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Secrétaire Général de l'Union Marocaine du Travail
Pour la deuxième fois, j'ai été « kidnappé », emmené dans une cave et torturé.
La première a eu lieu le 20 décembre 1961, à une heure et demie du matin. C'était à l'occasion de la grève générale décidée par notre Fédération Nationale des PTT, grève qui fut un triomphe de l'UMT (comme a titré "l'Avant-Garde".)
Je fus enlevé par une brigade spéciale dépendant du pouvoir féodal. Celui-ci a décidé l'opération lorsqu'il s'est rendu compte que la grève était effective. Il lui fallait un responsable, une tête de serpent, sur lequel devait s'exercer une vengeance irréfléchie. J'ai eu l'honneur d'être choisi.
Je dis bien l'honneur, ma conviction profonde était que la classe ouvrière constitue l'avant-garde naturelle dans la lutte effective et concrète qui doit être engagée contre la féodalité, la bourgeoisie et l'impérialisme.
Cette fois, je ne peux malheureusement parler (tout à fait) d'honneur. C'est au nom de la classe ouvrière que j'ai été, en plein jour devant le Service d'ordre de l'UMT (et la neutralité complice de la police), provoqué par des responsables de l'UMT, frappé à coups de poings et transporté dans une cave.
J'y ai subi en l'espace de 12 heures, trois séances de coups dont la sauvagerie dépassait de loin ce que j'ai connu l'année dernière (du fait qu'il ne s'agissait la première fois que d'intimidation.)
Geste irréfléchi aussi, dont je tiens à te raconter les détails. Je m'adresse à toi, en tant que Secrétaire Général de l'UMT, dont je suis militant, comme je suis militant de l'UNFP, dont tu es l'un des dirigeants qui en ont tracé "l'orientation et la doctrine".
Tu me permettras de considérer qu'il s'agit d'une nouvelle erreur commise au nom de l'UMT et de la classe ouvrière, et de te rappeler les raisons profondes qui, à mon avis, sont à l'origine de toutes les erreurs. Tout cela pour émettre des "vœux " quant à l'avenir (qui seul m'intéresse.)
Tu me permettras de continuer à croire que tu n'as jamais douté de ma volonté de servir la classe ouvrière, avant-garde des masses populaires, dans leur lutte contre l'exploitation féodalocoloniale.
Tu me permettras aussi d'espérer que tu verras dans cette lettre l'expression de la peine que je ressens d'avoir été présenté et traité comme un ennemi de la classe ouvrière.
Tu me permettras enfin de considérer que le silence dans de telles conditions, serait un service objectif rendu au régime féodal, qui a déjà tiré bénéfice du silence qui a entouré depuis trop longtemps les erreurs accumulées.
Voici donc:
- d'abord le détail des faits,
- les raisons profondes qui à mon avis sont à l'origine de ces faits,
- enfin certaines conclusions et " vœux " quant à l'avenir.
Le détail des faits
On ne peut isoler ce qui m'est arrivé des incidents qui t'on opposé (toi ou tes "adjoints") à la Fédération des P.T.T.
Depuis le 25 novembre, date à laquelle une assemblée générale de 600 adhérents a élu 8 délégués PTT de Rabat au Congrès (dont moi-même), les incidents n'ont pas cessé.
Tu as tenu à désigner par personnes interposées comme d'habitude, les délégués au congrès. Après plusieurs tentatives, le Bureau Fédéral et le Bureau Local de Rabat-Salé, t'on adressé délégations, lettres et télégrammes exprimant leur attachement au principe de l'élection démocratique des délégués au Congrès.
Tous les délégués venus des sections se sont réunis vendredi à partir de 15 h. pour décider de la position à prendre devant le silence de la Centrale. Ils ont décidé unanimement de refuser la désignation par la Centrale des délégués, et de rester solidaires de tous les camarades élus, particulièrement en ce qui me concerne (étant donné qu'il leur a été signifié que seule ma présence pose un problème). La dernière délégation désignée a eu une entrevue avec les représentants de la Centrale (dont Abderrazzak, Aouab et Ammour). La délégation s'est vu promettre que même avec un mandat, je ne pourrai entrer au Congrès...
