De l'Espagne à la Pologne, les agriculteurs contre un accord UE-Mercosur


Libé
Vendredi 22 Novembre 2024

France, Allemagne, Italie, Pologne... dans les grands pays producteurs d'Europe, les organisations agricoles dénoncent le projet d'accord de libre-échange entre l'Union européenne et quatre pays latino-américains du Mercosur.
La réponse de leurs gouvernements est toutefois plus nuancée, la France restant la plus véhémente dans son opposition, rejointe lundi par l'Italie.

Alors que le Mercosur exporterait vers l'UE d'abord des produits agricoles (viande bovine, volaille, porc, miel, sucre...), l'inquiétude est vive quant à des conditions de concurrence jugée déloyales, ces denrées ne répondant pas aux mêmes normes environnementales, sociales qu'en Europe, voire sanitaires en cas de contrôles défaillants, rapporte l’AFP.

Le Copa-Cogeca, l'organisation européenne des syndicats majoritaires, a appelé l'UE à "revoir" ce projet et à "défendre une politique commerciale portant les standards rigoureux de notre agriculture".
La mobilisation est particulièrement forte dans le premier pays agricole du continent en valeur, premier cheptel bovin par exemple.

"Un rapport d'audit de l'UE vient de mettre au jour des failles au Brésil dans les procédures de contrôle du respect des normes sanitaires", souligne la Fédération nationale bovine. "Malgré cela, la Commission européenne poursuit avec conviction les négociations qui favoriseront l'accès supplémentaire de 99.000 tonnes de viandes bovines sud-américaines".
Paris essaie de rallier d'autres Etats, comme la Pologne, pour bâtir une minorité de blocage au sein de l'UE.

L'Allemagne, réticente à l'accord sous Angela Merkel pour cause de déforestation en Amazonie, a changé de pied avec Olaf Scholz, désireux d'élargir ses débouchés industriels. Aujourd'hui, l'effondrement de la coalition gouvernementale place les agriculteurs dans l'expectative.

Pour l'Association des agriculteurs allemands (DBV), principal syndicat, "il est urgent de renégocier" cet accord.

Il "conduirait à remplacer la production nationale par des importations aux normes du siècle dernier, au détriment des consommateurs, des agriculteurs, des animaux, de l'environnement et du climat", explique Joachim Rukwied, son président, pour qui "l'agriculture de l'UE ne peut survivre que si des mécanismes viennent compenser les différences entre les normes internationales et européennes".

Aucune manifestation officielle n'est prévue, ce qui ne devrait pas empêcher des convergences à la frontière franco-allemande, comme à la frontière franco-espagnole.
En Espagne, l'ensemble des grands syndicats agricoles ont dit leurs craintes, notamment pour l'élevage. Cet accord est "dépassé et incohérent", pour l'organisation Asaja.
Aucune mobilisation n'est annoncée, mais l'inquiétude suscitée par le projet avait pesé dans le mouvement de colère des agriculteurs en début d'année.
Pour autant, le gouvernement du Premier ministre socialiste Pedro Sánchez s'est prononcé pour.

Il est "nécessaire stratégiquement", assurait mi-octobre le ministre de l'Agriculture Luis Planas: des filières pourraient souffrir, comme la filière bovine, mais d'autres en profiter comme le vin et l'huile d'olive.

Le projet "sous sa forme actuelle n'est pas acceptable", a déclaré lundi dans un communiqué le ministre de l'Agriculture Francesco Lollobrigida, exigeant que les producteurs du Mercosur soient soumis aux "mêmes obligations" que ceux de l'UE.
La grande organisation Coldiretti avait écrit à la Première ministre Giorgia Meloni pour exprimer la "profonde inquiétude" à l'égard d'un accord aux "effets dévastateurs sur le secteur agro-alimentaire".

"Nous estimons qu'une collaboration étroite avec d'autres Etats membres de l'UE, comme la France, qui partagent nos inquiétudes, peut empêcher l'adoption de l'accord sous sa forme actuelle", appelait la lettre.
Le principal syndicat agricole LTO appelle "à arrêter les négociations".
Aux Pays-Bas, le secteur avicole et le sucre seraient menacés, explique Klaas Johan Osinga, conseiller stratégie politique du LTO à l'AFP.

"L'accord pourrait toutefois être bon pour le secteur du fromage, être une opportunité pour l'horticulture, mais ce sont relativement de petites sommes", ajoute-t-il, relevant que les quatre partis de la coalition gouvernementale sont divisés sur le sujet.

Le ministère de l'Agriculture a exprimé ses "sérieuses réserves" à l'égard d'un projet qui "aura peut-être quelques bénéfices pour l'industrie, le transport maritime et certains services, aux dépens de la plupart des segments de la production agro-alimentaire".
Une des principales organisations agricoles, NSZZ RI Solidarnosc, a appelé le chef du gouvernement Donald Tusk, à aller plus loin et à "bloquer" le projet.

Les parlementaires du Conseil national ont adopté une résolution contre, rappelle le ministère de l'Agriculture: "Restreindre la production agricole en Europe via des normes toujours plus sévères tout en poussant des accords commerciaux de la vieille école, ce n'est pas compatible. L'Autriche est un pays orienté à l'export, nous tenons à ce que le jeu soit équitable".

De telles importations sans droits de douane "mettent notre agriculture en péril", résume la première association agricole (Bauernbund).
Alors qu'en Irlande les élections législatives de fin novembre concentrent l'attention, les représentants des éleveurs (ICSA) ont protesté devant la Chambre basse du Parlement.


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