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Niagalé Bagayoko est politologue et présidente de l’African Security Sector Network, une organisation panafricaine regroupant des spécialistes de la réforme des systèmes de sécurité. Dans cet entretien, elle nous parle de la situation de nombreuses zones de conflit en Afrique.
Dans votre exposé au Forum mondial de Normandie pour la paix, vous avez dit que l’Etat postcolonial est fini en Afrique et que ce n’est pas un modèle qui peut générer sécurité et développement. Comment êtesvous arrivée à cette conclusion?
Je n’ai pas exactement dit ça, j’ai dit que l’Etat post-colonial est remis en cause dans la mesure où il est perçu par les populations comme ayant failli à de très nombreux égards, c’est-à-dire en termes de démocratisation, d’éducation, d’urbanisation, de décentralisation et de sécurité. Par ailleurs, on s’aperçoit que l’Etat est en grande partie perçu comme prédateur plutôt que comme protecteur, au niveau économique et social notamment.Ils’agit d’une élite où certains de ses fonctionnaires civils ou militaires inscrivent leur action dans un système de gouvernance largement fondé sur la cooptation ou sur des pratiques de rente et de redistribution de celle-ci, de manière communautaire,si ce n’est de captation individuelle. Il y a aussi des mécanismes de redistribution qu’il ne faut pas négliger. Aujourd’hui, on s’aperçoit qu’il y a une défiance vis-à-vis de cette forme d’Etat qui se manifeste de différentes façons : des insurrections comme le djihadisme, d’autres de type autonomiste, indépendantiste comme c’est le cas de certains groupes armés, qui prennent la forme d’insurrections populaires. On s’aperçoit également que le contrat social sur lequel est censé se fonder l’autorité de l’Etat est lui aussi mis à mal. Dans la mesure où les communautés à la fois d’un point de vue intra-communautaire ou inter-communautaire sont de plus en plus fragmentées.
N’êtes-vous pas en train de décrire la situation du Mali en quelque sorte?
Les communautés sont de plus en plus fragmentées, fragmentation de type confessionnel y compris à l’intérieur d’une même religion. Au Burkina Faso heureusement, on arrive encore à conserver une certaine cohésion de ce point de vue-là, mais il y a une fragmentation de type intergénérationnel et interprofessionnel. La question aujourd’hui me paraît vraiment être au-delà du rétablissement de l’autorité de l’Etat en tant que tel. De nombreux programmes cherchent à le faire à travers l’intervention militaire via le renforcement des capacités militaires ou des interventions plus axées sur la réconciliation dans le cadre des Nations unies. On s’aperçoit que la restauration de l’Etat est au cœur de ces problématiques, alors que c’est vraiment le contrat social sur lequel il faut travailler. Est-ce que je suis en train de parler du Mali ? Bien entendu, mais malheureusement pas uniquement. C’est une situation qui caractérise de façon croissante le Burkina Faso et dans une moindre mesure le Niger. Si vous prenez le cas de la République Centreafricaine,malheureusement cette situation prévaut depuis près de deux décennies. Idem en République Démocratique du Congo (RDC).
A votre avis, l’intervention française a-t-elle amélioré la situation ou plutôt l’a dégradée?
Je dirais que ça dépend de quel point de vue on se place. Il y a plusieurs façons de lire cette intervention.Du point de vue opérationnel, on peut considérer qu’il y a de plus en plus de neutralisation des djihadistes. Du point de vue du Conseil du voyageur du Quai d’Orsay, et en comparant la situation de 2012 avec celle d’aujourd’hui, on note une dégradation extrêmement claire.Tout le pays à l’exception de la capitale est représenté en couleur rouge.... On s’aperçoit aussi que la plupart des populations ne profitent pas de cette présence, voire aussi certaines catégories de personnes comme les humanitaires qui, au-delà de l’attaque de Koyré au Niger qui est particulière, font l’objet très fréquemment dans la région sahélienne si ce n’est d’exactions, en tout cas d’enlèvements ou de vols de matériel. On s’aperçoit, par ailleurs, de l’emprise territoriale de certains groupes, pas seulement djihadistes, mais d’autres qui contestent l’autorité de l’Etat. Par ailleurs, l’emprise des différents réseaux de trafic a tendance à s’étendre, y compris vers des Etats qui ne font pas partie de la zone sahélienne. On l’a vu à l’occasion de l’attaque à la frontière ivoirienne et burkinabaise ou dans le parc naturel du Bénin.
