Plaidoyer pour un nouveau modèle de croissance au Maroc

La situation économique de notre pays n’est guère encourageante


Par le Pr. Tarik El Malki *
Jeudi 3 Décembre 2015

Le Maroc a connu des performances contrastées en termes d’évolution de sa croissance économique depuis 20 ans. Aussi, durant la décennie 1990 et 2000, le taux de croissance du PIB est passé, en moyenne, de 3,2% à 4,7%. Durant cette période, le pays a pu maîtriser ses équilibres macroéconomiques et améliorer son environnement des affaires. Le pays a poursuivi une stratégie basée essentiellement sur l’expansion de la demande intérieure, particulièrement au niveau des investissements publics. Cette stratégie a eu des effets positifs indéniables. Elle a en effet permis au pays de croître à un taux proche de son taux potentiel, d’améliorer l’accès aux services d’infrastructure de base (eau potable, électricité et routes, particulièrement en milieu rural), d’augmenter l’espérance de vie de ses citoyens et de réduire la pauvreté et la vulnérabilité, tout en maintenant l’inflation à des niveaux relativement faibles.
Bien que cette stratégie de croissance se soit révélée bénéfique pour le pays à plusieurs égards, il convient de constater que la période 2010-2015, qui correspond plus ou moins à la législature du gouvernement actuel, de nombreux indicateurs suggèrent qu’elle a atteint ses limites. La situation économique de notre pays n’est guère encourageante et se caractérise par les éléments suivants :
1. La croissance durant la période 2010-2015 a connu une baisse de régime puisqu’elle n’a été en moyenne que de 3,6% durant la période, alors même que le gouvernement, dans sa politique générale présentée à l’issue des élections de 2011, annonçait un objectif de croissance de 5,5% durant la législature. Celle-ci demeure une énigme dans le sens où, malgré la mise en place d’un certain nombre de politiques sectorielles, elle reste volatile, instable, faible et largement tributaire de l’aléa climatique. Encore plus grave, elle reste peu créatrice d’emplois.
2. Les équilibres macroéconomiques, malgré une certaine amélioration au niveau de la maîtrise du déficit du Trésor, restent mis à mal. En effet, la dette extérieure publique atteint des niveaux recors avec près de 300 milliards de dirhams d’endettement. Le ratio dette publique rapporté au PIB dépasse le seuil de 70%, ce qui pose la question de la soutenabilité de notre endettement avec tout ce que cela implique comme risque en termes d’intervention des institutions internationales. L’exemple de la Grèce n’est jamais loin. Le déficit budgétaire a pu être ramené à 4,9% du PIB en 2015 avec un objectif d’atteindre 3,5% du PIB en 2016. De la même manière, le déficit du compte courant de la balance des paiements a pu être ramené à 5,7% du PIB avec un objectif de poursuivre sa réduction en 2016 selon le projet de loi de Finances 2016.
3. La situation de l’emploi, malgré une accalmie de façade au premier semestre de l’année,  atteint des sommets lorsque l’on considère le chômage des jeunes de 15-24 ans en milieu urbain où le taux de chômage frôle la barre symbolique des 40%.
4. Malgré l’amélioration du déficit du compte courant de la balance des paiements, la compétitivité à l’export du pays se dégrade, surtout vis-à-vis de nos traditionnels partenaires commerciaux (Union européenne notamment). La raison tient principalement à la faible diversification de l’offre de production à l’export et à la faible diversification des débouchés.
5. L’économie marocaine se caractérise également par une faible base productive dans la mesure où la part de l’industrie dans le PIB ne dépasse pas les 14% depuis plusieurs décennies. Les raisons sont multiples : la fragmentation du tissu industriel, en plus de certains problèmes spécifiques à l’entreprise marocaine, à savoir des problèmes de gouvernance, une faible capacité de mise en marché, des problèmes d’accès au financement, un faible degré d’innovation …
6. L’environnement des affaires, malgré certaines avancées sur certains paramètres spécifiques, n’est pas encore de nature à créer les conditions du raffermissement des liens de confiance entre les pouvoirs publics et le secteur privé;
7. Au plan social, cette période s’est caractérisée par l’augmentation et le creusement des inégalités sociales. La stagnation du coefficient de Gini autour du score de 0,4 (sur un maximum de 1) depuis 30 ans, l’augmentation du nombre de pauvres (5 millions de personnes vivent avec moins de 12 dirhams par jour selon la dernière enquête du HCP sur le recensement), et le mauvais classement du pays au niveau des classements IDH ; tout ceci montre la vulnérabilité sociale du Maroc.
 Ce diagnostic montre que le Maroc fait face à un certain nombre de risques externes et internes qui, s’ils ne sont pas traités de manière forte, peuvent mettre à mal notre cohésion sociale et entraver durablement notre processus de développement. Ces risques sont les suivants :
Les risques internes :
1. Tout d’abord, nous constatons que le modèle de croissance promu dans les années 2000 et qui était orienté vers le marché intérieur, avec la demande des ménages comme vecteur de croissance, s’essouffle progressivement. En effet, la consommation des ménages qui a fortement augmenté durant la décennie 2000, à la faveur de l’augmentation des revenus, a tendance à stagner depuis quelques années, en raison du recul du pouvoir d’achat des ménages, dû elle-même à la stagnation des salaires. De plus, ce modèle de croissance a été la principale raison expliquant l’augmentation structurelle du déficit du compte courant de la balance des paiements à cause de l’augmentation du volume des importations (facture énergétique, biens d’équipement et de consommation). En effet, la consommation des ménages s’est faite au profit des importations, en l’absence d’une offre de production nationale à même d’absorber cette demande intérieure. L’effet multiplicateur n’en a été que plus  important en faveur de nos partenaires commerciaux.
