur le terrain, il est par conséquent essentiel que les enseignants qui promeuvent ce processus et les animateurs des réunions communautaires participatives adoptent une approche commune. Comme Socrate, ils doivent s'efforcer de faire ressortir les connaissances des participants et de fusionner les idées du groupe pour aboutir à une entité plus vaste. Ils doivent catalyser et soutenir les processus de pensée critique et veiller en outre à ce que l'ensemble du processus soit teinté de l'apprentissage par l’expérience, qui s’est révélé transformateur en termes de pédagogie et de développement humain.
Le développement et la méthode éducative en fertilisation croisée apporteraient des avantages dans tous les domaines. Les communautés seraient en mesure d’élaborer des projets appropriés, à la lumière de facteurs sociaux et environnementaux spécifiques. Les étudiants créeraient des cadres de référence pour les processus d'identification, d’élaboration et d'évaluation d’interventions sociales efficaces, en particulier celles élaborées localement à partir de la base. Les enseignants et les animateurs communautaires trouveraient naturellement leur place dans le milieu des uns et des autres et intégreraient leurs méthodologies respectives pour former un brassage enrichissant, purement socratique.

 * Sociologue, ancien volontaire du Corps de la Paix au Maroc et président de la Fondation du Haut Atlas
 


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