Emmanuel Dupuy : On ne peut que se réjouir que la médiation marocaine pour libérer quatre citoyens français ait abouti


Youssef Lahlali
Mercredi 25 Décembre 2024

Emmanuel Dupuy : On ne peut que se réjouir que la médiation marocaine pour libérer quatre citoyens français ait abouti
Emmanuel Dupuy est le président de  l’Institut prospective et sécurité en Europe (IPSE). Expert des questions de sécurité européenne et de relations internationales, il est également l'un des grands spécialistes des relations franco-marocaines.
Dans cet entretien, il nous fait part de son sentiment quant à  la médiation menée par Sa Majesté le Roi Mohammed VI pour la libération des otages français retenus au Burkina Faso.


Libé : Votre commentaire sur la médiation marocaine pour libérer les quatre ressortissants français qui étaient détenus au Burkina Faso depuis un an.

Emmanuel Dupuy : Je crois que le président Emmanuel Macron a remercié comme il se doit le Roi du Maroc pour cette médiation. La France avait du mal à obtenir quoi que ce soit du régime d'Ibrahim Traoré, puisqu’il y a eu une interprétation divergente entre la version de Ouagadougou et celle de Paris. Paris percevait leur situation comme celle d’otages indûment arrêtés, tandis qu’Ibrahim Traoré estimait qu’il s’agissait d’agents de la DGSE venus au Burkina Faso pour fomenter une tentative de déstabilisation.

Donc, c'était un dossier très politique. Il faut se réjouir du fait que le Roi du Maroc, grâce à sa capacité et à ses relations très bonnes avec les autorités burkinabè – relations que nous n’avons évidemment plus depuis 2022 et l’arrivée au pouvoir de la junte militaire –, a pu intervenir efficacement. Il faut également souligner que la France peut désormais compter sur le Maroc pour obtenir des résultats dans des situations où elle ne peut plus dialoguer directement avec certains pays, notamment depuis les coups d’Etat militaires au Mali en 2020, au Burkina Faso en 2022, et au Niger en 2023.

Cette médiation marocaine a-t-elle été perçue favorablement par la classe politique française?

 On ne peut que se réjouir du fait que cette médiation ait abouti. Cela est d’autant plus appréciable que, encore une fois, le sort réservé à ces quatre ressortissants variait selon l’interprétation fallacieuse qu’en faisait le Burkina Faso.

Le président Emmanuel Macron sera ce mercredi à Djibouti, l’une des grandes bases en Afrique, et il effectuera une visite en Ethiopie. Ce déplacement reflète-t-il l’intérêt de la France pour cette région de l’Afrique de l’Est marquée par de nombreuses tensions ?

Cela confirme que nos emprises militaires ne se limitent pas à l’Afrique de l’Ouest ou au golfe de Guinée. Nous avons encore près de 1.200 soldats à Djibouti, et l’accord de défense signé après l’indépendance de Djibouti en 1977 a été renouvelé. Nos cinq emprises militaires et la présence de nos soldats sur le territoire djiboutien ont été confirmées après de longues négociations.

Un autre enjeu concerne l’élection à venir du président de la Commission de l’Union africaine, où Mohamed Ali Youssouf, le ministre des Affaires étrangères de Djibouti, est un candidat sérieux. Ce déplacement est donc aussi un moyen de conforter ce soutien, même si la France ne peut officiellement intervenir dans ce processus.

Enfin, il ne faut pas oublier que l’Afrique de l’Est, notamment l’Ethiopie, accueille le siège de l’Union africaine. Cependant, ce déplacement ne reflète pas une réorientation majeure de la diplomatie française vers l’Afrique de l’Est. Si une réorientation était envisagée en raison des échecs récents au Sahel, elle viserait davantage l’Afrique australe, autour de pays comme l’Angola, la Namibie, l’Afrique du Sud, et le Mozambique.
Cela dit, il convient de noter les tensions géopolitiques dans la région, notamment avec les Comores, dont le président critique le "deux poids, deux mesures" de la France. Le cyclone Chido a durement frappé Mayotte, mais aussi le nord-est du Mozambique et l’archipel des Comores, ce qui ajoute aux complexités diplomatiques.

La France aura-t-elle des relations encore plus compliquées avec les pays africains ?

La France développera de nouvelles relations avec les pays africains. Réduire cette relation à une présence militaire serait une vision tronquée. Certes, nous rencontrons des difficultés dans trois pays (Mali, Burkina Faso, Guinée), qui ne sont d’ailleurs pas des démocraties. Mais la relation entre la France et le continent africain ne se résume pas à ces contextes particuliers.

La France reste légitime dans son ancrage multidimensionnel en Afrique. Elle critique le fait que, depuis bientôt cinq ans, ces régimes ne sont pas légitimes, mais cela ne remet pas en cause sa volonté d’établir des partenariats solides avec d’autres nations africaines.

Paris : Entretien réalisé par Youssef Lahlali


Lu 309 fois


Nouveau commentaire :

Votre avis nous intéresse. Cependant, Libé refusera de diffuser toute forme de message haineux, diffamatoire, calomnieux ou attentatoire à l'honneur et à la vie privée.
Seront immédiatement exclus de notre site, tous propos racistes ou xénophobes, menaces, injures ou autres incitations à la violence.
En toutes circonstances, nous vous recommandons respect et courtoisie. Merci.




services