2. En outre, ce modèle de croissance a vu l’augmentation substantielle du ratio entre investissement public et PIB. Bien qu’ayant eu un effet positif sur les capacités de production, les données disponibles semblent suggérer que ces investissements ont aussi souffert de problèmes d’efficience. Par ailleurs, l’investissement privé productif, particulièrement dans le secteur manufacturier, n’a pas augmenté autant que prévu, ce qui peut avoir été la conséquence de plusieurs facteurs : un effet de complémentarité limité associé au capital public, des effets d’éviction non négligeables et des progrès insuffisants, bien que notables au niveau de l’environnement des affaires.
3. La politique de l’offre avec les différentes stratégies sectorielles mises en place depuis le début de la décennie 2000, tarde à donner des résultats véritablement probants en matière de croissance économique et de créations d’emplois qualifiés.
4. L’Etat n’a pas joué son rôle de manière efficace, notamment au niveau des éléments suivants :
- Le rôle de régulateur : le climat d’investissement reste médiocre malgré les avancées sur certains points ;
- Le rôle de stratège : on constate une insuffisance en termes de vision stratégique à long terme et de planification ;
- Le rôle de protecteur : on déplore également la faiblesse des filets sociaux et des mécanismes de protection sociale pour les populations les plus vulnérables et les plus démunies, malgré quelques initiatives ici et là.
5. La nature du régime de change contribue à détériorer la compétitivité du Maroc et à freiner sa capacité à diversifier la gamme de produits exportés par le pays, tout en encourageant les importations. A son tour, cette hausse des importations contribue non seulement à accroître le déficit du compte courant de la balance des paiements mais également à favoriser la désindustrialisation du pays.
6. La culture d’affaire, entrepreneuriale, reste faible, en l’absence d’un tissu industriel véritablement moderne et structuré. De nombreuses situations d’abus de position dominante persistent qui favorisent la culture de la rente et du clientélisme.
7. Le secteur éducatif reste sclérosé, prisonnier des idéologies, peu innovant et peu enclin à favoriser le développement d’une culture entrepreneuriale basée sur l’innovation et la créativité.
Les risques exogènes :
8. Les changements de la division internationale du travail se sont accélérés ces dernières années, ce qui se manifeste en grande partie par le développement vers l’Est de nouveaux gisements de croissance mondiale, avec notamment l’émergence de la Chine comme première économie mondiale en termes de PIB devant les Etats-Unis. Le risque pour le Maroc est de se retrouver « pris en tenaille » entre d’un côté les pays à faible revenu en croissance rapide (Cambodge, Inde, Viet Nam, Indonésie, certains pays africains), bénéficiant d’une main-d’œuvre abondante et bon marché, et de l’autre les pays à moyen revenus plus larges (Brésil, Turquie, Russie …), capables d’innover suffisamment rapidement pour se déplacer vers le haut de la frontière technologique mondiale. Pour ne rien arranger, les investissements massifs de la Chine dans certains pays d’Afrique subsaharienne au cours des dernières années, ont contribué à accélérer la participation de certains pays de cette région à la nouvelle division internationale du travail, particulièrement dans les industries manufacturières légères à faible intensité de qualification. Ceci risque de nous pénaliser en termes de perte de marchés potentiels.
9. Le Maroc reste lié, à travers la structure de ses relations commerciales et financières, à l’Europe, une région qui se trouve confrontée à une crise économique sans précédent et à de nombreux dysfonctionnements qui sont source de rigidité structurelle et qui entravent sa croissance économique. Dans ce contexte, la crise en vigueur en Europe depuis 2008 a rapidement impacté le Maroc  via plusieurs canaux que sont la demande extérieure adressée au Maroc, les recettes touristiques et les recettes des Marocains résidant à l’étranger.
10. Dans le même temps, la région du Maghreb n’a pas été une source d’expansion du commerce extérieur et des investissements directs étrangers (IDE) et n’a donc pas pu devenir un moteur de croissance. Il faut signaler à cet effet que le coût du non-Maghreb est estimé à un manque à gagner de l’ordre de 2 points du PIB annuellement.
Cependant, ces enjeux ne sont pas insurmontables. En adoptant une nouvelle stratégie de croissance qui soit intégrée et ambitieuse pour promouvoir la croissance et l’emploi, le Maroc pourrait encore mieux tirer parti du nouvel environnement international. Les grands objectifs de cette stratégie sont les suivants :
1. Favoriser un regain de compétitivité à court terme, en adoptant un certain nombre de mesures visant à réduire les coûts de production dans les secteurs à forte intensité en main-d’œuvre et à poursuivre les efforts d’amélioration de cette dernière ;
2. Promouvoir l’activité privée dans les secteurs de production qui permettront au pays d’accélérer sa modernisation économique et d’entrer en concurrence sur les marchés internationaux des biens et services à forte intensité technologique et en main-d’œuvre qualifiée ;
3. Repenser le rôle que doit jouer l’Etat pour faciliter cette transition, notamment en matière d’incitations aux agents privés à investir, sous forme de services publics qui permettraient d’accroître la productivité des facteurs de production privés dans les secteurs d’activités stratégiques, et en termes d’appui à une stratégie d’intégration régionale.
 