Cela signifie-t-il que l’approche sécuritaire seule n’est pas efficace pour résoudre les problèmes de cette région ? Absolument, je dirais que l’approche militaire n’est pas suffisante, parce que justement elle est exclusivement conçue selon les paramètres du succès au niveau des combats. L’action a tendance à se focaliser sur les résultats opérationnels des différentes interventions. Mais une action militaire devrait vouloir dire autre chose. Quand on parle de renforcement des capacités militaires, comme l’opération Barkhane est censée le faire, on oublie que, par exemple, renforcer la capacité des forces de défense et de sécurité pour faire respecter les droits de l’Homme fait également partie des critères du succès. Il en va de même pour la question de l’amélioration de la gouvernance des appareils sécuritaires. On voit les détournements massifs en milliards de francs CFA, qui ont eu lieu au Niger et au Mali alors que des soldats meurent tous les jours au front parfois sans qu’on leur offre de sépulture. Les familles ne revoient jamais leurs corps et elles ne sont jamais prises en charge. On s’aperçoit que ces vols sont complètement mis de côté.
Pour compléter l’approche sécuritaire, on devrait renforcer les procédures pénales pour démanteler les réseaux terroristes et criminels
C’est un volet qui est indispensable sur lequel l’accent n’est pas mis. Les capacités de renseignement ne sont pas forcément mises en avant. Ne serait-ce que dans l’approche strictement sécuritaire, on voit très bien que l’importance, à mon avis, disproportionnée donnée à l’instrument militaire par rapport aux autres outils explique en partie le succès plus que limité de l’intervention.
L’intervention française souffre-telle de l’absence de médiateurs régionaux comme le Maroc qui a des liens religieux et historiques lui permettant de jouer un rôle positif dans ce conflit ?
Le Maroc a été très présent au cours des derniers mois au Mali. L’Algérie est quand même un acteur absolument central dans la gestion de la crise malienne. Ce n’est pas un acteur militaire, mais c’est un acteur diplomatique essentiel. Les autres partenaires de l’ACDEAO sont très présents, notamment depuis le coup d’Etat militaire mais aussi d’un point de vue politique. Le problème, à mon avis, pour ce qui est de l’intervention des pays du Maghreb, réside dans leur difficulté d’agir de manière coordonnée que ce soit dans le cadre de l’UMA ou même dans le cadre du processus de Nouakchott dont le Maroc, je crois, ne fait pas partie.Après il y a le G5 avec la Mauritanie, le Mali, le Niger, le Burkina Faso et le Tchad.
Quel est le rôle que pourra jouer le Maroc dans cette crise ?
Je sais que le Maroc a joué un rôle diplomatique très important depuis le début de la crise malienne. Mais pour dire les choses telles qu’elles sont l’antagonisme et le conflit autour du «Sahara» empêchent aussi le Maroc d’être plus présent.
A votre avis, quel avenir attend la région du Sahel ?
C’est très préoccupant malheureusement. L’avenir tel qu’il se dessine à moyen terme au moins est assez sombre.On voit que, chaque jour, la crise prend une nouvelle dimension qui s’ajoute au coup d’Etat militaire, à la protestation populaire et à la lutte contre le terrorisme. Donc, malheureusement, on s’achemine plutôt vers une aggravation de la situation sécuritaire et politique. On voit aussi que le Sud du Sahel et l’Afrique de l’Ouest sont menacés de déstabilisation en raison de crises politiques. S’ajoutent à cela des problématiques sociétales, environnementales, alimentaires et sanitaires. Les défis sont extrêmement nombreux et de taille pour les années à venir.
