Mohamed Khalid Alami, président de la FEA

Les mesures prises par les pouvoirs publics n ’ ont pas eu l’ effet escompté sur le secteur de l’ artisanat


​L’artisanat est un secteur stratégique qui emploie près de 20% de la population active et joue un rôle très important pour l’économie nationale. D’où l’attention particulière dont il fait l’objet par les pouvoirs publics et les professionnels. Mohamed Khalid Alami, président de la Fédération des entreprises d’artisanat (FEA) relevant de la CGEM, revient, dans une interview accordée à la MAP, sur les fragilités de ce secteur, l’impact de la crise sanitaire ainsi que sur les mesures prises et à prendre afin d’assurer la survie et la relance du secteur.

Libé
Samedi 28 Novembre 2020

Comment évaluez-vous l’impact de la crise sanitaire actuelle sur le secteur de l’artisanat en termes de chiffres d’affaires et d’emploi ?
D’abord, il faut signaler que le secteur de l’artisanat, qui emploie 2,4 millions de personnes et contribue à hauteur de 6,7% au PIB, se trouvait dans une situation difficile bien avant l'avènement de la Covid-19. Cette pandémie a paralysé l’activité des entreprises d’artisanat, des mono-artisans et des coopératives.

Selon l’étude réalisée par le ministère du Tourisme, de l'Artisanat, du Transport aérien et de l'Economie sociale, cette crise a causé la chute de 79% des ventes suite à l’annulation des commandes nationales et internationales, à la fermeture des espaces de production, des espaces de vente, des bazars et des sites touristiques, à l’annulation des salons, des foires commerciales et des événements saisonniers et en raison de la difficulté de commercialisation de produits finis étant donné la non diversité des canaux de distribution.

Ce sont donc 85% des artisans qui ont été en arrêt total d’activité avec 71% de la production paralysée et l’incapacité des acteurs à honorer leurs charges.

A quel point les mesures prises jusqu’ici ont-elles pu atténuer les effets de la crise sur les entreprises et sur les artisans ?
Près de 52% des artisans ont obtenu une aide financière de l’Etat dont 60% dans la catégorie du Ramed, 33% non-ramedistes et uniquement 7% des salariés affiliés à la CNSS.

Néanmoins, les opérateurs du secteur d’artisanat ont rencontré des difficultés pour accéder aux lignes de crédit mises en place, à savoir Damane oxygène et Damane relance. Il est à noter que les artisans manquent d'accompagnement relatif à la démarche de demande de crédit, ce qui rend ce dernier inaccessible.

Par ailleurs, le département de l’artisanat, à travers la Maison de l’artisan (MDA), a signé des conventions de partenariat avec 7 plateformes de ecommerce pour aider les artisans à écouler leurs produits en ligne. Il faut dire que ce canal de distribution est nouveau pour beaucoup d’artisans qui auront besoin de temps et de l’accompagnement nécessaires pour l’utiliser.

Jusqu’à présent, les mesures prises n’ont pas eu l’effet escompté sur le secteur de l’artisanat, d'où la nécessité de mettre en place une nouvelle feuille de route pour restructurer et redynamiser ce secteur, et c’est ce que nous attendons de la nouvelle stratégie 2021-2030 en cours de formalisation par le ministère.

Selon la FEA, quelles sont les actions à entreprendre pour contrecarrer les répercussions de la crise et restructurer le secteur ?
La restructuration est une nécessité pour redynamiser le secteur d'artisanat. Pour ce faire, la FEA travaille actuellement avec le ministère de tutelle, les Chambres d'artisanat et d’autres acteurs majeurs du secteur, sur l’élaboration de la nouvelle stratégie d’artisanat 2021-2030.

Nous avons tenu des réunions avec le ministère de tutelle qui a répondu favorablement à notre demande de constitution d’une commission composée des équipes ministérielles et des représentants de la FEA dans le cadre du Partenariat public-privé (PPP) pour mettre en place des actions concrètes en vue de redynamiser le secteur.

Nous avons priorisé le volet "financement" avec la mise en place d’offres innovantes adaptées aux spécificités des filières/métiers. Les acteurs de ce secteur ont également besoin d’un accompagnement au niveau de toutes les composantes de la chaîne de valeur, de la mise en place d’un cadre réglementaire favorable et d’une fiscalité incitative pour un climat des affaires propice.

Enfin, des actions de promotion innovantes par la Maison de l’artisan en matière d’organisation de salons nationaux et internationaux pour accompagner la prospection commerciale des opérateurs du secteur (salons virtuels, eductours, plateformes d’éclatements à l’export…), sont également nécessaires

Le projet de loi N°50-17 relatif à l’exercice des activités de l'artisanat a été adopté en juin dernier, quel impact aura-t-il sur l’activité du secteur ?
Le ministère a accéléré la mise en place du projet de loi N°50-17 visant à organiser les activités de l’artisanat et de ses acteurs, notamment les monoartisans, les entreprises et les coopératives d’artisanat. Dans ce cadre, notre Fédération a envoyé ses suggestions à propos des textes d’application au ministère.

Ainsi, la loi 50-17 permettrait non seulement de mettre en place un cadre réglementaire définissant les activités de l’artisanat et de ses différentes catégories d’acteurs, mais également de créer un «Registre national de l’artisanat» recensant les acteurs de l’artisanat afin de faire bénéficier le secteur de la couverture sociale et de plus de transparence. Cette loi permettrait aussi la création d’un «Conseil national de l’artisanat», organe officiel des pouvoirs publics qui centralisera toutes les questions liées au secteur de l’artisanat.

Quand est-ce qu’on peut s’attendre à un retour à la normale ? Quels sont les enseignements à tirer de cette crise ?
Le retour à la normale prendra beaucoup de temps pour le secteur de l’artisanat qui souffre énormément durant cette crise.

Nous pouvons tirer trois enseignements :
- la nécessité de la réorganisation du secteur de l’artisanat;
- l’importance de la digitalisation et du e-commerce pour assurer et diversifier les canaux de commercialisation chez les artisans;
- l’Etat joue un rôle primordial dans la relance par le biais des fonds d’appui ou de la commande publique. Cependant, la réussite est conditionnée par le respect des délais de mise en œuvre.


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