 

 
Pour atteindre ces objectifs, la nouvelle stratégie de développement de type inclusive s’appuie sur les 4 volets suivants :

1. Le raffermissement  de la politique de l’offre : la mise en cohérence, la consolidation et l’accélération de la mise en œuvre  des stratégies sectorielles :
 
a) Le secteur manufacturier :
Le Maroc puisant l'essentiel de sa croissance économique de l'agriculture, a entamé depuis deux décennies un processus d'industrialisation de son tissu économique. En dépit du triplement de la valeur ajoutée générée par l'industrie, celle-ci ne représente à la date d'aujourd'hui que 14% du PIB marocain, contre une part de 23% dans les pays émergents. Après un plan Émergence et un Pacte national pour l'émergence industrielle renforçant les industries exportatrices, le Maroc s'est doté récemment d'une nouvelle stratégie dite d'accélération industrielle. S'appuyant sur les acquis des stratégies antérieures, la stratégie élaborée par le ministère du Commerce et de l’Industrie trace les jalons du renforcement des secteurs mondiaux, désormais traditionnels, mais également tracer une feuille de route pour chacun des secteurs concernés. Elle se veut également transversale, en apportant une attention particulière à l'impulsion de l'esprit entrepreneurial, au rôle de la formation, au mode opératoire de l'accompagnement de l'informel vers l'informel ou encore au rôle que peuvent jouer les ALE, le tout dans une démarche intégrée au projet de régionalisation.
L'objectif est de porter la part de l'industrie dans le PIB à 23%, de créer 500.000 emplois dans les 7 années à venir, de dynamiser la capacité d'exportation, dans le but d'inverser la courbe du déficit commercial ainsi que de démultiplier l'attractivité du Royaume pour accueillir les IDE.
La grande nouveauté de cette stratégie réside dans la mise en place d’écosystèmes dans un certain nombre de secteurs où le Maroc détient des avantages compétitifs non négligeables, à savoir le secteur automobile, l’agroalimentaire, le textile ou le secteur des phosphates et produits dérivés. L’enjeu est de créer, autour de grandes entreprises nationales ou étrangères, un tissu de sous-traitants et de fournisseurs nationaux. Grâce à cette stratégie, qui a fait ses preuves dans un grand nombre de pays asiatiques notamment, l’économie marocaine pourrait capter une part non négligeable de la valeur ajoutée grâce à la production locale. Ainsi, au niveau du secteur automobile, nous pouvons capitaliser sur l’expérience de l’usine Renault (Tanger) et nous positionner pour être leader dans des filières telles que les équipements automobiles (emboutissage, profilage, assemblage, ouillage, fabrication de composants électroniques et de pièces d’habillage intérieures …).
Plus d’une année après sa mise en œuvre, les résultats sont encourageants. S’agissant du volet financement, sur les 20 milliards de dirhams de dotation prévus par le fonds d’investissement public créé dans le cadre du PAI, 3 milliards ont été débloqués au titre de 2015 ; deux nouveaux produits ont également été lancés par la CCG. S’agissant du foncier, une partie (20%) de l’assiette foncière prévue a été débloquée. Sur le plan sectoriel, une dizaine d’écosystèmes ont déjà vu le jour dans le secteur de l’automobile et du textile notamment. Sur le plan réglementaire, l’année 2015 a été marquée par la création du statut de l’auto-entrepreneur afin de favoriser la création et la pérennité des TPE. En définitive, ce PAI part d’une bonne intention et doit connaître une accélération dans sa mise en œuvre afin d’arriver aux résultats escomptés le plus rapidement possible.
 
