Rajae Kassab, représentante de la société civile au Sommet de Copenhague : «La participation officielle du Maroc était faible et sans impact»


Propos recueillis par Montassir Sakhi
Samedi 9 Janvier 2010

Rajae Kassab, représentante de la société civile au Sommet de Copenhague :  «La participation officielle du Maroc était faible et sans impact»
Rajae Kassab
a représenté  la société civile marocaine lors du Sommet
de Copenhague
sur les changements
climatiques qui s’est tenu dans la capitale danoise le mois
dernier. Elle est
militante au sein du Forum pour le droit
à l’eau dans la région arabe-section Maroc.

Libé : Quelle évaluation faites-vous de la participation officielle du Maroc au Sommet de Copenhague ?
 
Rajae Kassab : D’abord, je dois préciser que je n’ai pas participé au Sommet de Copenhague parmi la délégation officielle, j’ai représenté le «Forum pour le droit à l’eau dans la région arabe/ section Maroc  (RWFAR) », le Forum des alternatives du Maroc et le Forum social marocain dans une coalition internationale d’ONG qui est le Mouvement des peuples sur les changements climatiques (PMCC)
En ce qui concerne la participation de la délégation officielle, je crois qu’elle était faible et sans aucun impact. D’ailleurs, les officiels marocains n’ont même pas essayé d’inviter des scientifiques et des militants d’ONG marocaines qui travaillent sur le sujet, comme ils ne l’ont pas fait non plus lors de l’élaboration de la Charte de l’environnement

Concernant les débats et les échanges qui ont eu lieu au sein du Forum alternatif qui s’est tenu en parallèle avec le Sommet, que pouvez-vous nous en dire?

En parallèle au sommet officiel, les ONG et certains partis politiques notamment les Verts et les partis de gauche ont organisé le Klimaforum qui a duré deux semaines. Ce forum a connu des débats très intéressants et permis aux participants d’échanger leurs expériences grâce à la participation de scientifiques, d’experts et de témoins des impacts négatifs des changements climatiques. L’intérêt de ces débats réside également dans le fait que les recommandations qui en découlaient pouvaient être présentées au niveau du sommet officiel puisque une bonne partie des participants était accréditée pour entrer dans la salle de conférence du Bella Center. C’est le cas de la déclaration du Klimaforum qui a été validée par l’ensemble des participants et du protocole dit « Protocole des peuples sur les changements climatiques » élaboré par le PMCC et ratifié par plusieurs ONG à travers le monde lors de manifestations organisées dans plusieurs pays du Sud dont le Maroc.

Comment vous jugez les recommandations et les résultats de ce sommet ?

Malheureusement, les résultats du Sommet sont très décevants. En effet, les chefs d’Etat ou de gouvernement sont sortis avec un texte au statut juridique flou dit « Accord de Copenhague » de trois pages élaboré par cinq d’entre eux (USA, Chine, Brésil, Afrique du Sud et Inde). Cet accord n’a aucun caractère contraignant et ne comporte aucun engagement chiffré de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Il se fixe également l’objectif de mobiliser 100 milliards de dollars par an en 2020, ce qui est lointain. Il permet à chaque pays de faire ce qu’il veut sans sanction ni aucune obligation, excepté le fait de communiquer tous les deux ans. On est donc loin de la philosophie de Kyoto qui imposait une réduction des émissions des gaz à effet de serre aux pays participants.
En fin de compte, ceux qui ont gagné sont les pollueurs, c’est-à-dire  les gros capitalistes et les multinationales qui, pour faire le maximum de profit, ravagent la planète et poussent vers la misère des millions de personnes issues des pays du Sud  exposés plus que les pays du Nord aux impacts négatifs des changements climatiques.

Selon vous, quelles sont les démarches que peuvent entreprendre les pays pauvres pour faire pression sur les pays fortement industrialisés afin qu’ils réduisent leur production de gaz à effet de serre ?

Il faut d’abord que ces pays pauvres soient souverains et arrêtent de suivre les institutions monétaires internationales qui sont à la solde des gros capitaux de ce monde. Il faut que les politiques élaborées par ces pays expriment la volonté des peuples. Ce qui pose le problème de la démocratie au niveau de ces pays où la plupart des dirigeants  ne sont pas issus d’élections libres et transparentes et ne se sentent pas obligés de rendre des comptes

Que pensez-vous des politiques environnementales marocaines ?

Malheureusement, je crois qu’il n’y a pas de politique environnementale marocaine et les déclarations officielles ne sont que de simples slogans. Les dernières mesures concernant les énergies renouvelables et qui sont dictées plus par le déficit énergétique que par un souci environnemental ne peuvent constituer à elles seules une politique en ce domaine. Bien au contraire, de nombreuses  décisions et politiques sont dévastatrices pour l’environnement. C’est le cas, par exemple, du Plan Azur qui prévoit la construction de mégaprojets touristiques dont la plupart sont en zone côtière et malgré les dégâts déjà enregistrés au niveau de la station de Saïdia et malgré toutes les sonnettes d’alarme qui ont été tirées par les scientifiques et les militants d’ONG avec preuves à l’appui, le gouvernement fait la sourde oreille et continue sur sa lancée. Ces projets détruisent nos zones côtières, nos terres agricoles, nos forêts, etc ; ils portent atteinte aussi à nos ressources en eau qui sont déjà assez rares.
On peut citer également les politiques agricoles qui sont dirigées vers l’export et qui provoquent le tarissement des nappes phréatiques et exportent nos ressources hydriques vers des pays qui n’en ont pas besoin. Il y a aussi le problème de la gestion des différents types de déchets qui reste très rudimentaire, etc

La société civile marocaine est-elle consciente des problématiques qui menacent notre environnement ?

En fait, l’intérêt de la société civile marocaine pour les problèmes de l’environnement reste assez limité et les ONG qui s’y intéressent travaillent surtout localement. La question était considérée par le passé comme un sujet d’élite. Fort heureusement on assiste dernièrement à une prise de conscience des militants associatifs pour lier le droit à un environnement sain aux autres droits économiques et sociaux ; c’est le cas des associations des droits humains.


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