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Selon ce protocole, les étudiants en médecine suspendent leur grève ouverte et reprennent le cours normal de leurs études. Autrement dit, il a fallu plus de 11 mois de grève, de souffrance, de doute, de crainte, de colère et la mobilisation estudiantine la plus longue de l'histoire du Maroc pour revenir au point zéro.
Failles structurelles et institutionnelles
Pour Mohammed Chaoui, chercheur en sciences politiques, «la mobilisation des étudiants marocains en médecine, pharmacie et médecine dentaire a révélé des failles structurelles et institutionnelles dans la gestion des revendications du secteur de la santé et de l'enseignement supérieur». Selon lui, «ce mouvement de grève, s'étalant sur 11 mois, n’a pas seulement exposé la détermination et la résilience d’une génération d’étudiants confrontée à des difficultés majeures, mais il a également mis en lumière les limites du gouvernement à anticiper et à traiter efficacement les crises dans des secteurs stratégiques».
«La mobilisation a débuté par des doléances légitimes concernant les conditions d'étude, le manque de ressources, la reconnaissance professionnelle, ainsi que la nécessité de réformes structurelles. Les étudiants réclamaient notamment la préservation de la septième année d’études, une réforme du cycle de spécialisation, l'augmentation des bourses et la levée des sanctions disciplinaires imposées à ceux qui avaient participé à des mouvements de protestation. Ces revendications étaient le reflet d'un malaise profond: crise d’un système éducatif et de santé saturé, inégalitaire et souvent déconnecté des réalités du terrain. En réponse, le gouvernement a montré des signes d'incapacité à écouter et à négocier rapidement et efficacement, ce qui a conduit à un blocage prolongé», nous a-t-il expliqué. Et d’observer: «L’incapacité du gouvernement à gérer ce dossier s’est traduite par une série de mesures mal calibrées et d'initiatives ponctuelles qui n'ont fait qu'attiser le mécontentement des étudiants. La répression par des sanctions disciplinaires, l'absence de dialogue transparent et la lenteur à apporter des réponses concrètes ont aggravé le conflit.
Ce manque d’anticipation et d’ouverture au dialogue démontre une faible capacité à mener des consultations inclusives et constructives avec les parties prenantes concernées. Le retard pris par les autorités à engager des discussions substantielles et à proposer des solutions pragmatiques a accentué le sentiment de marginalisation des étudiants, nourrissant ainsi leur frustration».
Incapacité à anticiper
En outre, notre interlocuteur estime que «le recours, à la dernière minute, à la médiation via le Médiateur du Royaume avec à la clé la signature d’un accord, bien que salué, a été perçu comme une mesure de gestion de crise plutôt que comme une preuve de gouvernance proactive et concertée». «Si cette entente a permis de débloquer la situation, elle n’efface pas l’incapacité initiale du gouvernement à anticiper et désamorcer la crise. Ce schéma répétitif de tensions sociales démontre que le gouvernement doit impérativement repenser ses mécanismes de dialogue social, renforcer sa capacité à répondre rapidement et avec empathie aux attentes des jeunes et revoir en profondeur ses stratégies de gouvernance des secteurs vitaux tels que la santé et l'éducation», a-t-il souligné.
Et de noter: «Par ailleurs, la mobilisation des étudiants a souligné leur rôle essentiel en tant qu'acteurs du changement et du plaidoyer social. Ils ont démontré une organisation remarquable, des stratégies de communication efficaces, et une capacité à rallier la sympathie de l'opinion publique».
Moment charnière
A ce propos, il soutient que «le mouvement des étudiants en médecine, par sa durée exceptionnelle et son intensité, pourrait être un moment charnière quant à la manière avec laquelle les autorités marocaines devront aborder les revendications des jeunes générations à l'avenir». «Ce conflit, qui a duré 11 mois, et celui des enseignants contractuels ont illustré l’importance d’un engagement fort et structuré des jeunes, capables de se mobiliser pour défendre leurs droits, exiger des réformes profondes et remettre en question des politiques publiques jugées inadéquates. Il démontre l’existence d’un nouveau rapport de force entre l'État et les jeunes citoyens, qui ne se contentent plus de réformes partielles ou d’annonces sans suite, mais réclament des engagements tangibles et crédibles», analyse-t-il. Et d’ajouter: «Les transformations socio-économiques rapides que connaît le Maroc, telles que l’urbanisation croissante, l’accélération des inégalités, et les nouvelles aspirations d'une jeunesse connectée, constituent un défi auquel le gouvernement ne peut répondre par les méthodes traditionnelles de gestion de crise. Cette génération est plus informée, plus exigeante, et plus capable de mobiliser l’opinion publique et les médias, notamment à travers les réseaux sociaux, rendant toute tentative de minimiser leurs préoccupations coûteuse en termes d’image et de confiance publique ».
Nouveau point de départ
Par ailleurs, poursuit-il, privilégier les solutions inclusives signifie impliquer les jeunes dans la conception et la mise en œuvre des politiques qui les concernent. Ce n’est qu’en leur attribuant un rôle actif dans les décisions qui influent sur leur futur que le gouvernement pourra renforcer la confiance et construire un avenir partagé. «Des plateformes de concertation régulières, des initiatives pour intégrer les jeunes aux processus décisionnels, et des réformes participatives seraient des moyens concrets pour institutionnaliser ce dialogue. Dans le contexte des transformations rapides que vit le pays, l’inclusivité et la réactivité ne sont pas seulement souhaitables, mais essentielles pour la stabilité sociale et le développement durable. Ce mouvement étudiant peut ainsi servir de point de départ pour une refonte des pratiques de gouvernance reconnaissant la place des jeunes comme moteurs de changement et de progrès», a-t-il conclu.
Hassan Bentaleb