Notre réunion de 22 h qui a eu lieu par la suite, a décidé que les postiers aillent ensemble au congrès, évitent de répondre à toute provocation, et attendent qu'on les admette. Nous devions nous rassembler à 8 h. samedi au bureau local PTT de Casablanca.
Une partie des délégués s'étaient rassemblés. J'ai averti les camarades, qu'en attendant l'arrivée des autres délégués, j'allais voir avec le camarade Bellemlih, si les délégations commençaient à pénétrer dans la salle de réunion. Il était environ 8 h. 20.
J'ai donc arrêté ma voiture, avenue des FAR et suis passé devant la salle des fêtes (sans même monter sur le trottoir).
A mon retour vers la voiture, j'ai salué le camarade Amrouk, postier détaché à la Centrale, qui pour toute réponse s'est mis à m'accuser de «comploter», «de faire du bruit»... et a giflé le camarade Bellemlih.
Ma seule réaction a été d'entraîner le camarade Bellemlih vers la voiture, quand j'ai reçu plusieurs coups de poings de la part d'un élément qui se trouvait aux côtés de Ammour (Secrétaire du Syndicat des pétroles, qui se trouve rehaussé maintenant au «Bureau National» de l'UMT). Pendant que j'étais l'objet d'une provocation (spécialité de Ammour), j'ai continué mon chemin sans répondre quoi que ce soit. Parmi les présents, j'ai reconnu outre Ammour et Amrouk, Aouab (Jeunesse Ouvrière), Médioni (Secteur Privé) et Bouchaib Riffi (Sécurité Sociale).
Mais j'ai été de nouveau rejoint par le même élément, qui m'avait attaqué la première fois, et entraîné vers Ammour; j'ai attiré l'attention de ce «responsable» sur le fait que tout se passe sous ses yeux. A ce moment précis, ordre a été donné à très haute voix, disant «prenez-le». J'ai donc été transporté par une bande de 6 à 7 personnes vers la cave de la salle des fêtes.
A l'arrivée, il était «ordonné» de ne pas me frapper. Mais une vingtaine de minutes après et sous les ordres d'un personnage qui se faisait appeler Kouider, j'ai été frappé pendant une demi-heure à coups de poings et de pieds dans toutes les parties du corps. L'opération tendait à me faire «avouer» que j'appartiens à l'U.G.T.M.. Devant mon obstination, mes vêtements ont été lacérés avec une lame de rasoir, en même temps que j'étais menacé d'être défiguré.
Cette première séance a pris fin lorsque j'ai réaffirmé mon appartenance à la Fédération PTT-UMT et clairement déclaré qu'on ne pourra jamais m'obliger à affirmer une quelconque appartenance ni à l'U.G.T.M. ni à aucune organisation ennemie de l'UMT.
J'ai été conduit au fond de la cave. Ordre a été donné de ne pas m'adresser la parole. Une autre séance de coups (très courte), a suivi. Il était à peu près 10 heures.
Mes «gardiens» m'ont apporté un sandwich et de l'eau et l'un d'eux, m'a même acheté des cigarettes.
Vers 16 h. un responsable syndical est arrivé en compagnie de deux parmi les gardiens qui m'avaient frappé. Il m'a expliqué que sans l'intervention des responsables, j'aurais été certainement enlevé. Il m'a précisé ensuite que je ne dois m'en prendre qu'à moi-même et «à ceux qui m'ont envoyé».
Répondant que je ne suis pas un provocateur, je me suis vu affirmer que «ce jour l'avenue des FAR appartient aux ouvriers qui n'ont rien à voir avec la politique et ne connaissent que le pain». Il a ajouté que les ouvriers ne connaissent ni Basri ni UNFP, mais seulement Mahjoub et ce qu'il décide». Il a qualifié mes références à la Fédération des PTT de «raisonnements à la Zitouni» et a prétendu que la Fédération des PTT n'a qu'à aller à l'U.G.T.M.
Vers 20 h. 30, on m'a pris mes papiers que l'on m'a rendus tout de suite après. Alors a commencé une nouvelle séance de coups de poings, de pieds et de bâtons. L'argent en ma possession, ainsi que ma montre ont été subtilisés. Cette première séance me semble due à l'initiative du plus sauvage de mes «gardiens» qui voulait s'approprier mes affaires.