b) Le secteur des énergies
renouvelables :

Le Maroc possède d’importantes ressources éoliennes et solaires dont une véritable politique de valorisation pourrait offrir d’importantes opportunités de croissance et de création d’emplois. Selon plusieurs sources, les secteurs industriels de l’éolien, du photovoltaïque et du thermo-solaire concentré pourraient représenter jusqu’à 5% du PIB en 2030 si le pays investissait suffisamment dans la production d’électricité d’origine renouvelable. En outre, en diversifiant ses sources d’approvisionnement, le Maroc pourrait réduire de moitié sa dépendance par rapport aux importations d’origine fossile. Ce qui aurait pour effet de baisser considérablement la facture énergétique du pays. Aussi, le Maroc pourrait, dans un premier temps, se concentrer sur la fabrication de composants relativement simples et multi-usages, tels que par exemple les câbles électriques pour les éoliennes ou les structures de support pour les panneaux photovoltaïques, tout en s’orientant progressivement vers la fabrication de composants de plus en plus complexes. Aussi, si une part importante de ces composants est fabriquée localement, ce sont des dizaines de milliers d’emplois, directs et indirects, qui pourraient ainsi être créés. Dans le même temps, l’offre de travail qualifié doit augmenter, tant en quantité qu’en qualité. A terme, le succès des réformes du système éducatif conditionnera donc en partie le succès du secteur des énergies renouvelables.
S’agissant des autres secteurs économiques, l’agriculture notamment, la plupart dispose de leur propre plan de développement. Afin d’améliorer l’impact de ces plans sur le terrain, il serait opportun de renforcer leur cohérence d’ensemble afin de créer les synergies nécessaires pour maximiser leur efficacité. A cet égard, il serait opportun de penser à créer une structure publique de pilotage de l’ensemble de ces plans.

2. Le renforcement du rôle de l’Etat : pour un interventionnisme « intelligent » :
Dans une économie mondialisée en mutation rapide, le rôle de l’Etat doit être de favoriser l’extension des marchés et de soutenir la capacité de l’économie mondiale à affronter la concurrence internationale.
Aussi, l’Etat doit agir dans au moins trois directions :
 
a) Améliorer l’efficacité
de l’administration publique :

A ce titre, il est préconisé de créer une structure de pilotage, dépendant des plus hautes autorités gouvernementales, afin, comme indiqué ci-dessus, de mettre en cohérence les différentes stratégies sectorielles existantes, en termes d’horizon temporel, de moyens alloués, de coordination et de suivi dans la mise en œuvre. L’objectif de cette structure transversale serait de travailler en partenariat avec l’ensemble des départements productifs concernés pour améliorer l’efficacité en termes de résultats escomptés de ces stratégies.
 
b) Mieux cibler les dépenses
publiques d’investissement :

