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Libé : Comment se portent aujourd’hui les Syriens en Turquie ?
Omar Kadhoy : Nous pouvons dire, d’une manière générale, que la situation de la population syrienne est positive. Mais cela n’empêche pas qu’il y a des hauts et des bas qui sont en relation avec l’évolution de la situation politique interne et externe de la Turquie. Aujourd’hui, cette dernière compte 3,5 millions de Syriens dont un tiers (soit 1,8 million de personnes) sont âgés entre 5 et 18 ans, c’est-à-dire l’âge de scolarisation.
Pourtant, seuls 680.000 d’entre eux sont inscrits dans les écoles turques. Les deux tiers des Syriens en Turquie sont en âge minimum d’accès au travail (entre 15 et 62 ans). Certaines études indiquent que le nombre de la main-d’œuvre syrienne informelle dans le marché d’emploi turc avoisine un million de travailleurs.
Cette question constitue l’un des sujets sensibles qui divisent la société turque puisque la population locale pense que ces réfugiés prennent les emplois des travailleurs turcs dans un contexte où l’employeur turc préfère plutôt un employé syrien considéré comme moins cher notamment dans la conjoncture économique actuelle.
Ces Syriens sont également considérés par une frange de la population turque comme une charge puisqu’ils ne paient pas d’impôt. A noter que malgré l’octroi aux réfugiés syriens d'un droit d'accès au travail formel depuis 2012, à ce jour, moins de 3% des Syriens en âge de travail en bénéficient.
La bureaucratie, le manque d’information, l'ignorance du droit et le problème de la langue sont pointés comme les principales causes responsables de la faiblesse du nombre d’autorisations de travail délivrées.
Selon un sondage effectué par le Centre turc des politiques économiques, auprès de 3.033 personnes dans 12 provinces afin d’analyser l’impact du Covid-19 sur le marché d’emploi, 36,5% des Syriens interviewés ont indiqué qu’ils ont été soit licenciés, soit obligés de prendre des congés non payés ou contraints de fermer leurs boutiques. Seuls 6% des Syriens ont déclaré avoir bénéficié des services dispensés par les municipalités contre 13% de Turcs qui ont dit bénéficier des aides financières du ministère de l’Emploi, de la Famille et des Services sociaux estimées à 1.000 lires turques.
Quels sont les principaux défis imposés aujourd’hui par la présence des réfugiés syriens en Turquie ?
Le grand défi aujourd’hui est celui de l’intégration de ces réfugiés puisqu’une grande majorité d’entre eux ne comptent pas revenir chez eux même en cas de fin de la guerre en Syrie, comme en témoigne leur refus de s’installer dans les quarantaines de villages modernes construits lors de la dernière intervention militaire turque dans le Nord de la Syrie afin de créer une zone sécurisée.
Qu’en est-il des engagements européens envers la Turquie et les réfugiés syriens ? L’UE considère la Turquie comme un partenaire chargé de garder sur ses territoires les candidats à la migration contre des incitations financières, économiques et politiques (adhésion à l’UE, liberté de circulation pour les citoyens turcs vers l’UE, la mise à jour de l’accord de commerce signé dans les années 90…).
En 2016, l’UE avait promis d’accorder six milliards d’euros à Ankara, en deux tranches. Quatre ans après l’entrée en vigueur de cet accord, la Turquie n’a reçu que trois milliards d’euros. En effet, chacune des deux parties a son propre point de vue sur la façon dont ces six milliards doivent être versés et gérés.
Pour Ankara, il a été primordial de recevoir la totalité du montant de l’accord et de le débourser comme bon lui semble. A l’inverse, l’UE exige une transparence complète et un audit, ce qui a été considéré par le gouvernement truc comme une ingérence dans ses affaires internes. Ceci d’autant plus qu’aucune progression notable n’a été enregistrée concernant l’adhésion de la Turquie à l’UE, la liberté de circulation pour les citoyens turcs et l’amélioration de l’accord de commerce. L’UE impute souvent à son partenaire turc la responsabilité de la dégradation de l’Etat de droit en Turquie et l’accuse de commettre de graves violations des droits de l’Homme (incarcération des opposants politiques, arrestation des journalistes et activistes civils, restrictions sur la liberté de la presse et la liberté d’expression, interdiction des rassemblements pacifiques…).