Dans votre exposé au Forum mondial de Normandie pour la paix, vous avez dit que l’Etat postcolonial est fini en Afrique et que ce n’est pas un modèle qui peut générer sécurité et développement. Comment êtesvous arrivée à cette conclusion?
Je n’ai pas exactement dit ça, j’ai dit que l’Etat post-colonial est remis en cause dans la mesure où il est perçu par les populations comme ayant failli à de très nombreux égards, c’est-à-dire en termes de démocratisation, d’éducation, d’urbanisation, de décentralisation et de sécurité. Par ailleurs, on s’aperçoit que l’Etat est en grande partie perçu comme prédateur plutôt que comme protecteur, au niveau économique et social notamment.Ils’agit d’une élite où certains de ses fonctionnaires civils ou militaires inscrivent leur action dans un système de gouvernance largement fondé sur la cooptation ou sur des pratiques de rente et de redistribution de celle-ci, de manière communautaire,si ce n’est de captation individuelle. Il y a aussi des mécanismes de redistribution qu’il ne faut pas négliger. Aujourd’hui, on s’aperçoit qu’il y a une défiance vis-à-vis de cette forme d’Etat qui se manifeste de différentes façons : des insurrections comme le djihadisme, d’autres de type autonomiste, indépendantiste comme c’est le cas de certains groupes armés, qui prennent la forme d’insurrections populaires. On s’aperçoit également que le contrat social sur lequel est censé se fonder l’autorité de l’Etat est lui aussi mis à mal. Dans la mesure où les communautés à la fois d’un point de vue intra-communautaire ou inter-communautaire sont de plus en plus fragmentées.
N’êtes-vous pas en train de décrire la situation du Mali en quelque sorte?
Les communautés sont de plus en plus fragmentées, fragmentation de type confessionnel y compris à l’intérieur d’une même religion. Au Burkina Faso heureusement, on arrive encore à conserver une certaine cohésion de ce point de vue-là, mais il y a une fragmentation de type intergénérationnel et interprofessionnel. La question aujourd’hui me paraît vraiment être au-delà du rétablissement de l’autorité de l’Etat en tant que tel. De nombreux programmes cherchent à le faire à travers l’intervention militaire via le renforcement des capacités militaires ou des interventions plus axées sur la réconciliation dans le cadre des Nations unies. On s’aperçoit que la restauration de l’Etat est au cœur de ces problématiques, alors que c’est vraiment le contrat social sur lequel il faut travailler. Est-ce que je suis en train de parler du Mali ? Bien entendu, mais malheureusement pas uniquement. C’est une situation qui caractérise de façon croissante le Burkina Faso et dans une moindre mesure le Niger. Si vous prenez le cas de la République Centreafricaine,malheureusement cette situation prévaut depuis près de deux décennies. Idem en République Démocratique du Congo (RDC).
A votre avis, l’intervention française a-t-elle amélioré la situation ou plutôt l’a dégradée?
Je dirais que ça dépend de quel point de vue on se place. Il y a plusieurs façons de lire cette intervention.Du point de vue opérationnel, on peut considérer qu’il y a de plus en plus de neutralisation des djihadistes. Du point de vue du Conseil du voyageur du Quai d’Orsay, et en comparant la situation de 2012 avec celle d’aujourd’hui, on note une dégradation extrêmement claire.Tout le pays à l’exception de la capitale est représenté en couleur rouge.... On s’aperçoit aussi que la plupart des populations ne profitent pas de cette présence, voire aussi certaines catégories de personnes comme les humanitaires qui, au-delà de l’attaque de Koyré au Niger qui est particulière, font l’objet très fréquemment dans la région sahélienne si ce n’est d’exactions, en tout cas d’enlèvements ou de vols de matériel. On s’aperçoit, par ailleurs, de l’emprise territoriale de certains groupes, pas seulement djihadistes, mais d’autres qui contestent l’autorité de l’Etat. Par ailleurs, l’emprise des différents réseaux de trafic a tendance à s’étendre, y compris vers des Etats qui ne font pas partie de la zone sahélienne. On l’a vu à l’occasion de l’attaque à la frontière ivoirienne et burkinabaise ou dans le parc naturel du Bénin.