L’enjeu est d’une part de garantir, tous les ans, un pourcentage significatif du budget de l’Etat qui doit être alloué aux dépenses d’investissement. D’autre part, il s’agit de réallouer ces dépenses entre l’infrastructure de base (routes, énergie, systèmes de télécommunications de base, eau …) et l’infrastructure avancée (technologies d’information et de communication). Il s’agit également, à travers des fonds d’investissement dédiés, de favoriser le développement de certains secteurs spécifiques à forte valeur ajoutée et à haut potentiel de développement tels que les énergies renouvelables, les nanotechnologies, les biotechnologies, etc. Tout ceci aura pour effet de favoriser la reconstruction de nos structures de production et de favoriser la mutation de notre économie des activités intensives en main-d’œuvre non qualifiée, basées sur l’imitation de produits étrangers, vers des activités intensives en main-d’oeuvre qualifiée, basées sur l’innovation nationale.
 
c) Se doter d’une véritable
politique de l’innovation :

Force est de constater que malgré l’existence d’une politique de l’innovation au Maroc, les résultats restent largement en deçà des besoins du pays en matière de compétitivité internationale. Cette politique comporte des mesures visant à aider les différences phases du processus et les différents acteurs concernés (entreprises, chercheurs, etc.), suivant des mesures éprouvées au niveau international (appui au démarrage d’entreprises innovantes, à la constitution de pôles éco-industriels et aux collaborations recherche-industrie sur des projets de R&D). Toutefois, cette politique reste embryonnaire, et les moyens engagés restent relativement modestes par rapport aux enjeux. En effet, malgré certains progrès réalisés, l’effort de R&D, mesuré en proportion du PIB, demeure modeste (0,7% en moyenne au cours des dernières années). En outre, la grande majorité des brevets d’invention déposés auprès de l’OMPIC provient de non-résidents. Cela soulève la question du dynamisme des activités de R&D par les nationaux. Dans le même temps, le cadre réglementaire pour l’incitation à la recherche et à l’innovation, notamment concernant l’établissement d’un statut de chercheur, et l’encouragement de la recherche dans les entreprises, reste insuffisant, tout comme le cadre d’examen des demandes de brevets. Ces performances expliquent la faiblesse de la position du Maroc dans les indices mondiaux de l’innovation et de la connaissance. Selon l’indice de l’économie et du savoir de la Banque mondiale, le Maroc était en 102ème position sur 145 en 2012. Des résultats similaires sont donnés par le Forum économique mondial (2014) : le Maroc arrive en 85ème position sur 144 pour la qualité de la recherche scientifique et 118ème pour la capacité d’innovation. Aussi, l’image qui se dégage de ces différents indicateurs est celle d’un pays qui possède un environnement globalement favorable aux activités d’innovation, mais où des progrès conséquents restent à faire notamment au niveau du soutien financier aux projets innovants. De plus, la qualité de la main-d’œuvre reste insuffisante. La question qui se pose est donc de savoir comment accélérer le processus d’amélioration de la qualité des chercheurs.
Aussi, parmi les propositions pour améliorer la qualité de la recherche, il faudrait en premier augmenter la part de la R&D dans le PIB pour la porter à 2% à l’horizon 2025. Il faut également renforcer les liens entre les universités marocaines et leurs homologues étrangères; favoriser la création de clusters innovants sur le modèle des « cités de l’innovation»; et mettre en place des incitatifs fiscaux notamment pour encourager la recherche dans l’entreprise (crédits impôts recherche).