Un argument qui ne tient pas la route, pour autant, puisque la même UE n’a pas condamné les violations graves des droits de l’Homme survenues dernièrement en mer Egée commises par les garde-côtes grecs, contre les embarcations de migrants désirant rejoindre la Grèce et qui sont allés jusqu’à tirer des coups de feu sur lesdites embarcations. Les droits de l’Homme ne peuvent être respectés que si on laisse de côté le principe de deux poids deux mesures.
Quid de l’opinion publique turque dix ans après l’éclatement de la crise syrienne ?
Les Turcs sont unanimes sur la nécessité du retour des Syriens vers leur pays. Cette position de l’opinion publique turque est motivée en grande partie par des considérations économiques puisqu’une grande majorité des Turcs impute la responsabilité de la dégradation de la situation économique aux Syriens.
Aujourd’hui, les taux d’inflation et du chômage ont atteint leur niveau le plus élevé depuis 20 ans. Le parti au pouvoir, le Parti de la justice et du développement (AKP), qui a toujours été en faveur de l’accueil des réfugiés syriens, a changé aujourd’hui de camp.
Ce changement constitue un véritable tournant dans la position du gouvernement depuis 2012 et qui a été en faveur d’« un accueil provisoire des Syriens ». Aujourd’hui, l’AKP surfe sur l’état d’esprit de l’opinion publique turque et l’instrumentalise en procédant à une intervention militaire dans le nord de la Syrie sous prétexte de préserver la sécurité de l’Etat turc via la création de zones purifiées des terroristes et permettant aux Syriens de revenir en paix chez eux. Pourtant, quatre ans après la première intervention militaire turque (l'opération Bouclier de l'Euphrate qui a eu lieu du 24 août 2016 au 29 mars 2017) et les autres qui s’en sont suivies, un demi-million de Syriens seulement ont accepté de retourner chez eux.
Fin février dernier, le président turc, Recep Tayyip Erdogan, a décidé d’ouvrir les frontières avec la Grèce et de ne plus retenir les migrants sur son territoire. Comment les réfugiés syriens ontils accueilli cette décision ?
Cette ouverture a constitué un non-évènement pour plusieurs d’entre eux. En effet, nombreux sont les rapports et témoignages de la société civile qui ont indiqué que les Syriens n’ont pas afflué en masse vers la frontière gréco-turque. Ceci converge nettement avec la position commune de plusieurs Syriens qui consiste à rester sur le sol turc plutôt que d’aller ailleurs.
Ce qui prouve, en outre, que les projets et services accordés par la Turquie en collaboration avec l’UE ont créé un climat de stabilité au profit des réfugiés syriens. A l’inverse, ce sont les citoyens d‘autres pays qui se sont précipités vers les frontières, ce qui démontre qu’ils sont exclus partiellement des projets financés par l’UE ou le gouvernement turc.
Que pensez-vous de la hausse des cas de racisme à l’égard des Syriens ?
On ne peut pas parler d’une augmentation, mais il y a des cas isolés. Le vrai problème, c’est que les médias trucs accordent beaucoup d’intérêt à ce genre d’affaire, ce qui rend l’acceptation des Syriens en Turquie de plus en plus difficile et entrave la cohésion sociale.
Propos recueillis par Hassan Bentaleb
Omar Kadhoy : Nous pouvons dire, d’une manière générale, que la situation de la population syrienne est positive. Mais cela n’empêche pas qu’il y a des hauts et des bas qui sont en relation avec l’évolution de la situation politique interne et externe de la Turquie. Aujourd’hui, cette dernière compte 3,5 millions de Syriens dont un tiers (soit 1,8 million de personnes) sont âgés entre 5 et 18 ans, c’est-à-dire l’âge de scolarisation.
Pourtant, seuls 680.000 d’entre eux sont inscrits dans les écoles turques. Les deux tiers des Syriens en Turquie sont en âge minimum d’accès au travail (entre 15 et 62 ans). Certaines études indiquent que le nombre de la main-d’œuvre syrienne informelle dans le marché d’emploi turc avoisine un million de travailleurs.
