Sale temps pour les mineurs de saphir à Madagascar


AFP
Mardi 7 Août 2012

Sale temps pour les mineurs de saphir à Madagascar
Madagascar a cru qu'Ilakaka, plus gros gisement mondial de saphirs, pouvait faire sa fortune, mais la crise financière et l'instabilité politique ont douché ses espoirs. Le saphir reste aujourd'hui synonyme d'emplois de misère et dangereux.
En 1998, la découverte d'un gisement de saphir a transformé brutalement la petite bourgade agricole en ville du far west, la population passant de quelques dizaines à quelque 50.000 habitants.
Dans cette ville à 650 kilomètres au sud-ouest de la capitale Antananarivo, on croise davantage de voitures qu'ailleurs. Mais avec une seule rue asphaltée et des maisons en bois sans eau courante ni sanitaires, la fortune espérée n'est pas au rendez-vous. Sur la place du marché poussiéreuse d'Ilakaka, dans une chaleur déjà étouffante à 7 heures du matin, une femme sort un flacon de vitamines: à l'intérieur, pas de pilules, mais des douzaines de saphirs minuscules.
Ces pierres précieuses ont jadis fourni la moitié du marché mondial du saphir. Madagascar exportait ses pierres brutes vers le Sri Lanka et la Thaïlande, deux pays spécialistes de la taille.
En 2008, l'Etat malgache s'est pris à rêver d'une autre exploitation possible, qui générerait plus de recettes fiscales et permettrait de former des mineurs à la taille des pierres afin de gagner en valeur ajoutée.
Le saphir devait aider le pays, l'un des plus pauvres de la planète, à sortir de la misère. Sur cette île de l'océan Indien, huit personnes sur dix vivent avec moins d'1,25 dollar par jour, selon la Banque mondiale.
Par décret, l'exportation de pierres d'Ilakaka fut donc interdite. Mais le moment ne pouvait pas être plus mal choisi, alors qu'éclatait la crise financière mondiale.
La demande a plongé, les investisseurs ont pris peur et fui les pays dits à risques. Puis la prise de pouvoir anticonstitutionnelle de l'ancien maire d'Antananarivo Andry Rajoelina, en 2009, a achevé de décourager les plus téméraires.
"Ne gagnant plus d'argent, les mineurs ont arrêté de prospecter et se sont lancés dans l'agriculture pour nourrir leur famille", explique Brian Norton, un négociant en pierres précieuses d'Afrique du Sud.
"Le marché s'est peu à peu redressé et les gemmes sont de nouveau recherchées. Mais comme il y a moins de mineurs et que l'extraction est devenue plus coûteuse, les gemmes sont devenues rares et les prix montent en flèche", ajoute-t-il.
Depuis 2010, l'exportation de saphirs est de nouveau légale, mais la production ne s'est pas entièrement redressée, faute de mécanisation.
Autour d'Ilakaka, le paysage ressemble à un gruyère de puits abandonnés, au beau milieu d'une région connue pour sa beauté stupéfiante, et sa succession de montagnes tabulaires aux reflets ocres et de falaises sculptées par l'érosion.
La production avait commencé à baisser dès 2006, les mineurs retirant moins de pierres du sol car le haut du gisement a été écrémé: il faut désormais descendre plus profond et travailler dans des conditions plus périlleuses.
Ceux qui retournent creuser s'exposent au danger. "Quand les gens travaillent pour eux-mêmes, ils n'étayent pas toujours et il y a des risques d'éboulement", explique Muhamed Kone, un Guinéen qui organise des visites touristiques sur le site.
"Les gens viennent ici parce que c'est facile de gagner de l'argent, le business est facile, pas comme à Tana" (Antananarivo), confie pour sa part Céline, 24 ans et déjà mère de deux enfants de 9 et 7 ans.
Elle était adolescente lorsqu'elle est arrivée à Ilakaka il y a dix ans, au plus fort de la ruée minière qui a vu des milliers de miséreux débarquer pour tenter leur chance.
Originaire d'Ambalavao, une localité située à 230 kilomètres, elle était à la recherche de ses parents, qui l'avaient abandonnée pour se lancer dans la quête des saphirs.
Elle les a retrouvés après huit mois de recherches, gagnant une bouchée de pain à s'échiner sur l'un des nombreux puits artisanaux ayant proliféré dans l'anarchie la plus complète à Ilakaka.
Des milliers d'enfants malgaches ont vu comme elle leur scolarité s'achever de cette manière.
"A Ilakaka, il y a des pauvres qui deviennent riches, et des riches qui deviennent pauvres", commente Céline.
Elle n'a pas renoncé à passer son bac, mais en attendant, pour élever ses deux enfants, elle travaille chez une famille sri-lankaise qui lui donne du riz qu'elle prépare gratuitement pour des mineurs, qui lui donnent de temps à autre des saphirs qu'elle revend à ses employeurs.
Mais, à moins d'un dollar la pierre précieuse, ce n'est pas très rentable.
"J'ai travaillé aussi dans la carrière, mais c'est difficile et fatigant", dit-elle, et "je ne trouvais pas très souvent des saphirs".
Une fois polie, une pierre précieuse peut atteindre plus de 1.000 dollars le carat pour les gemmes les plus belles.


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