3. L’environnement des
affaires :

Malgré un certain nombre d’avancées qui ont permis au Maroc de gagner des places au niveau des classements internationaux en matière de facilité à faire des affaires (Doing Business), le Maroc continue à souffrir de plusieurs contraintes : accès au financement, accès au foncier et la régulation publique (fiscalité, formalités administratives, justice, code du travail …), le poids du secteur informel et la corruption.
Aussi, les recommandations en matière d’amélioration de l’environnement des affaires portent sur les éléments suivants: tout d’abord, s’agissant des infrastructures, dans la mesure où le Maroc a réalisé des progrès substantiels dans l’accès aux infrastructures de base, il convient d’investir dans l’infrastructure avancée, en particulier l’Internet à haut débit qui joue un rôle important dans la promotion de l’innovation.
S’agissant de l’accès au financement qui continue de poser un grand problème, particulièrement pour les PME, il s’agit principalement de limiter le niveau des garanties personnelles exigées des entrepreneurs, de développer de nouveaux instruments de financement innovants, tels que le capital-risque, le capital-investissement, les réseaux de «business angels», le financement participatif («crowdfunding»), le crédit-bail. Enfin, nous préconisons également la création d’une banque publique d’investissement dont l’objectif principal serait, à l’instar de ce qui a été initié en France, de favoriser le financement de projets pour les TPE/PME qui souffrent de problèmes en la matière.
S’agissant de la régulation publique, la fiscalité continue de poser problème dans notre pays. En effet, les données montrent une iniquité fiscale dans la mesure où la pression fiscale pèse en majorité sur les revenus du travail à hauteur de 35% en moyenne, alors que la fiscalité sur la consommation est en moyenne de 11% et celle sur les revenus du capital de 16% en moyenne. Aussi, l’enjeu est de faire converger, de manière progressive, le taux d’imposition sur le travail vers le taux d’imposition sur le capital. De manière précise, il convient de mettre en place une réforme de l’Impôt sur le revenu (IR) en abaissant de manière substantielle l’imposition sur les classes moyennes et en augmentant l’imposition sur les hauts salaires à travers la création de tranches de revenus supplémentaires. Il s’agit également de réformer l’Impôt sur les sociétés (IS) en mettant en place une véritable progressivité en fonction du chiffre d’affaires des entreprises. L’IS des banques doit revenir à son seuil initial de 39%. De la même manière, l’introduction d’un impôt sur le patrimoine doit être étudiée, idem pour la lutte contre les niches fiscales qui représentent un manque à gagner pour l’Etat de l’ordre de 35 milliards de dirhams. Enfin, la réforme de la TVA doit également être mise en œuvre avec comme double objectif la simplification et la mise en cohérence. Les actions proposées sont la création de 2 à 3 taux avec un taux de l’ordre de 7-8% pour les produits de première nécessité, un taux de 14-15% pour le reste des produits et un taux majoré pour les produits majorés. Selon les prévisions du Centre marocain de conjoncture (CMC), le potentiel fiscal de l’ensemble de ces mesures est estimé entre 40 et 60 milliards de dirhams. Ceci aura pour effet d’absorber partiellement le budget de la Caisse de compensation, de sécuriser tous les ans un seuil significatif en termes de dépenses publiques et de permettre la création des conditions optimales pour mettre en place une véritable politique d’inclusion sociale.
4. La mise en place des réformes de structure : les réformes du marché du travail et du système d’éducation :
Malgré l’adoption du Code du travail en 2004 qui va dans le sens d’une modernisation du marché du travail, celui-ci reste sujet à de nombreuses distorsions, à savoir : un salaire minimum élevé par rapport au revenu par habitant; des restrictions fortes au licenciement; des coûts non salariaux de main-d’œuvre élevés, etc. Ainsi, l’indice de rigidité du Maroc à l’embauche et au licenciement reste l’un des plus élevés de la région MENA. Aussi, il est temps d’ouvrir un débat national sur une réforme du marché du travail à travers une modernisation du Code du travail qui doit proposer de nouveaux outils et instruments de régulation sociale qui vont dans le sens d’un renforcement de la compétitivité sociale du pays et d’un renforcement du dialogue social.
Un autre problème est celui de la qualité de la main-d’œuvre. Mesurés en termes de niveaux d’éducation, les résultats sont peu probants comparés à ceux de pays à niveaux de revenus similaires. Aussi, la faible qualité de l’éducation reste une contrainte majeure sur la croissance. Un effort soutenu doit être mené au cours des prochaines années pour adapter à la fois la quantité et la qualité de la main-d’œuvre aux mutations imposées par l’environnement économique mondial. Une main-d’œuvre de qualité sera de nature à attirer durablement les flux d’investissements directs étrangers. Aussi, le renforcement de la qualité du système éducatif peut donc créer un cercle vertueux, susceptible d’accélérer le processus de transformation industrielle du pays et de contribuer à une hausse durable du taux de croissance économique. A ce titre, la nouvelle stratégie de développement du système d’éducation-formation à l’horizon 2030 devra être suivie de près.
 
Conclusion
Au final, on peut considérer que cette stratégie, si elle est mise en œuvre de manière rapide, permettrait d’accélérer le taux de croissance annuel du Maroc actuellement d’environ 4% à plus de 6%. Si elle est implémentée avec succès, elle permettrait de créer, selon l’intensité des réformes (marché du travail notamment), entre 160.000 et 200.000 emplois nets par an (contre 120.000 actuellement), et se traduirait par un quasi-doublement du revenu par tête sur dix ans.
Cette stratégie de croissance inclusive serait de nature à mettre le Maroc durablement sur la voie de l’émergence économique.

 * Professeur de l’enseignement
supérieur, groupe ISCAE


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