Cette question constitue l’un des sujets sensibles qui divisent la société turque puisque la population locale pense que ces réfugiés prennent les emplois des travailleurs turcs dans un contexte où l’employeur turc préfère plutôt un employé syrien considéré comme moins cher notamment dans la conjoncture économique actuelle.
La population locale pense que
les réfugiés syriens prennent
les emplois des travailleurs turcs
les réfugiés syriens prennent
les emplois des travailleurs turcs
Ces Syriens sont également considérés par une frange de la population turque comme une charge puisqu’ils ne paient pas d’impôt. A noter que malgré l’octroi aux réfugiés syriens d'un droit d'accès au travail formel depuis 2012, à ce jour, moins de 3% des Syriens en âge de travail en bénéficient.
La bureaucratie, le manque d’information, l'ignorance du droit et le problème de la langue sont pointés comme les principales causes responsables de la faiblesse du nombre d’autorisations de travail délivrées.
Selon un sondage effectué par le Centre turc des politiques économiques, auprès de 3.033 personnes dans 12 provinces afin d’analyser l’impact du Covid-19 sur le marché d’emploi, 36,5% des Syriens interviewés ont indiqué qu’ils ont été soit licenciés, soit obligés de prendre des congés non payés ou contraints de fermer leurs boutiques. Seuls 6% des Syriens ont déclaré avoir bénéficié des services dispensés par les municipalités contre 13% de Turcs qui ont dit bénéficier des aides financières du ministère de l’Emploi, de la Famille et des Services sociaux estimées à 1.000 lires turques.
110.000 Syriens ont réussi à avoir
la nationalité turque dont un grand
nombre est âgé de moins de 18 ans
Sur un autre plan, 110.000 Syriens ont réussi à avoir la nationalité turque dont un grand nombre est âgé de moins de 18 ans. Le gouvernement turc reste muet sur les critères de choix de ces Syriens. En effet, il n’y a pas d’informations concernant leur niveau scolaire et professionnel et personne ne sait si ces personnes répondent effectivement ou pas aux conditions de naturalisation édictées par la loi en vigueur. A noter, toutefois, qu’une grande majorité des Turcs, tous horizons politiques confondus, sont contre la naturalisation des Syriens. Ils refusent une installation durables de ces derniers dans leur pays et rejettent l’idée d’être traités sur un même pied d’égalité avec eux. la nationalité turque dont un grand
nombre est âgé de moins de 18 ans
Quels sont les principaux défis imposés aujourd’hui par la présence des réfugiés syriens en Turquie ?
Le grand défi aujourd’hui est celui de l’intégration de ces réfugiés puisqu’une grande majorité d’entre eux ne comptent pas revenir chez eux même en cas de fin de la guerre en Syrie, comme en témoigne leur refus de s’installer dans les quarantaines de villages modernes construits lors de la dernière intervention militaire turque dans le Nord de la Syrie afin de créer une zone sécurisée.
Qu’en est-il des engagements européens envers la Turquie et les réfugiés syriens ? L’UE considère la Turquie comme un partenaire chargé de garder sur ses territoires les candidats à la migration contre des incitations financières, économiques et politiques (adhésion à l’UE, liberté de circulation pour les citoyens turcs vers l’UE, la mise à jour de l’accord de commerce signé dans les années 90…).
En 2016, l’UE avait promis d’accorder six milliards d’euros à Ankara, en deux tranches. Quatre ans après l’entrée en vigueur de cet accord, la Turquie n’a reçu que trois milliards d’euros. En effet, chacune des deux parties a son propre point de vue sur la façon dont ces six milliards doivent être versés et gérés.
