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Militaire, islamiste, champion des pétrodollars ou criminel recherché: l'ex dirigeant soudanais Omar El-Béchir, condamné samedi à deux ans de détention dans un centre correctionnel pour corruption après son éviction du pouvoir, a montré différents visages en 30 ans de règne autoritaire. Célèbre pour les pas de danse qu'il n'hésitait pas à entreprendre en public, l'homme n'a jamais manqué d'assurance, assumant sans hésitation chacune de ses postures politiques. Quelques jours seulement avant d'être destitué le 11 avril par l'armée sous la pression de la rue, Omar El-Béchir haranguait encore la foule, en tenue safari et faisant tournoyer sa canne au dessus de sa tête coiffée d'un turban. Pour l'opinion internationale, l'ex dictateur, qui a écrasé impitoyablement toute rébellion ou opposition depuis son accession au pouvoir en 1989 par un coup d'Etat, a surtout pris le visage d'un criminel recherché. Dans le conflit du Darfour à partir de 2003, les milices arabes pro-régime Janjawid terrorisent la population de la province occidentale. Bilan selon l'ONU: 300.000 morts et 2,5 millions de déplacés. La Cour pénale internationale (CPI) émet alors en 2009 un mandat d'arrêt à l'encontre de M. Béchir pour "crimes de guerre", "crimes contre l'humanité" au Darfour, et pour "génocide" depuis 2010. L'intéressé met ensuite un point d'honneur à narguer l'institution internationale en paradant lors de visites à l'étranger, en Arabie saoudite ou en Egypte. Mais c'est une affaire de corruption, pour des fonds perçus auprès du prince héritier d'Arabie saoudite Mohamed ben Salmane, qui lui a valu d'être samedi jugé et condamné à deux ans de détention dans un centre correctionnel pour personnes âgées, par un tribunal spécial. Le gouvernement de transition, installé en septembre, n'a pas à ce jour autorisé son extradition vers la Haye où siège la CPI. Crâne dégarni, large moustache et silhouette enrobée, Omar Hassan Ahmad el-Béchir, 75 ans, a deux femmes mais pas d'enfant. Il est né dans la petite ville d'Hosh Bannaga, à près de 200 km au nord de Khartoum, dans ce qui était alors le Soudan anglo-égyptien. Issu d'une famille pauvre, il appartient à la tribu des Al-Bedairyya AlDahmashyya, l'une des plus puissantes du pays. Formé à l'académie militaire en Egypte, il participe en 1973 à la guerre contre Israël aux côtés de l'armée égyptienne. Le 30 juin 1989, entouré d'un groupe d'officiers, il saisit le pouvoir à Khartoum, en renversant le gouvernement démocratiquement élu de Sadek al-Mahdi. M. Béchir est alors appuyé par le Front islamique national, le parti de son mentor Hassan Al-Tourabi. Sous l'influence de ce dernier, il oriente le Soudan --pays morcelé en une pléthore de tribus et alors divisé entre le Nord majoritairement musulman et le Sud peuplé de chrétiens-- vers l'islam radical. Khartoum devient la plaque tournante de l'internationale islamiste, accueillant notamment le chef d'Al-Qaïda, Oussama ben Laden, avant de l'expulser en 1996 sous la pression des Etats-Unis. Puis, à la fin des années 90, M. Bé- chir se démarque d'Al-Tourabi et tourne le dos à l'islamisme radical pour améliorer ses relations avec ses adversaires et voisins. "Béchir est devenu habile avec le temps, il a appris le métier, au départ, ce n'était pas une personnalité de premier plan", se souvient Marc Lavergne, directeur de recherches au CNRS, spécialiste de la Corne de l'Afrique. A l'apogée de son pouvoir, il bénéficie dans les années 2000 de la manne pétrolière qui afflue et renforce encore son emprise sur le pays. En 2005, en plein conflit au Darfour, il signe l'accord de paix avec les rebelles du Sud qui ouvre la voie à un partage du pouvoir et à un référendum sur l'indépendance de cette région. Celle-ci deviendra en 2011 le Soudan du Sud. Les réserves pétrolières étant concentrées dans le sud, Omar El-Béchir perd un atout de poids, et entame son déclin alors que le pays s'enfonce peu à peu dans une grave crise économique. Longtemps allié de l'Iran, qui l'a aidé à mettre en place son appareil sécuritaire, M. Béchir tente un dernier pari en rejoignant le camp du grand rival régional, l'Arabie saoudite, jugée meilleure alliée après le choc des révolutions arabes en 2011. "Béchir a toujours louvoyé pour survivre à travers les conflagrations du monde arabe", résume Marc Lavergne. En 2013, un soulèvement lié au coût de la vie est rapidement écrasé par le régime. Ce n'est qu'en avril 2019, après quelques mois de manifestations de rue, que la contestation aura raison de lui. Après avoir été élu deux fois président dans des scrutins boycottés par l'opposition, en 2010 et 2015, M. Béchir comptait briguer un troisième mandat en 2020.