On m'a emmené une dizaine de minutes après devant la porte de la cave en me conseillant de ne pas bouger. Mais voyant qu'aucune surveillance n'existait plus, je suis parti croyant m'être évadé.
En fait, j'ai appris plus tard que:
- quelques minutes après mon départ, certains qui avaient posé le problème, ont été emmenés à la cave pour «constater» que je n'y étais pas,
- mes camarades délégués des PTT bien qu'ils se soient éloignés de l'autre côté de l'avenue des FAR ont été attaqués après moi, vers 10 h 30 et n'ont dû leur salut (et l'intervention de la police) qu'au blocage de la circulation automobile,
- Aouab m'a présenté en pleine rue comme un agent des Américains venus saboter le Congrès, cela pour animer l'ardeur de ceux qui me transportaient vers la cave (Aouab qui avait affirmé lui-même être idéologiquement en complète communion de pensées avec moi-même),
- tous les camarades des PTT ont été présentés à la classe ouvrière et aux délégués étrangers comme des provocateurs de l'U.G.T.M. et à la police comme des provocateurs téléguidés par l'U .N.F.P.,
- certains responsables syndicaux donnaient l'accord préalable de la police (qui d'ailleurs n'est intervenue à aucun moment).
Tels sont les faits indiscutablement. Violence qui n'a pas de nom avec une neutralité complice de la police puis diffamation ordurière organisée, et enfin, insultes émises officiellement par toi-même à la Tribune du Congrès contre la Fédération PTT et les mouvements progressistes de ce pays (particulièrement l'U.N.F.P., dont le Secrétariat général comprend toi-même et ton adjoint Abderrazak).
Et cette violence s'est exercée contre les postiers dont le seul crime est d'être restés concrètement et solidairement attachés au principe de l'élection démocratique des délégués au Congrès de l'Union Marocaine du Travail, dont la Fédération P.T.T. constitue «les blindés» selon tes propres termes
Je dois te signaler que je préfère ne pas répondre à tes allégations concernant le nombre de cartes vendues à Rabat et les sommes versées (cela nous amènerait à des questions «privées»).
Pour quelles raisons tout cela?
Même si «tu n'as plus besoin des postiers» (comme tu l'as affirmé), si tu as décidé de te passer des «blindés», si tu es entré dans une phase de désarmement, cela ne suffirait pas pour expliquer des méthodes aussi peu pacifistes.
Je ne dis pas que tu aies décidé l'opération en personne. Mais elle s'est déroulée en présence et sur les ordres de responsables du Bureau National de l'UMT qui avaient toutes les raisons de considérer avoir le «feu vert» et devoir «ne pas manquer l'occasion».
Il serait futile de reprendre leurs affirmations de la veille (qui montrent le caractère prémédité de l'opération). Si c'est l'avenir qui nous intéresse, il faut profiter de ces incidents pour analyser les causes profondes du mal.
De fait, on ne voulait pas de ma présence au Congrès, on ne voulait pas de celle des postiers que l'on présente comme étant téléguidés par moi-même, on ne voulait pas non plus de la présence de nombreux militants UMT d'autres fédérations ou unions locales.
On ne voulait pas de ces présences parce que l'on a craint de voir exposé le point de vue de ces militants sincères sur:
- le rôle d'avant-garde que doit jouer la classe ouvrière dans le mouvement de libération,
- la nécessité de la démocratie intérieure pour maintenir et développer l'unité de la classe ouvrière sur une base révolutionnaire,
- le danger de la dépolitisation de la classe ouvrière et de la cloison psychologique et politique que l'on essaie d'établir entre la classe ouvrière et le reste des masses populaires,
- le danger que courent l'unité et la force de l'Union Marocaine du Travail, danger qui résulte de certaines pratiques qui ont diminué considérablement la combativité des syndicats (devenus dans certains cas des organes d'interdiction systématique des grèves, ou même de simples titres formels au service de certains intérêts individuels).
