Le Groupe antiraciste d’accompagnement et de défense des étrangers et des migrants (GADEM) a présenté en janvier 2009 une étude intitulée « Maroc : Cadre juridique relatif à la condition des étrangers, au regard de l’application du pouvoir exécutif et de l’interprétation du juge ». L’objectif de ce travail réalisé avec l’appui du Fonds pour les droits humains mondiaux, est celui d’examiner et de s’assurer de l’application de la loi de l’immigration et l’émigration irrégulière, dite loi 02/03 rentrée en vigueur au Maroc depuis le 11 novembre 2003. Cette recherche a essayé de répondre à des questions-clés qui préoccupent la société civile marocaine œuvrant dans le domaine des droits et du genre, puisque la question de l’émigration fait partie intégrante de la thématique «Genre». Parmi ces questions on cite : la loi 02/03 est-elle appliquée par les tribunaux marocains? Et si la réponse est affirmative, quelle interprétation fait le juge des dispositions de cette loi en l’absence de décrets d’application ?
Cette étude a présenté également un état des lieux de la situation de ces migrants victimes de violations de la loi et de plusieurs atteintes à leurs droits fondamentaux tels que le droit au travail, à la couverture médicale, à la circulation et à la sécurité. Pourtant, ce sont des droits garantis par les lois internationales et le législateur marocain, bien que la réalité soit autre chose que celle qui est sur les papiers.
Face aux « flux migratoires » de plus en plus grandissants, les Etats européens, et depuis le début des années 90, ont décidé de diminuer le nombre d’émigrants africains. Ainsi, les frontières externes se sont verrouillées, commence alors l’apparition du phénomène social « l’Hrig ». Ainsi, des centaines de pateras (barques) pleines de migrants clandestins provenant des pays maghrébins et sub-sahariens commencent à quitter les côtes marocaines pour envahir celles de l’Espagne, donnant lieu au plus grand cimetière de l’humanité : la Méditerranée.
Le Maroc, un gendarme
de l’Europe ?
Depuis 1998, le Maroc subit de multiples pressions de la part de l’Union européenne afin de renforcer le contrôle de ses côtes et d’empêcher les immigrants subsahariens et maghrébins de franchir les frontières espagnoles. De son côté, l’Espagne a élaboré un plan de surveillance accru qui se base sur un « système intégré de vigilance extérieur » (SIVE). Des capteurs sensoriels, des caméras thermiques et des radars de haute technologie ont été donc employés et mis à la disposition des unités d’interventions aériennes et maritimes.
Le Maroc commence donc à recevoir des fonds considérables pour contribuer à la lutte contre l’immigration clandestine vers les territoires européens, bloquant, ainsi, des vagues d’émigrants qui ont choisi de sortir de leur situation déplorable, leur chômage et leur condition de vie souvent difficile, pour s’aventurer en pleine Méditerranée.
Depuis 2004, les accords et projets se sont multipliés entre l’UE et le Maroc, au point que ce dernier a bénéficié du Statut avancé en octobre 2008 à l’occasion de la tenue du 7ème Conseil d’association UE-Maroc à Luxembourg. C’était une occasion pour que les Européens saluent, encore une fois, « les efforts du Maroc pour faire face à l’immigration clandestine ». Lors de ce Conseil, l’Union européenne a remarqué que les efforts du Maroc «ont conduit à une réduction substantielle des flux migratoires vers l’Europe». Il faut signaler également que le volet «Migration» constitue un pilier central dans la Politique européenne de voisinage (PEV) dont notre pays est le premier bénéficiaire aujourd’hui. Pourtant, l’objectif principal des activités menées dans le cadre du volet « Migration » reste celui de renforcer « la gestion des migrations ». Ainsi, dans le panorama des programmes et des projets de coopération euro-méditerranéenne, on trouve que ces projets visent en premier lieu à « enrayer le trafic des êtres humains et l’immigration illégale et gérer les flux mixtes », tout en veillant à « combattre efficacement les migrations illégales en adéquation avec les droits fondamentaux reconnus par les conventions internationales ».
