Les monstres du mont Toubkal


Par Mohamed Lmoubariki *
Mercredi 26 Décembre 2018

Le Maroc a connu, lundi 17 décembre 2018, un des crimes les plus abjects. Deux jeunes touristes scandinaves, au printemps de leur vie, se sont fait lâchement assassinées par des brutes qui n’ont que la bipédie en commun avec le genre humain. Le crime abominable qu’ils ont commis rappelle, selon les analystes, le modus operandi des terroristes de Daech et apparentés.
Une colère noire m’a envahi à cause de cette tuerie. Et je ne suis pas le seul. Le peuple marocain, dans son ensemble, s’est retrouvé, d’un coup, avec une affreuse gueule de bois, une envie de venger les deux jeune femmes tuées et mutilées par les armes blanches d’une bande de criminels. Il suffit de voir le torrent des réactions et indignations sur les réseaux sociaux pour s’en rendre compte. Rien, absolument rien ne justifie un acte aussi barbare, aussi atroce.  
Ce drame me pousse à narrer en quelques ligne un souvenir personnel. Il y a quelques années, mon fils a, suite à une mauvaise orientation universitaire, fait le choix de délaisser, pour une année, les bancs des amphis, le temps de repenser sereinement à la suite de ses études. Il en a, donc, profité pour travailler quelques mois et cumuler un petit pécule qui lui a permis de passer plus de trois semaines à visiter le Nord de l’Europe. Son périple l’a amené à travers l’Allemagne, le Danemark, la Norvège et la Suède. Il a dormi dans des auberges de jeunesse, dans des campings, sur le parvis des gares et même chez des particuliers. Seul , du haut de ses 20 ans et sans connaître un seul mot des langues des pays visités, il a pu voyager en toute quiétude et revenir la tête pleine de souvenirs et de richesses culturelles inestimables.
Je me suis permis ce court récit personnel car il contraste dramatiquement avec le destin tragique de Maren Ueland (28ans!) et son amie Louisa Vesterager Jespersen (24ans!). Deux jeunes filles qui ont choisi le Maroc pour s’élever dans tous les sens du terme. Elles étaient venues défier les cimes de l’Atlas et tutoyer le toit de l’Afrique du Nord. Cette ascension sportive est le propre d’une jeunesse, de partout sur terre, en quête de liberté et aussi de découverte de l’autre et de contribution au vivre-ensemble. Et c’est justement sur cet autre sens d’élévation qu’il me semble judicieux d’insister. Les deux randonneuses ont choisi la région d’Imlil pour découvrir le Maroc profond, le Maroc des gens authentiques et accueillants qui font la fierté de notre cher pays. Malheureusement, des sauvages monstrueux leur ont tendu un piège fatal en haute montagne.
Naturellement, les divers services de police et de sécurité nationale ont fait leur travail. Ils ont non seulement mis la main sur les criminels quelques jours à peine après leur virée meurtrière, mais aussi démanteler tout un réseau de complices. Cette célérité témoigne, si besoin il y est, de l’efficacité et de la compétence de nos services de renseignements et de police auxquels il faut rendre un vibrant hommage.
Cependant, le défenseur de la vie humaine que je suis ne peut se contenter de cette issue policière. Bien entendu, la justice va faire son travail et les criminels vont, je l’espère, être condamnés aux plus lourdes peines que permet la loi marocaine, mais une question essentielle reste posée à mon avis : comment une société du début du XXIème siècle peut produire des monstres de cette espèce?
Nous pouvons palabrer des heures et des heures sur la misère qui ronge le corps social, l’effet désastreux de la déconfiture des idéologies raisonnées, les répercussions des tumultes du Moyen-Orient et plein d’autres sujets dans le but de trouver une explication. Cependant, je suis, et c’est mon point de vue, intimement convaincu que l’explication la plus plausible réside dans la présence excessive et passionnelle du religieux dans la réalité marocaine et même arabe.
La foi est une conviction personnelle dont le contenu et les limites dépendent des capacités intellectuelles et du savoir de chacun. Du coup, chaque citoyen a son propre missel, son propre espace religieux ! Celle des monstres du mont Toubkal est meurtrière, assoiffée de sang et dissimulée sous un déguisement fait de barbes pouilleuses et d’incantations récitées bêtement sans en connaître ni le sens ni l’essence.
Le drame des deux jeunes femmes doit nous questionner sur l’éducation religieuse clivante proposée, souvent, aux grands comme aux petits, dans les écoles comme dans les mosquées. N’est-il pas exact que pour la majorité des prédicateurs, les êtres humains se subdivisent en deux groupes : Al-muhtadun (ceux qui sont sur le chemin de la rectitude), c’est-à-dire les musulmans et Al-dâllun (les égarés) ! Ceux qui regagneront le paradis éternel et ceux qui deviendront le combustible de l’enfer ! Et c’est en se référant à cette interprétation grotesque que les assassins du mont Toubkal se sont arrogé le droit de tuer.  
Il me paraît, donc, indispensable que les ministères de l’Enseignement pour les uns et des Affaires religieuses pour les autres interviennent pour bannir les discours religieux haineux et punir sévèrement toute sorte de comportements en ce sens. Il y va non seulement de l’avenir de notre place dans le monde et de nos échanges internationaux, mais surtout de notre propre destin en tant que peuple uni, moderne et ouvert sur son temps.

* Docteur en histoire


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1.Posté par mr SANDRE AZZEDDINE le 27/12/2018 18:18 (depuis mobile)
Bien dit , a mon avis la misère qui a facilité l''intégrisme dans cette région qui était le symbole de l''hospitalité .

2.Posté par Fernand le 01/01/2019 13:26 (depuis mobile)
Excellent article, il faut arrêter de raser les écoles publiques

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