Tu connais bien ce point de vue et ceux qui le défendent dans l'intérêt de la classe ouvrière et de l'Union Marocaine du Travail. Tu n'as jamais essayé de le prendre en considération. Au contraire, croyant qu'il était dirigé contre ta personne, tu as systématiquement réagi par un réflexe de défense qui t'a amené à couvrir (sinon encourager) tous ceux dont les intérêts (et les attaches) leur donnent toutes les raisons de combattre les progressistes.
Cette hostilité cultivée, encouragée puis méthodiquement organisée jusqu'à devenir un sabotage de l'intérieur des mouvements progressistes a créé l'engrenage de la solidarité consciente et inconditionnelle entre tous ces éléments dont les intérêts convergent.
Mais quels que soient les précédents et la connaissance que je crois avoir de (l'appareil» et de ses méthodes, je n'ai pu imaginer un seul instant que l'engrenage ait pu en arriver à ce point et à ces méthodes qu'on ne peut même pas qualifier de fascistes, méthodes dirigées contre toute une Fédération.
C'est peut-être là ma véritable erreur. Dois-je alors ne m'en prendre ~qu'à moi-même ? (Comme me l'a précisé cet émissaire venu à la cave). Non, parce que de toutes façons, ma personne ne compte pas dans cette affaire.
Je m'en prends (et nous sommes nombreux à nous en prendre) à une politique et à une mentalité qui ont permis la mise en place progressive d'un appareil constitué d'éléments dont certains n'ont plus, à mon avis, aucune attache ni sociale, ni idéologique, ni sentimentale avec la classe ouvrière.
Je m'en prends (et nous sommes nombreux à nous en prendre) à des méthodes indignes d'une organisation ouvrière dont je fais partie et qui n'ont été possible que parce que rien n'a été fait pour sortir de l'engrenage du double jeu et de la duplicité (pour lequel les mots «ouvriers», «pain», «politiciens», «extrémistes», «gauchistes», etc., ne sont que des alibis utilisés selon les circonstances et les intérêts du «système»).
Je m'en prends (et nous sommes nombreux à nous en prendre) à l'hostilité entretenue contre les patriotes et les progressistes sincères, qu'ils aient déjà fait leurs preuves, les armes à la main contre le colonialisme ou qu'ils ne soient comme moi que de jeunes militants venus récemment à la lutte contre la féodalité, la bourgeoisie et l'impérialisme (dont «I'appareil» et «I'engrenage» que j'ai signalés servent objectivement les intérêts).
Voilà ce à quoi je m'en prends.
Ton Congrès, votre Congrès n'aura rien résolu sur l'essentiel. Sa composition, son orientation, ses décisions... Tout n'est qu'un nouveau produit de «I'engrenage» dont certains sont les bénéficiaires ou les victimes (très provisoirement).
Le rôle naturel d'avant-garde de la classe ouvrière, est inéluctable. L'histoire universelle et certains signes qui apparaissent depuis longtemps au sein de la classe ouvrière marocaine, en font foi.
Je t'ai écrit cette lettre pour te dire tout cela.
Cet incident a été une occasion de l'écrire noir sur blanc avec des «vœux» pour l'année 1963 que voici:
Mes meilleurs vœux pour l'année 1963
J'en viens à ce que j'ai appelé mes conclusions quant à l'avenir (qui seul m'intéresse):
- j'espère que chacun procédera aux rectifications nécessaires, en donnant leur véritable contenu aux concepts révolutionnaires au lieu de ne s'en servir qu'occasionnellement comme alibis au service de la diffamation,
- j'espère que la lucidité triomphera en fin de compte pour éviter à chacun de devenir encore plus prisonnier d'un engrenage qu'il a lui-même engagé, ou de se laisser mettre de plus en plus devant le fait accompli,
- j'espère surtout que cette lettre soit une participation au redressement de certaines erreurs, afin que rien n'empêche plus les masses populaires sous la direction de la classe ouvrière de se libérer du joug féodal et colonial, et de s'engager aussitôt que possible dans la construction du socialisme,
- j'espère enfin que tout ce qui précède ne soit pas encore une fois mis au compte de ce qu'il y aurait en moi (ou beaucoup d'autres) de «prétentieux», «extrémiste», «gauchiste»... Ou tout simplement «salaud».
Avec tout mon dévouement à la cause de la classe ouvrière de l'Union Marocaine du Travail et de toutes les forces progressistes et bientôt.