Suite aux pressions exercées par l’UE, le Maroc a mobilisé plus de 4.500 hommes des forces de l’ordre afin de surveiller ses frontières et d’avorter toute tentative d’immigration clandestine. D’autres équipes de police ont été constituées en vue de démanteler les réseaux actifs dans l’émigration illégale. Ainsi l’approche sécuritaire par rapport à la thématique de la migration a connu une grande évolution. Cette approche a donné lieu à des événements dramatiques en octobre 2005 aux portes frontalières des deux villes marocaines sous occupation espagnole Sebta et Mellilia, après qu’une vague d’environ 500 immigrés a tenté de franchir l’obstacle. Commencent alors des campagnes de refoulement massives menées par les forces de l’ordre marocaines appuyées par l’Espagne. Ces refoulements se poursuivent aujourd’hui dans plusieurs grandes villes du Maroc telles que Oujda, Nador et Tanger, et sont considérées comme violentes par plusieurs ONG marocaines et internationales.
La criminalisation
de l’émigration
En novembre 2003, et dans un climat politique marqué par les tristes événements terroristes du 16 mai, une loi relative à l’entrée et au séjour des étrangers au Maroc, à l’émigration et l’immigration irrégulière, a été ratifiée au Parlement et est entrée en vigueur. Selon les sources officielles (le ministère de l’Intérieur), cette loi permet d’assurer « l’adéquation de la législation en la matière avec les conventions internationales relatives aux droits des émigrés et des étrangers résidents d’une manière illégale». Néanmoins, la même source ajoute, et sans pouvoir le nier, qu’il y a des pressions européennes qui ont conduit à l’élaboration de cette loi. Elle s’inscrit dans le cadre du «respect de l’engagement pris par le Maroc à l’égard de ses partenaires dans le domaine de la lutte contre l’émigration».
Depuis la ratification de la loi 02-03, des ONG marocaines se sont mises à plaider contre ce nouvel arsenal juridique considéré comme une atteinte aux droits des émigrés. C’est dans ce cadre-là que le GADEM (le Groupe antiraciste d’accompagnement et de défense des étrangers et des migrants) a présenté son rapport dénonçant cette loi, ainsi que l’approche sécuritaire du Maroc face au phénomène de la migration subsaharienne. Ce rapport a été précédé d’un ensemble de réunions et tables rondes avec plusieurs partenaires et professeurs spécialistes en la matière. Ces activités et rencontres ont connu une large participation des immigrants subsahariens, en majorité des sans-papiers, et qui ont contribué énormément aux débats et présenté leurs points de vue et leurs témoignages.
Ce rapport considère que le Maroc, « en s'engageant dans la voie de la création de lieux d'enfermement des étrangers (prévus par cette loi), il s’orienterait définitivement vers une gestion «européenne» de la question des migrations, les lieux d'enfermement des migrants étant l’un des instruments privilégiés et très développés au sein de tous les Etats membres pour exclure et expulser les «indésirables» de leurs territoires». Il s’interroge également sur le sens de prévoir des peines d’emprisonnement qui peuvent aller jusqu’à six mois, tout en sachant que la liberté de circulation et d’émigration est un droit fondamental prévu par la déclaration universelle des droits de l’Homme. Et comme disait Gustave Massiah, militant altermondialiste et membre fondateur du Forum social mondial, « l’immigration est une question qui peut être réglementée ou encadrée. Elle ne doit en aucun cas être niée comme droit fondamental ou faire partie de l’impossible».
Le Maroc est donc appelé à revoir sa politique en matière d’immigration. La meilleure façon de «gérer les flux migratoires» reste celle d’assurer une stratégie de développement durable et de réaliser une véritable révolution industrielle. Cela permettra de réduire le chômage, et de tirer profit de la main-d’œuvre des pays sub-sahariens. Une utopie reviendra-t-elle un jour réalité?