Pour Ankara, il a été primordial de recevoir la totalité du montant de l’accord et de le débourser comme bon lui semble. A l’inverse, l’UE exige une transparence complète et un audit, ce qui a été considéré par le gouvernement truc comme une ingérence dans ses affaires internes. Ceci d’autant plus qu’aucune progression notable n’a été enregistrée concernant l’adhésion de la Turquie à l’UE, la liberté de circulation pour les citoyens turcs et l’amélioration de l’accord de commerce. L’UE impute souvent à son partenaire turc la responsabilité de la dégradation de l’Etat de droit en Turquie et l’accuse de commettre de graves violations des droits de l’Homme (incarcération des opposants politiques, arrestation des journalistes et activistes civils, restrictions sur la liberté de la presse et la liberté d’expression, interdiction des rassemblements pacifiques…).
Un argument qui ne tient pas la route, pour autant, puisque la même UE n’a pas condamné les violations graves des droits de l’Homme survenues dernièrement en mer Egée commises par les garde-côtes grecs, contre les embarcations de migrants désirant rejoindre la Grèce et qui sont allés jusqu’à tirer des coups de feu sur lesdites embarcations. Les droits de l’Homme ne peuvent être respectés que si on laisse de côté le principe de deux poids deux mesures.
Quid de l’opinion publique turque dix ans après l’éclatement de la crise syrienne ?
Les Turcs sont unanimes sur la nécessité du retour des Syriens vers leur pays. Cette position de l’opinion publique turque est motivée en grande partie par des considérations économiques puisqu’une grande majorité des Turcs impute la responsabilité de la dégradation de la situation économique aux Syriens.
Aujourd’hui, les taux d’inflation et du chômage ont atteint leur niveau le plus élevé depuis 20 ans. Le parti au pouvoir, le Parti de la justice et du développement (AKP), qui a toujours été en faveur de l’accueil des réfugiés syriens, a changé aujourd’hui de camp.
Ce changement constitue un véritable tournant dans la position du gouvernement depuis 2012 et qui a été en faveur d’« un accueil provisoire des Syriens ». Aujourd’hui, l’AKP surfe sur l’état d’esprit de l’opinion publique turque et l’instrumentalise en procédant à une intervention militaire dans le nord de la Syrie sous prétexte de préserver la sécurité de l’Etat turc via la création de zones purifiées des terroristes et permettant aux Syriens de revenir en paix chez eux. Pourtant, quatre ans après la première intervention militaire turque (l'opération Bouclier de l'Euphrate qui a eu lieu du 24 août 2016 au 29 mars 2017) et les autres qui s’en sont suivies, un demi-million de Syriens seulement ont accepté de retourner chez eux.
Fin février dernier, le président turc, Recep Tayyip Erdogan, a décidé d’ouvrir les frontières avec la Grèce et de ne plus retenir les migrants sur son territoire. Comment les réfugiés syriens ontils accueilli cette décision ?
Cette ouverture a constitué un non-évènement pour plusieurs d’entre eux. En effet, nombreux sont les rapports et témoignages de la société civile qui ont indiqué que les Syriens n’ont pas afflué en masse vers la frontière gréco-turque. Ceci converge nettement avec la position commune de plusieurs Syriens qui consiste à rester sur le sol turc plutôt que d’aller ailleurs.
Ce qui prouve, en outre, que les projets et services accordés par la Turquie en collaboration avec l’UE ont créé un climat de stabilité au profit des réfugiés syriens. A l’inverse, ce sont les citoyens d‘autres pays qui se sont précipités vers les frontières, ce qui démontre qu’ils sont exclus partiellement des projets financés par l’UE ou le gouvernement turc.
Que pensez-vous de la hausse des cas de racisme à l’égard des Syriens ?
On ne peut pas parler d’une augmentation, mais il y a des cas isolés. Le vrai problème, c’est que les médias trucs accordent beaucoup d’intérêt à ce genre d’affaire, ce qui rend l’acceptation des Syriens en Turquie de plus en plus difficile et entrave la cohésion sociale.
Propos recueillis par Hassan Bentaleb
Biographie d’Omar Kadhoy
Omar Kadhoy est titulaire d’un diplôme en administration des affaires de l’Université internationale des sciences et des technologies. Il travaille actuellement comme chercheur au think-tank The Economic policy research foundation of Turkey (TEPAV) sur la situation des réfugiés syriens en Turquie. Préalablement, il avait pris part à divers projets concernant l’éducation et la formation ainsi que les relations économiques entre le Sud-est européen et la Turquie.