Cela signifie-t-il que l’approche sécuritaire seule n’est pas efficace pour résoudre les problèmes de cette région ? Absolument, je dirais que l’approche militaire n’est pas suffisante, parce que justement elle est exclusivement conçue selon les paramètres du succès au niveau des combats. L’action a tendance à se focaliser sur les résultats opérationnels des différentes interventions. Mais une action militaire devrait vouloir dire autre chose. Quand on parle de renforcement des capacités militaires, comme l’opération Barkhane est censée le faire, on oublie que, par exemple, renforcer la capacité des forces de défense et de sécurité pour faire respecter les droits de l’Homme fait également partie des critères du succès. Il en va de même pour la question de l’amélioration de la gouvernance des appareils sécuritaires. On voit les détournements massifs en milliards de francs CFA, qui ont eu lieu au Niger et au Mali alors que des soldats meurent tous les jours au front parfois sans qu’on leur offre de sépulture. Les familles ne revoient jamais leurs corps et elles ne sont jamais prises en charge. On s’aperçoit que ces vols sont complètement mis de côté.
Pour compléter l’approche sécuritaire, on devrait renforcer les procédures pénales pour démanteler les réseaux terroristes et criminels
C’est un volet qui est indispensable sur lequel l’accent n’est pas mis. Les capacités de renseignement ne sont pas forcément mises en avant. Ne serait-ce que dans l’approche strictement sécuritaire, on voit très bien que l’importance, à mon avis, disproportionnée donnée à l’instrument militaire par rapport aux autres outils explique en partie le succès plus que limité de l’intervention.
L’intervention française souffre-telle de l’absence de médiateurs régionaux comme le Maroc qui a des liens religieux et historiques lui permettant de jouer un rôle positif dans ce conflit ?
Le Maroc a été très présent au cours des derniers mois au Mali. L’Algérie est quand même un acteur absolument central dans la gestion de la crise malienne. Ce n’est pas un acteur militaire, mais c’est un acteur diplomatique essentiel. Les autres partenaires de l’ACDEAO sont très présents, notamment depuis le coup d’Etat militaire mais aussi d’un point de vue politique. Le problème, à mon avis, pour ce qui est de l’intervention des pays du Maghreb, réside dans leur difficulté d’agir de manière coordonnée que ce soit dans le cadre de l’UMA ou même dans le cadre du processus de Nouakchott dont le Maroc, je crois, ne fait pas partie.Après il y a le G5 avec la Mauritanie, le Mali, le Niger, le Burkina Faso et le Tchad.
Quel est le rôle que pourra jouer le Maroc dans cette crise ?
Je sais que le Maroc a joué un rôle diplomatique très important depuis le début de la crise malienne. Mais pour dire les choses telles qu’elles sont l’antagonisme et le conflit autour du «Sahara» empêchent aussi le Maroc d’être plus présent.
A votre avis, quel avenir attend la région du Sahel ?
C’est très préoccupant malheureusement. L’avenir tel qu’il se dessine à moyen terme au moins est assez sombre.On voit que, chaque jour, la crise prend une nouvelle dimension qui s’ajoute au coup d’Etat militaire, à la protestation populaire et à la lutte contre le terrorisme. Donc, malheureusement, on s’achemine plutôt vers une aggravation de la situation sécuritaire et politique. On voit aussi que le Sud du Sahel et l’Afrique de l’Ouest sont menacés de déstabilisation en raison de crises politiques. S’ajoutent à cela des problématiques sociétales, environnementales, alimentaires et sanitaires. Les défis sont extrêmement nombreux et de taille pour les années à venir.
Paris : Propos recueillis par Youssef Lahlali