Gisèle Pelicot : Une victime debout, devenue icône de la cause des femmes


Libé
Dimanche 22 Décembre 2024

Gisèle Pelicot : Une victime debout, devenue icône de la cause des femmes
"Une héroïne féministe", selon le New York Times: devenue l'incarnation des victimes de violences sexuelles, Gisèle Pelicot est une femme "détruite" mais une femme debout, la tête haute face à ses bourreaux, qui a pris la place centrale au procès en France des viols en série de Mazan.

Le 2 septembre, à l'ouverture des débats à Avignon, dans le sud de la France, la septuagénaire n'est encore que la victime d'un dossier hors norme: une épouse, mère de famille et grand-mère, droguée aux anxiolytiques pendant une décennie par son mari, ce "super mec" avec qui elle a partagé 50 ans de sa vie, puis violée par celui-ci et des dizaines d'hommes qu'il recrutait sur internet.

Le grand public et les médias du monde entier venus couvrir cette affaire symbolique de la question de la soumission chimique découvrent alors cette femme à la silhouette menue, cheveux roux coupés au carré, le regard caché derrière des lunettes noires.

Mais pas question pour elle d'offrir à ses agresseurs des débats anonymes derrière les murs de la Cour criminelle de Vaucluse. Gisèle Pelicot refuse le huis clos, pourtant demandé par le parquet et auquel ont droit les victimes de viol. "La honte ce n'est pas à nous de l'avoir, c'est à eux", expliquera-t-elle à la barre.
"Gisèle, les femmes te remercient", répondent rapidement des messages collés sur les murs de la cité des papes.
En l'espace de trois mois, elle devient "la nouvelle icône de la France", explique l'hebdomadaire allemand Die Zeit alors que le procès touche à sa fin.

Retenue par la BBC dans son classement des 100 femmes les plus influentes de l'année, aux côtés de l'actrice américaine Sharon Stone ou du prix Nobel de la paix 2018 Nadia Murad, cette jeune Yazidie qui lutte pour "mettre fin à l'emploi des violences sexuelles en tant qu'armes de guerre", Gisèle Pelicot a assisté presque quotidiennement aux débats, affrontant du regard son désormais ex-mari et les 50 autres hommes jugés avec lui.

La jeune fille timide, la jeune femme qui aurait rêvé d'être coiffeuse mais avait finalement fait des études de sténo-dactylo, la mère de famille dévouée, qui mettait toujours son mari en avant, la retraitée qui aimait aller marcher et chanter à la chorale, a décidé de livrer le combat.

Face à Dominique Pelicot, son ex-mari, qui explique avoir voulu assouvir son "fantasme" de "soumettre une femme insoumise", Gisèle Pelicot dénonce "une société machiste et patriarcale", appelant à "changer le regard sur le viol".

"Humiliée" par les sous-entendus de certains avocats de la défense, selon qui elle était peut-être consentante dans un supposé scénario libertin, Gisèle Pelicot, qui a eu 72 ans pendant le procès, ne se laisse pas déstabiliser: "Je trouve cela insultant, et je comprends pourquoi les victimes de viol ne portent pas plainte".

Désormais officiellement divorcée de son mari, qui a reconnu les faits, la septuagénaire a repris son nom de jeune fille et déménagé, loin de Mazan, cette commune de 6.000 habitants au pied du mont Ventoux où elle avait été traitée comme "un bout de viande", "une poupée de chiffons", comme elle l'a dit aux enquêteurs puis à l'audience.
Et elle tente de se reconstruire.

Fille d'un militaire de carrière, née dans le sud-ouest de l'Allemagne, à Villingen, le 7 décembre 1952 et arrivée en France à l'âge de cinq ans, elle a neuf ans quand sa mère décède d'un cancer, à 35 ans. "Mais dans ma tête j'avais déjà 15 ans, j'étais déjà un petit bout de femme", se souvient-elle, racontant une vie avec "peu d'amour".

Quand son frère Michel décède, en 1971, d'un infarctus, elle n'a pas 20 ans. En 1971, c'est aussi la rencontre avec Dominique Pelicot, un jeune homme conduisant une 2CV rouge. "Un chic type", son futur mari et violeur.

Après plusieurs années d'intérim, elle intègre EDF. Une entreprise où elle fait toute sa carrière, en région parisienne, terminant cadre dans un service de logistique pour les centrales nucléaires. A côté, c'est une vie simple, la famille, ses trois enfants, dont sa fille Caroline qui s'est battue pour mettre sur la place publique ce sujet de la soumission chimique, ses sept petits enfants, et un peu de gymnastique.

Mais le 2 novembre 2020, quand elle apprend tout, après l'arrestation de son mari pris sur le fait en train de filmer sous les jupes des femmes dans un supermarché, "son monde s'effondre". Les milliers de photos et vidéos de ses viols sont découvertes, minutieusement stockées dans l'ordinateur de son mari.

"Je suis une femme totalement détruite", "la façade est solide, mais l'intérieur c'est un champ de ruines", témoigne-t-elle à la barre.

Une certitude, pour Me Béatrice Zavarro, avocate de son ex-mari, ce procès constituera "un épisode essentiel dans l'évolution du sujet qu'est le viol". Avec "un premier palier qui est Gisèle Halimi (avocate d'un procès emblématique en France en 1978 qui contribua à faire reconnaître le viol comme un crime, NDLR), et un deuxième palier qui sera Gisèle Pelicot".


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